La nouvelle Loi sur la concurrence du Canada
Le présent bulletin d’actualités fait partie du guide d’Osler sur la nouvelle Loi sur la concurrence, qui trace le portrait de l’importante modernisation du droit de la concurrence du Canada faisant suite à la série de modifications très médiatisées, qui ont abouti à la sanction royale du projet de loi C-59. Nous vous invitons à consulter notre guide, qui comporte plusieurs analyses approfondies et relève les principaux points que les entreprises faisant affaire au Canada doivent retenir.
Explorez notre guideOutre les modifications importantes apportées à la Loi sur la concurrence (la Loi) dont il est question tout au long du présent guide, les modifications apportées récemment comprennent également l’ajout d’un pouvoir officiel permettant la réalisation d’études de marché, d’une nouvelle interdiction de « représailles », de dispositions limitant les ordonnances contre le commissaire de la concurrence (le commissaire) pour le paiement des frais et d’un nouveau régime de certification immunisant les accords visant la protection de l’environnement de l’application de certaines dispositions de la Loi. Dans la présente section, nous discutons de ces autres modifications apportées récemment.
Ajout d’un pouvoir officiel permettant la réalisation d’études de marché
Depuis le 15 décembre 2023, le commissaire dispose d’un pouvoir officiel lui permettant de réaliser des études de marché. Avant les modifications de décembre, le commissaire ne pouvait demander au Tribunal de la concurrence (le Tribunal) de rendre une ordonnance en vertu de ses pouvoirs supplémentaires en matière de collecte de renseignements prévus par la Loi qu’après avoir lancé une enquête sur un marché parce que le Bureau de la concurrence (le Bureau) avait des raisons de croire que la Loi avait été enfreinte. Depuis plusieurs années, les commissaires réclament un tel pouvoir officiel afin de pouvoir recourir à leurs pouvoirs supplémentaires en matière de collecte de renseignements (y compris des dépositions orales, des documents certifiés conformes par affidavit et des déclarations écrites faites sous serment) hors du cadre des enquêtes officielles sur des comportements ou des arrangements particuliers en vertu de la Loi.
Pour lancer une étude de marché, le commissaire doit suivre une procédure comportant plusieurs étapes, en plus de la procédure judiciaire qu’il doit suivre pour avoir accès à ses pouvoirs supplémentaires. La procédure comprend les freins et contrepoids suivants :
- Avant de lancer une étude de marché, le commissaire doit consulter le ministre. De même, avant d’ordonner au commissaire de mener une étude de marché, le ministre doit consulter le commissaire afin de vérifier si elle est réalisable, notamment au regard des coûts qu’elle entraînerait.
- Si, après consultation, il est décidé que l’étude de marché sera menée, le commissaire doit élaborer un projet de mandat, le publier en ligne et inviter le public à présenter leurs observations dans un délai d’au moins 15 jours. Après avoir tenu compte des observations du public, le commissaire doit soumettre au ministre le mandat final pour approbation et, s’il est approuvé, le publier en ligne.
- Une fois le mandat final publié, le commissaire dispose du délai spécifié par le ministre, lequel ne peut, sous réserve de prolongation pour des périodes maximales de trois mois, excéder 18 mois, pour mener l’étude de marché et rédiger un rapport.
- Avant la publication du rapport, le commissaire doit envoyer à toute personne visée par une ordonnance judiciaire la contraignant à participer à l’enquête une ébauche — complète ou non — du rapport et l’aviser qu’elle dispose de trois jours ouvrables pour lui faire part de ses préoccupations concernant des renseignements inexacts ou confidentiels. Ensuite, le commissaire doit mettre le rapport en ligne.
Lancement de la première étude de marché en vertu des nouveaux pouvoirs
Depuis que le pouvoir du Bureau en matière d’études de marché s’est élargi, le commissaire a commencé à étudier le marché des services de transport aérien intérieur de passagers au Canada. Le 27 mai 2024, le Bureau a lancé une étude sur l’état de la concurrence dans l’industrie du transport aérien au Canada, les entraves à l’accès et à l’expansion, et les obstacles au choix éclairé des clients. Tel que le Bureau l’a déclaré, l’étude vise à examiner et à améliorer la concurrence au profit des passagers aériens intérieurs ainsi que des travailleurs et des entrepreneurs qui permettent d’offrir ces services. Elle devrait durer environ 12 mois.
Actualisation de la procédure de détermination du caractère confidentiel de documents
La Loi prévoit une procédure dans les cas où une personne judiciairement tenue de produire des documents soulève l’existence du secret professionnel à l’égard de ces documents. Le particulier ou l’entreprise qui est contraint de produire des documents en application de la Loi peut faire valoir que certains documents sont couverts par le secret professionnel liant l’avocat à son client. En pareil cas, les documents en question sont placés sous la garde d’une autorité désignée. Auparavant, le tribunal devait, en ce qui concerne un tel document, trancher la question de la protection du secret professionnel sur demande présentée par le commissaire ou le propriétaire du document dans un délai de 30 jours suivant la date de sa mise sous garde. Si aucune demande n’était présentée dans ce délai de 30 jours, le commissaire pouvait demander ex parte que les documents lui soient remis. Désormais, ce délai n’existe plus. Malgré cette procédure légale, il est courant que la question de la protection du secret professionnel soit traitée de manière informelle, sans intervention judiciaire.
Introduction des procès devant jury pour les personnes morales
Auparavant, si une personne morale était accusée d’une infraction criminelle à la Loi, elle pouvait uniquement être jugée sans jury. Désormais, les personnes morales pourront, à la discrétion du tribunal, être jugées devant jury dans le cas où une ou plusieurs personnes physiques sont également inculpées. Plus précisément, si, dans le même acte d’accusation :
- une ou plusieurs personnes morales et une seule personne physique sont inculpées, la ou les personnes morales seront jugées sans jury, dans le cas où la personne physique choisit d’être jugée sans jury, ou devant jury, dans le cas où la personne physique choisit d’être jugée devant jury.
- une ou plusieurs personnes morales et deux ou plusieurs personnes physiques sont inculpées, la ou les personnes morales seront jugées sans jury, dans le cas où toutes les personnes physiques choisissent d’être jugées sans jury, ou devant jury, dans le cas où toutes les personnes physiques choisissent d’être jugées devant jury, ou encore devant jury ou sans jury, selon ce que décide le procureur général du Canada pour chaque personne morale, dans le cas où seules certaines des personnes physiques choisissent d’être jugées sans jury.
Si seules des personnes morales sont inculpées (c.-à-d. aucune personne physique ne l’est), les personnes morales seront jugées sans jury.
Interdiction de « représailles »
L’interdiction de « représailles », terme qui s’entend des mesures prises pour « pénaliser, punir, discipliner, harceler ou désavantager une autre personne » en raison des communications de celle-ci avec le commissaire ou parce que celle-ci a coopéré (ou a exprimé son intention de coopérer) dans le cadre d’une enquête ou d’une procédure en vertu de la Loi, est tout à fait nouvelle. À la suite d’une demande du commissaire ou d’une partie concernée, un tribunal peut rendre une ordonnance d’interdiction et imposer une sanction administrative pécuniaire maximale, dans le cas d’une personne physique, de 750 000 $ et, dans le cas d’une personne morale, de 10 millions de dollars pour la première infraction. Bien que, en cas de représailles, les sanctions maximales prévues soient importantes, la Loi stipule explicitement qu’elles ne doivent pas être fixées de façon à punir les personnes physiques ou morales qui se livrent à ce type de comportement, mais plutôt à encourager le respect de la Loi.
Régime de certification des accords visant la protection de l’environnement
La Loi prévoit désormais que le commissaire peut délivrer un certificat environnemental attestant qu’il est convaincu qu’un accord ou un arrangement qui a été conclu a pour but de protéger l’environnement et n’aura vraisemblablement pas pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence (un effet EDSC). Le certificat, d’une durée maximale de 10 ans (avec possibilité de prorogation à la demande des parties), peut également inclure toutes les conditions que le commissaire juge appropriées. Grâce à ce processus, l’accord est immunisé contre l’application des dispositions de la Loi relatives aux complots, au truquage d’offres et aux collaborations civiles. Le certificat est déposé auprès du Tribunal et peut être annulé ou modifié par le Tribunal dans certaines circonstances.
Il convient de noter que, dans sa lettre du 1er mars 2024 au Comité permanent des finances de la Chambre des communes, qui traite de plusieurs aspects de la réforme législative de la Loi,[1] le commissaire recommande fortement de ne pas adopter le régime des certificats environnementaux compte tenu des « conséquences imprévues potentiellement importantes ». Le commissaire a souligné les nombreuses façons dont les entreprises peuvent collaborer à des fins environnementales ou autres tout en se conformant à la Loi, y compris en invoquant les dispositions relatives aux complots prévoyant la défense fondée sur les restrictions accessoires, en s’appuyant sur les lignes directrices détaillées publiées par le Bureau et en recourant au programme d’avis écrit permettant de demander au commissaire des éclaircissements sur l’application de la Loi. Le commissaire a également indiqué que les entreprises pourraient tirer profit du nouveau régime en déformant la nature de leur accord pour obtenir injustement l’immunité pour un comportement problématique.
Il n’est pas certain que, par suite de l’introduction de ce nouveau régime, les entreprises recourront sensiblement davantage au programme d’avis écrit, puisqu’elles n’y ont eu que rarement recours dans le passé. Toutefois, en raison de l’immunité qu’elles peuvent obtenir contre certaines dispositions de la Loi (du moins du point de vue du Bureau), incluant la possibilité de recours privés, les entreprises pourraient manifester un regain d’intérêt pour le programme d’avis écrit.
Renforcement des sanctions en cas de violation des consentements
En vertu de la Loi, le commissaire peut signer avec des entreprises ou des particuliers des consentements répondant à ses préoccupations ou réglant des actions en justice intentées en vertu des dispositions civiles de la Loi. Une fois enregistré auprès du Tribunal, un consentement a la même valeur et produit les mêmes effets qu’une ordonnance du Tribunal; en outre, en vertu de la Loi, l’omission de se conformer aux ordonnances du Tribunal rendues en application des dispositions civiles de la Loi (à l’exception de certaines ordonnances relatives à des sanctions administratives pécuniaires) constitue une infraction pénale. Les modifications prévoient de nouvelles sanctions civiles lorsqu’une personne omet de se conformer (ou omettra vraisemblablement de se conformer) à un consentement. Ainsi, le commissaire peut contester l’omission réelle ou vraisemblable sans recommander le dépôt d’accusations criminelles. En ce qui concerne les nouvelles sanctions civiles, le Tribunal peut interdire à la personne d’accomplir tout acte qui pourrait constituer une omission de se conformer au consentement, ordonner à la personne de prendre les mesures nécessaires pour se conformer au consentement, ordonner à la personne de payer une sanction administrative pécuniaire maximale de 10 000 $ pour chacun des jours au cours desquels elle a omis de se conformer au consentement et accorder toute autre réparation qu’il considère justifiée.
Limitation des ordonnances pour le paiement des frais contre le commissaire
En vertu de la Loi sur le Tribunal de la concurrence, le Tribunal, saisi d’une demande prévue à la Loi, pouvait, à son appréciation, déterminer les frais relatifs aux affaires qu’il peut examiner [Pratiques civiles interdites et pratiques commerciales trompeuses] dont il est saisi, sans considérations particulières eu égard aux frais qu’il pouvait ordonner au commissaire de payer. Désormais, en vertu de la Loi sur le Tribunal de la concurrence, le Tribunal ne peut ordonner au commissaire de payer des frais, sauf s’il est convaincu : soit que l’ordonnance est nécessaire pour ne pas miner la confiance du public dans l’administration de la justice, soit que l’absence d’ordonnance aurait un effet négatif important sur la capacité de l’intimée d’exploiter son entreprise. La modification a probablement été précipitée par le récent litige Rogers/Shaw, dans le cadre duquel le Tribunal a ordonné au commissaire de payer des frais et débours de près de 13 millions de dollars.
[1] Voir le texte intégral de la lettre [PDF] sur le site du Sénat du Canada.
Auteurs(trice) : Shuli Rodal, Michelle Lally, Kaeleigh Kuzma, Christopher Naudie, Adam Hirsh, Alysha Pannu, Danielle Chu, Chelsea Rubin, Reba Nauth, Zach Rudge, Graeme Rotrand