Auteurs(trice)
Associé, Litiges, Montréal
Stagiaire en droit, Montréal
Le 26 juin 2024, le gouvernement du Québec a publié le Règlement modifiant principalement le Règlement sur la langue du commerce et des affaires (le règlement modificatif). Le règlement modificatif marque la dernière étape de la refonte de la Charte de la langue française (la Charte), amorcée en 2021. Nous avons déjà examiné les différentes mesures prises depuis par l’Assemblée nationale du Québec pour modifier la Charte. Les dispositions du règlement modificatif entreront en vigueur le 1er juin 2025, à l’exception de celles portant sur les contrats d’adhésion, qui sont déjà en vigueur.
Le règlement modificatif actualise la formulation de certaines dispositions de l’ancien règlement dans un souci d’harmonisation avec les modifications apportées à la Charte. À bien des égards, le règlement modificatif allège une partie du fardeau imposé par la Charte et aidera de nombreuses entreprises faisant affaire au Québec. Les modifications portent notamment sur les circonstances dans lesquelles une inscription sur un produit peut figurer uniquement dans une langue autre que le français. De plus, le règlement modificatif clarifie l’application des exemptions relatives à la traduction des marques de commerce de common law, précise les règles sur l’affichage public lorsque des marques de commerce ne sont pas en français et assouplit les exigences de la Charte relativement aux contrats d’adhésion conclus par voie électronique ou par téléphone.
Le règlement modificatif entraînera d’importants changements dans la distribution des produits au Québec, qui toucheront les fabricants, les fournisseurs, les importateurs et les détaillants.
Inscriptions sur les produits
La Charte exige que toute inscription sur un produit vendu au Québec soit rédigée en français. Aucune inscription rédigée dans une autre langue ne doit l’emporter sur celle qui est rédigée en français sur le produit, son emballage ou un document qui l’accompagne. Dans bien des cas, cela signifie que l’emballage des produits vendus au Québec doit être différent de celui des produits vendus ailleurs.
Toutefois, si le produit provient de l’extérieur du Québec, le règlement prévoit, dans sa version initiale, que l’inscription qui est « gravée, cuite ou incrustée dans le produit lui-même, y est rivetée ou soudée, ou encore y figure en relief, de façon permanente » n’est pas assujettie à ces exigences. Il est possible de bénéficier de cette exemption pour des inscriptions autres que celles concernant la sécurité du produit. Dans la première version du règlement modificatif, Québec voulait réduire le champ d’application de cette exemption en exigeant que toute inscription « nécessaire à l’utilisation » du produit soit traduite en français, y compris sur le produit lui-même. Le gouvernement cherchait également à imposer une nouvelle exigence en vertu de laquelle le texte de tout affichage numérique sur un produit doit pouvoir être affiché en français.
À bien des égards, le règlement modificatif allège une partie du fardeau imposé par la Charte et aidera de nombreuses entreprises faisant affaire au Québec.
Heureusement, ces modifications ont été abandonnées à l’issue du processus de consultation qui a mené à la version définitive du règlement modificatif. À l’exception du texte exigé sur la sécurité, l’exemption de l’obligation de traduction continuera à s’appliquer aux produits fabriqués à l’extérieur du Québec.
Exigences relatives aux marques de commerce contenant du texte dans une autre langue que le français
Le règlement modificatif assouplit plusieurs exigences prévues dans la Charte en ce qui concerne la traduction de mots faisant partie de marques de commerce, rétablissant de fait les exigences actuellement en vigueur.
À l’heure actuelle, la Charte prévoit qu’à partir du 1er juin 2025, les marques de commerce qui contiennent du texte dans une autre langue que le français doivent avoir été enregistrées au Canada pour apparaître sur les produits au Québec. Il est intéressant de noter que le règlement modificatif révoque cette nouvelle exigence. Il rétablit le statu quo en vertu duquel une marque de commerce reconnue par la Loi sur les marques de commerce, y compris les marques de commerce qui ne sont pas déposées au Canada, peut continuer à être utilisée sur les produits au Québec dans sa forme initiale. Il accorde donc une nouvelle exemption de l’obligation de traduction prévue dans la Charte pour les marques de commerce non enregistrées. Cela signifie que les fabricants et les fournisseurs qui utilisaient auparavant des marques de commerce étrangères pour se soustraire à l’obligation de traduction pourront continuer à recourir à ces marques étrangères et ne seront pas assujettis à des exigences de traduction supplémentaires en ce qui concerne la marque elle-même.
Cependant, la Charte exige également qu’à partir du 1er juin 2025, le générique ou le descriptif compris dans une marque de commerce soient traduits en français s’ils apparaissent sur un produit. Le règlement modificatif confirme que cette exigence s’étendra aussi à l’emballage du produit et à la documentation fournie avec celui-ci. Il clarifie également le type de termes concernés par cette nouvelle exigence, notamment un ou plusieurs mots décrivant la nature du produit ou ses caractéristiques.
Le règlement modificatif assouplit les exigences prévues dans la Charte en stipulant que le nom d’une entreprise et le nom d’un produit tel qu’il est commercialisé (le nom de marque) ne sont pas visés par l’obligation de traduction. C’est le cas même si ces noms contiennent des termes qui décrivent la nature ou les caractéristiques du produit. Cette modification réduira considérablement le champ d’application de l’obligation de traduction prévue dans la Charte.
En cas d’obligation de traduction, la version française du générique ou du descriptif compris dans la marque de commerce doit figurer de façon au moins aussi évidente que sa version dans l’autre langue. Cette exigence s’applique chaque fois que la marque de commerce apparaît sur le produit, son emballage et tout document qui l’accompagne.
Jusqu’au 1er juin 2027, les entreprises peuvent continuer à vendre les produits qui sont fabriqués avant le 1er juin 2025 et sur lesquels apparaissent des marques de commerce contenant des termes génériques ou descriptifs qui ne sont pas traduits en français. Dans le cas des produits visés par les nouvelles normes fédérales d’étiquetage prévues dans le Règlement modifiant le Règlement sur les aliments et drogues ou le Règlement modifiant le Règlement sur les aliments et drogues et le Règlement sur le cannabis, les entreprises peuvent continuer à vendre les produits fabriqués avant le 31 décembre 2025, sans être soumises aux exigences relatives à la traduction. Il est possible de se prévaloir de cette exemption jusqu’au 1er juin 2027.
Exigences relatives aux marques de commerce rédigées dans une autre langue que le français et affichées à l’extérieur
Certaines modifications devraient réduire la nécessité de traduire l’affichage extérieur sur lequel figurent les marques de commerce.
Québec a annoncé qu’en vertu de la Charte, à partir du 1er juin 2025, les marques de commerce affichées à l’extérieur et rédigées dans une autre langue que le français devront être enregistrées au Canada pour ne pas devoir être traduites. L’affichage extérieur comprend tout affichage visible à l’intérieur des parties communes des bâtiments, comme les tours de bureaux et les centres commerciaux. En outre, le texte en français accompagnant les marques de commerce qui sont rédigées dans une autre langue que le français et affichées à l’extérieur devra figurer « de façon nettement prédominante » par rapport à toute autre langue.
Auparavant, la Charte proposait d’éliminer une exemption visant l’affichage de marques de commerce de common law. Cependant, comme c’est le cas pour les inscriptions sur les produits, le règlement modificatif fait marche arrière et rétablit le statu quo en vertu duquel les marques de commerce reconnues par la Loi sur les marques de commerce peuvent être affichées dans leur forme initiale, qu’elles soient enregistrées ou non au Canada.
Le règlement modificatif clarifie par ailleurs ce que l’on entend par l’expression « de façon nettement prédominante ». Pour être conforme, « l’espace consacré au texte rédigé en français [doit être] au moins 2 fois plus grand que celui consacré au texte rédigé dans une autre langue ». Cette explication offre plus de souplesse que la norme qui avait été proposée avant l’adoption du règlement modificatif et qui indiquait que la taille du texte devait être deux fois plus grande que n’importe quel terme de la marque de commerce dans une autre langue que le français. Selon l’interprétation qu’on aurait pu lui donner, cette exigence aurait pu vouloir dire de doubler la taille de la police, quelle que soit la surface occupée par le texte rédigé en français.
Découvrez comment Osler peut aider votre entreprise à suivre l’évolution des lois sur la langue française au Québec.
En savoir plusUn commerce peut conserver son affichage d’origine qui comporte une marque de commerce dans une autre langue que le français et ajouter un affichage permanent en français qui n’est pas nécessairement plus grand que l’affichage d’origine, à condition que l’espace cumulatif occupé par l’ensemble des éléments de l’affichage en français soit deux fois plus grand que celui occupé par les termes dans une autre langue que le français.
Exigences relatives aux contrats d’adhésion
Le règlement modificatif apporte des précisions sur les exigences applicables aux contrats conclus par téléphone ou par voie électronique, à l’intention des entreprises faisant affaire au Québec. En vertu de la Charte, à compter du 1er juin 2023, les entreprises qui concluent des contrats d’adhésion avec une contrepartie québécoise doivent remettre à celle-ci une version française du contrat. Cette exigence s’appliquait auparavant même dans les cas où la contrepartie avait explicitement exprimé le souhait de conclure le contrat en anglais.
Contrats conclus par voie électronique
Pour respecter les dispositions de la Charte, les sites Web transactionnels du Québec devaient intégrer une fonctionnalité permettant à l’utilisateur de passer de l’anglais au français à chaque étape du processus contractuel. Cette exigence s’appliquait même lorsque les utilisateurs avaient la possibilité, au début du processus contractuel, de faire affaire en français ou en anglais, et choisissaient de faire affaire en anglais.
Le règlement modificatif apporte un certain allégement à l’égard de cette exigence. Les entreprises qui concluent des contrats par voie électronique au Québec n’ont plus besoin de prévoir la possibilité de passer de l’anglais au français à chaque étape des transactions d’un client lorsque l’option de conclure des transactions en français a été offerte, mais refusée, au début du processus contractuel. Il leur suffit de mettre à la disposition de la partie contractante la version française des conditions générales qu’elle est tenue d’accepter dans le cadre du processus contractuel.
Contrats conclus par téléphone
Par ailleurs, dans un souci de conformité avec la Charte, les opérateurs de centres d’appels devaient lire à la partie contractante la version française des clauses du contrat, même lorsque celle-ci avait choisi d’être servie en anglais.
Selon le règlement modificatif, lorsqu’un consommateur souhaite faire affaire en anglais, l’opérateur du centre d’appels peut tout simplement lui indiquer où trouver la version française des conditions générales.
Conséquences sur la distribution de produits au Québec
Le règlement modificatif apporte des changements appréciables aux exigences linguistiques en lien avec la distribution de produits au Québec. Il a toutefois pour principal effet de donner aux fabricants, fournisseurs, importateurs et détaillants une certaine souplesse, surtout par rapport aux modifications que le gouvernement avait proposées à l’origine. La décision du gouvernement de faire marche arrière en ce qui concerne l’obligation de traduction des inscriptions sur les produits fabriqués à l’extérieur du Québec est particulièrement bien accueillie, compte tenu des conséquences importantes que cette proposition aurait eues sur les fabricants de produits. Québec a toutefois indiqué qu’il souhaitait toujours limiter les produits dont l’interface utilisateur n’est pas en français. Il faut donc s’attendre à d’autres changements dans ce domaine.