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Points saillants de la nouvelle Loi sur la concurrence et des modifications à venir concernant les investissements étrangers Points saillants de la nouvelle Loi sur la concurrence et des modifications à venir concernant les investissements étrangers

24 Décembre 2024 10 MIN READ    14 MIN LISTEN

Le gouvernement fédéral a considérablement renforcé son approche en matière de droit de la concurrence et d’investissements étrangers, ce qui témoigne de l’importance grandissante qu’il accorde à l’application des lois canadiennes sur la concurrence et aux risques que posent les investissements étrangers pour la sécurité nationale. Les entreprises doivent être au fait des risques grandissants liés à ces changements.

Plus précisément, le cadre législatif régissant le droit de la concurrence et le comportement des entreprises au Canada, tel qu’il est défini dans la Loi sur la concurrence (la Loi), a changé de manière considérable. De plus, l’application de ces règles fait l’objet d’un resserrement. Nous avons analysé ces modifications dans un article publié l’année dernière. Certaines de ces modifications sont déjà en vigueur, alors que d’autres entreront en vigueur à la fin de cette année ou en juin 2025. Il convient entre autres de noter que des droits privés d’action peuvent maintenant être exercés en cas de violation de certaines dispositions et que des mesures de redressement pécuniaire sont désormais prévues. En outre, la Loi comporte maintenant des dispositions sur l’écoblanchiment, sujet dont nous avons traité séparément.

Au-delà du droit de la concurrence, les investissements étrangers retiennent l’attention constante du gouvernement. À l’instar des gouvernements dans de nombreux pays du monde, le gouvernement canadien s’intéresse de plus en plus aux répercussions que les investissements étrangers peuvent avoir sur la sécurité nationale. En 2025, le gouvernement fédéral devrait achever l’élaboration des règlements en application de la Loi sur Investissement Canada (LIC), qui sont nécessaires à l’établissement d’un régime d’examen relatif à la sécurité nationale obligatoire avant la clôture. Ce nouveau régime s’appliquera aux investissements non passifs dans des secteurs d’activité sensibles.

Ces changements laissent présager une évolution et une surveillance plus importantes à venir.

Évolution de l’approche du droit de la concurrence

Pour aider les entreprises et les juristes à s’y retrouver dans le nouveau cadre, le Bureau de la concurrence (le Bureau) a entrepris des consultations en vue d’élaborer des lignes directrices sur l’examen des fusions, les nouvelles dispositions relatives aux pratiques commerciales trompeuses portant sur l’écoblanchiment ainsi que l’incidence de l’élargissement drastique des dispositions relatives aux accords civils, qui s’étendent maintenant aux clauses restrictives dans les baux et autres contrôles de biens.

Un projet de lignes directrices traitant d’autres aspects des modifications est attendu au cours des prochains mois. Bien que ces lignes directrices soient les bienvenues, l’ampleur des changements et le rôle élargi des parties privées annoncent qu’un large éventail de nouvelles interprétations et théories juridiques seront soumises au Tribunal de la concurrence (le Tribunal) et à d’autres instances judiciaires, qui détermineront en fin de compte la portée des nouvelles dispositions législatives.

Les modifications représentent l’élargissement le plus spectaculaire des mesures d’accès privé en droit de la concurrence canadien depuis une génération.

Nous avons publié précédemment des analyses approfondies des modifications que les entreprises faisant affaire au Canada doivent connaître.

Fusions – plus de rigueur dans l’application de la loi

Les récentes modifications de la Loi qui ont une incidence sur les fusions et acquisitions sont considérables. Elles comprennent l’abrogation de la défense fondée sur les gains d’efficience, une disposition unique au Canada qui autorisait une opération si les parties à la fusion pouvaient prouver que les gains d’efficience l’emportaient sur les effets anticoncurrentiels. Les nouvelles présomptions de préjudice anticoncurrentiel accroissent l’importance accordée à la structure du marché, notamment à la part de marché et au niveau de concentration après la fusion. Les modifications élargissent également le champ d’application du régime de notification obligatoire avant la clôture et confèrent au Bureau des pouvoirs accrus pour interdire la conclusion d’une opération à déclarer. En outre, le risque de contestation après la clôture d’une fusion qui n’est pas assujettie au régime de notification obligatoire (et qui n’a pas fait l’objet d’une notification volontaire) existe désormais pendant les trois années suivant la clôture.

Dans une large mesure, ces modifications, bien que corrélatives, s’harmonisent au régime et à la pratique en matière de fusions aux États-Unis. Les modifications auront des conséquences importantes sur les parties à l’opération, tant sur le plan de la mise en œuvre que sur le plan du délai. Les parties devront prendre en compte le risque de concurrence dès les premières étapes de la planification de leur opération, ce qui aura une incidence sur les négociations relatives à l’opération en cas de risque de concurrence et sur le délai global pour obtenir l’autorisation nécessaire.

Élargissement de l’accès privé en droit de la concurrence au Canada

Les modifications apportées à la Loi représentent l’élargissement le plus spectaculaire des mesures d’accès privé en droit de la concurrence canadien depuis une génération. Les parties privées pourront contester un large éventail de comportements et d’accords.

Il sera désormais possible pour un requérant d’obtenir des mesures de redressement pécuniaire pour certains comportements, tels que l’abus de position dominante et les accords commerciaux civils, la valeur étant basée sur l’avantage tiré du comportement anticoncurrentiel. Les modifications créeront un nouveau régime de réparation collective qui pourrait permettre au Tribunal d’entendre et de trancher l’équivalent d’une action collective moderne. Des mesures d’application privées peuvent être prises sur une base individuelle ou, potentiellement, sur une base collective dans les cas où le commissaire n’a pas pris de mesures d’application et où les parties privées obtiennent la permission du Tribunal.

Par suite de ces modifications, un large éventail de parties privées, y compris les consommateurs, les clients, les fournisseurs, les concurrents et même les organismes d’intérêt public, seront incitées encore davantage à tenter de faire appliquer le droit canadien en matière de concurrence.

Compte tenu de l’importance de ces modifications, les nouveaux droits d’accès privés n’entreront pas en vigueur avant le 20 juin 2025. Cette période permettra aux entreprises d’évaluer leurs pratiques et au Bureau et au Tribunal de fournir des lignes directrices et d’envisager des règles pour s’adapter à ce nouveau régime.

Risque accru en matière de droit de la concurrence pour les entreprises dominantes et les oligopoles

Les dispositions de la Loi relatives à l’abus de position dominante, qui sont les principales dispositions civiles de la Loi ne portant pas sur les fusions, ont été modifiées de telle sorte qu’il est plus facile d’établir l’existence d’un abus de position dominante. En particulier, une ordonnance d’interdiction peut désormais être rendue à l’encontre d’une entreprise dominante ou d’un groupe d’entreprises qui se révèlent conjointement dominantes, sur la base de la constatation d’une intention anticoncurrentielle ou d’un effet anticoncurrentiel qui ne peut pas être attribué au « rendement concurrentiel supérieur » de l’entreprise. Auparavant, pour qu’on puisse établir l’existence d’un abus de position dominante, la Loi stipulait que l’entreprise ou les entreprises dominantes devaient avoir adopté un comportement ayant à la fois une intention et un effet anticoncurrentiels. Pour obtenir une mesure de redressement allant au-delà d’une ordonnance d’interdiction, telle qu’une mesure corrective structurelle ou des mesures de redressement pécuniaire, il faut quand même établir l’existence de la position dominante, de l’intention anticoncurrentielle et de l’effet anticoncurrentiel.

Les mesures de redressement pécuniaire ont été substantiellement augmentées. En outre, à compter de juin 2025, les parties privées pourront intenter des procédures en vue d’obtenir des mesures de redressement pécuniaire.

Élargissement considérable de la disposition sur les accords civils

Les enjeux sont plus importants pour les parties à des accords commerciaux à la suite de trois changements significatifs apportés à la disposition sur les accords civils de la Loi. Certaines de ces modifications sont en vigueur depuis juin dernier, et d’autres sont entrées en vigueur le 15 décembre 2024.

Tout d’abord, les recours possibles incluent désormais des sanctions maximales de 10 millions de dollars. Aucune mesure de redressement pécuniaire n’était prévue auparavant en cas de violation de ces dispositions.

Ensuite, depuis le 15 décembre 2024, les accords auxquels ces dispositions s’appliquent comprennent tous les accords commerciaux entre entreprises, qu’elles soient ou non en concurrence les unes avec les autres, lorsqu’« une partie » à l’accord a pour objectif principal d’empêcher ou de diminuer la concurrence. Cela comprend une clause de non-concurrence ou une clause d’exclusivité. Cet élargissement de la disposition relative aux accords commerciaux exposera pour la première fois un large éventail d’accords commerciaux ordinaires entre non-concurrents à un examen et à une responsabilité lorsqu’un empêchement ou une diminution sensible de la concurrence sont susceptibles d’en résulter. En outre, il reste à savoir si, dans certaines circonstances, les fusions pourront faire l’objet d’une demande de la part d’une partie privée en vertu des dispositions restructurées relatives aux accords commerciaux.

Lisez notre guide qui comprend plusieurs analyses approfondies des modifications apportées à la Loi sur la concurrence et de ce qu’elles signifient pour les entreprises faisant affaire au Canada.
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Enfin, à compter du 20 juin 2025, il sera possible, en vertu du nouveau régime d’accès privé, de traiter les questions relatives à une violation de la disposition relative aux accords civils. Par conséquent, les parties privées pourront également demander des mesures de redressement pécuniaire en cas de violation de ces dispositions.

Pratiques commerciales trompeuses : toujours une priorité eu égard à l’application de la loi

Le régime canadien de lutte contre les pratiques commerciales trompeuses a fait l’objet de modifications constantes depuis 2022. Ces modifications ont renforcé la capacité du Bureau à prendre des mesures d’application de la loi à l’encontre des pratiques commerciales trompeuses, en particulier en ce qui concerne les indications de prix et les déclarations environnementales. De lourdes sanctions pécuniaires sont prévues. Un nouveau droit d’action privé est également prévu en ce qui concerne les pratiques commerciales trompeuses. Toutefois, aucune mesure de redressement pécuniaire n’est à la disposition des parties privées en cas de non-respect de ces dispositions.

Il reste à voir si le nouveau droit d’action privé ouvrira la porte à une vague de nouvelles actions devant le Tribunal. Il existe déjà d’autres voies bien établies par lesquelles un demandeur peut obtenir des mesures de redressement pécuniaire auprès de tribunaux en ce qui concerne les pratiques commerciales trompeuses. L’absence de recours ouvrant droit à des mesures de redressement pécuniaire à la portée des parties privées en vertu des dispositions de la Loi relatives aux pratiques commerciales trompeuses (au-delà de la réparation traditionnelle par restitution, qui n’est disponible que dans certains cas) peut dissuader les parties d’utiliser cette voie.

Le commissaire a donné la priorité à l’application des dispositions relatives aux pratiques commerciales trompeuses. Il a récemment remporté une victoire importante lorsque le Tribunal a imposé à Cineplex une sanction record de 38,9 millions de dollars. Le Tribunal a conclu que Cineplex s’est livrée à une stratégie d’indication de prix partiel, qui est contraire aux dispositions relatives aux pratiques commerciales trompeuses, en ajoutant des frais de réservation en ligne obligatoires de 1,50 $.

On s’attend à ce que l’écoblanchiment fasse l’objet de plaintes pour pratiques commerciales trompeuses. Pour obtenir plus de détails sur les allégations d’écoblanchiment, consultez notre article dans les Perspectives juridiques Osler.

Renforcement du régime d’examen relatif à la sécurité nationale des investissements étrangers

Le gouvernement canadien continue d’accorder une importance grandissante aux répercussions que les investissements étrangers peuvent avoir sur la sécurité nationale. En 2025, le gouvernement fédéral devrait achever l’élaboration de règlements en application de la LIC, qui sont nécessaires à l’établissement d’un régime d’examen relatif à la sécurité nationale obligatoire avant la clôture. Ce nouveau régime s’appliquera aux investissements non passifs dans des secteurs d’activité sensibles.

Les modifications à la LIC, qui ont été déposées en décembre 2022, mais qui ne sont pas encore en vigueur, créent un régime de dépôt obligatoire préalable à la clôture à l’intention des non-Canadiens qui proposent d’acquérir directement ou indirectement, en tout ou en partie, une entité qui exerce des activités au Canada, qui a des employés ou des travailleurs à leur compte au Canada ou qui utilise des actifs au Canada pour l’exploitation de l’entité. Il y aura obligation de dépôt lorsque l’entité exerce une activité commerciale réglementaire, l’acquéreur non canadien pourrait avoir accès à des renseignements techniques importants ou à des biens importants qui ne sont pas accessibles au public ou à des actifs importants, ou en contrôler l’utilisation, et l’acquéreur non canadien obtiendrait le pouvoir de nommer ou de recommander la nomination de personnes comme des membres du conseil d’administration ou de la haute direction de l’entité, ou certains droits particuliers visés par règlement. Les activités commerciales liées aux minéraux critiques, aux vaccins, aux semi-conducteurs, à l’informatique quantique, à la cybersécurité, à l’intelligence artificielle, aux technologies de l’information et à la collecte de données personnelles sont toutes susceptibles d’être touchées par le nouveau régime.

Le nouveau régime s’accompagnera de sanctions plus sévères en cas de non-conformité. Par suite des modifications, la pénalité actuelle augmenterait du double, soit 25 000 $ par jour et par infraction, et une pénalité discrétionnaire pouvant aller jusqu’à 500 000 $ serait également introduite en cas de non-respect de l’obligation de dépôt préalable à la clôture. Par le passé, les sanctions pécuniaires en cas de non-conformité à la LIC n’ont été que rarement imposées. Il pourrait en être autrement à l’avenir, en particulier lorsque le non-respect menace la sécurité nationale.

Possibles procédures judiciaires pour l’année à venir

Compte tenu des importantes modifications législatives en matière de concurrence et d’investissements étrangers ainsi que de l’importance continue accordée à la promotion de la concurrence et à la protection des intérêts en matière de sécurité nationale, les changements récents et à venir ne manqueront pas d’avoir des effets sur la conclusion de contrats et sur les procédures judiciaires. Les droits privés d’action pourraient élargir de façon importante la portée des litiges qui mettent en cause des entreprises canadiennes. Il est conseillé aux entreprises faisant affaire au Canada de se préparer au nouveau cadre d’application de la loi.