Auteurs(trice)
Associé, Affaires réglementaires, Autochtones et environnement, Calgary
Associé, Litiges, Calgary
Sociétaire, Litiges, Calgary
Dans un renvoi constitutionnel historique publié à la fin de 2023 (renvoi relatif à la LÉI), la majorité des juges de la Cour suprême du Canada ont conclu que le régime fédéral d’évaluation et de réglementation des grands projets d’exploitation des ressources et d’infrastructure du Canada était en grande partie inconstitutionnel, et ils ont demandé que la Loi sur l’évaluation d’impact (LÉI) soit modifiée d’une manière qui respecte la répartition constitutionnelle des pouvoirs entre les provinces et le gouvernement fédéral. Le Parlement et les provinces ont également été invités à chercher des « solutions coopératives » en vue de rétablir l’harmonie dans la réglementation des grands projets.
En avril, le Parlement a publié [PDF] des modifications qui, selon le ministre des Ressources naturelles, ont été apportées « d’une manière relativement chirurgicale ». Ces modifications sont toutes entrées en vigueur sans changement. Malheureusement, ces modifications n’établissaient pas les « solutions coopératives » auxquelles un certain nombre de promoteurs de projets s’attendaient à la suite du renvoi relatif à la LÉI, et il subsiste une grande incertitude quant au cadre réglementaire. En octobre 2024, Danielle Smith, première ministre de l’Alberta, a indiqué [PDF] que son gouvernement avait l’intention de lancer une nouvelle contestation judiciaire de la LÉI si 30 autres modifications majeures ne sont pas adoptées. La province a renvoyé [PDF] la LÉI modifiée à la Cour d’appel de l’Alberta. À l’instar du renvoi de 2019 qui a abouti au renvoi relatif à la LÉI, la province sollicite un avis sur la question de savoir si la LÉIet ses règlements sortent du cadre de la compétence législative fédérale. Dans ce second renvoi, l’Alberta demande également si la loi modifiée peut être considérée comme inapplicable dans la mesure où son application porterait atteinte au pouvoir législatif provincial.
L’incertitude entourant les litiges à venir est exacerbée par la perspective d’élections fédérales d’ici octobre 2025. Un changement de gouvernement semblant possible, voire probable, on pourrait assister en 2025 à une autre révision du rôle du gouvernement fédéral dans la réglementation des grands projets d’exploitation des ressources et d’infrastructure. Les parties intéressées doivent se tenir aux aguets et veiller à ce qu’il soit tenu compte de leurs préoccupations dans le processus de réforme législative.
Si le régime de la LÉI reste en place, les promoteurs de grands projets intraprovinciaux doivent s’attendre à ce que le gouvernement fédéral joue un rôle plus modeste dans l’évaluation et la réglementation des projets qui sont principalement de compétence provinciale. Les promoteurs doivent surveiller d’éventuelles incursions fédérales dans les champs de compétence provinciale en vertu de la LÉI.
En ce qui concerne les projets sous réglementation fédérale, comme les projets d’installations nucléaires, hydroélectriques et extracôtiers, les organismes de réglementation fédéraux ont manifesté leur volonté de prouver que la LÉI n’est pas un obstacle à la réalisation de grands projets dans les délais impartis. C’est particulièrement le cas pour les projets portant sur les ressources renouvelables et les minéraux critiques. Il est donc possible que des perspectives de coopération voient le jour si les critiques adressées au gouvernement fédéral l’incitent à prouver qu’il est en mesure d’établir de « meilleures règles ».
Modifications progressives d’un régime problématique
Dans sa version modifiée, la LÉI continue d’interdire au promoteur d’un projet désigné de prendre des mesures susceptibles d’entraîner des « effets négatifs relevant d’un domaine de compétence fédérale », tant que le projet n’a pas fait l’objet d’une évaluation d’impact ou qu’il n’en est pas exempté par une décision d’examen préalable. Une définition révisée des « effets négatifs » a légèrement réduit la portée auparavant très large et problématique des « effets relevant du domaine de compétence fédérale ». Selon la nouvelle définition, les effets interdits doivent désormais être à la fois « négatifs » et « non négligeables ». En outre, la liste des changements environnementaux interdits susceptibles de justifier un examen en vertu de la LÉI ne comprend plus les effets extraprovinciaux des émissions de gaz à effet de serre ou d’autres pollutions atmosphériques. Par conséquent, les décideurs ne peuvent plus exiger des évaluations ou imposer des conditions à l’égard de projets en se fondant uniquement sur les émissions prévues.
La LÉI modifiée prévoit en outre qu’une évaluation d’impact ne peut être exigée que si l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (AEIC) est d’avis que le projet désigné est susceptible d’entraîner des effets négatifs relevant d’un domaine de compétence fédérale. Cette modification pourrait limiter le pouvoir discrétionnaire de l’AEIC d’ordonner une évaluation d’impact à l’égard d’un projet qui ne cause aucun préjudice important aux poissons ou aux oiseaux migrateurs ou ayant d’autres « effets négatifs relevant d’un domaine de compétence fédérale ». Les promoteurs de projets qui atténuent les impacts dans ce domaine pourraient éventuellement contester avec succès les décisions suivant l’examen préalable de l’AEIC.
Un changement de gouvernement semblant possible, voire probable, on pourrait assister en 2025 à une autre révision du rôle du gouvernement fédéral dans la réglementation des grands projets d’exploitation des ressources et d’infrastructure.
Toutefois, dans la pratique, il est peu probable que ces modifications entraînent des changements importants dans la façon dont l’AEIC administre la LÉI, compte tenu de la grande marge de manœuvre que la loi lui confère. L’incertitude persistera probablement pour les promoteurs qui veulent savoir si un projet peut causer un « changement négatif non négligeable » relativement à divers enjeux environnementaux relevant d’un domaine de compétence fédérale, notamment l’habitat des poissons, les oiseaux migrateurs ou les conditions sociales ou économiques des peuples autochtones du Canada. Il n’est pas certain qu’un projet puisse être soumis à un processus d’évaluation étalé sur des mois ou des années, ou même qu’il puisse être interdit dans son intégralité en raison d’un « changement négatif non négligeable » accessoire dans l’un de ces domaines. L’incertitude continue donc de planer quant à la constitutionnalité de la LÉI modifiée.
Modifications probables de l’évaluation d’impact fédérale
Avec les autres contestations juridiques en vue et un éventuel changement de gouvernement fédéral d’ici octobre 2025, le paysage réglementaire demeure incertain pour les promoteurs de projets. S’il est élu, le Parti conservateur fédéral apportera vraisemblablement des modifications à la LÉI qui occasionneront inévitablement des modifications du régime fédéral d’évaluation environnementale.
À titre d’exemple, parmi les modifications spécifiques [PDF] demandées par la première ministre de l’Alberta figure la suppression de l’interdiction de procéder à des projets désignés. Cette interdiction sous-tend actuellement l’ensemble du régime de la LÉI. Au lieu de cela, la première ministre Smith a demandé que des examens soient effectués uniquement lorsque des autorisations ou des décisions fédérales sont requises pour des projets désignés. Même s’il est peu probable que le gouvernement fédéral actuel mette en œuvre ces changements, le concept devrait occuper une place importante dans les prochaines discussions sur l’avenir de l’évaluation environnementale fédérale.
Au-delà de ses répercussions immédiates sur l’évaluation environnementale fédérale, le renvoi relatif à la LÉI a également soulevé des questions de compétence plus larges concernant l’intrusion du législateur fédéral dans des domaines de compétence provinciale en vertu d’autres lois fédérales sur l’environnement. C’est ce qui ressort de l’appel de la décision qui a été rendue l’année dernière par la Cour fédérale, au motif que cette décision en vertu de laquelle le gouvernement fédéral a ajouté les articles manufacturés en plastique à la liste des comme substances toxiques réglementées en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, était déraisonnable et inconstitutionnelle.
On s’attend également à ce que le règlement sur l’électricité propre, qui prévoit l’établissement d’un réseau électrique carboneutre dans l’ensemble des provinces d’ici 2035, fasse l’objet de contestations judiciaires, également au motif qu’il ne relève pas de la compétence législative fédérale.
Le projet de règlement publié fin 2024 établissant un plafond sur les émissions de gaz à effet de serre pour le secteur pétrolier et gazier a suscité d’autres propos enflammés de la part de la première ministre de l’Alberta, et il est presque certain qu’il donnera lieu à d’autres litiges constitutionnels s’il est adopté.
Pour en savoir plus sur le groupe Litiges et application des lois en matière d’environnement d’Osler.
En savoir plusEn 2025 et par la suite, on peut s’attendre à une incertitude juridique persistante concernant le rôle du gouvernement fédéral dans la réglementation du développement des infrastructures et des ressources intraprovinciales. Le renvoi relatif à la LÉI a confirmé que, à l’exception des activités réglementées par le gouvernement fédéral comme l’hydroélectricité et le nucléaire, les provinces sont les principales autorités responsables de l’évaluation et de l’approbation de nouveaux projets à l’intérieur de leurs frontières.
Chaque province canadienne dispose d’une législation bien établie en matière d’évaluation d’impact sur l’environnement. De ce fait, les promoteurs doivent s’attendre à ce que les politiques et procédures provinciales soient au premier plan des processus d’évaluation et d’approbation. La participation du gouvernement fédéral sera axée : sur l’atténuation des impacts dans des domaines relevant de la compétence fédérale, tels que les poissons et leur habitat; sur certains impacts transfrontaliers sur l’eau; et sur les impacts sur le territoire domanial. Si d’autres processus fédéraux ou provinciaux permettent déjà d’évaluer ces impacts et d’y faire face, l’assujettissement de projets à une évaluation fédérale pourrait faire l’objet de contestations juridiques.