Auteurs(trice)
Associé, Droit des sociétés, Toronto
Associé, Fiscalité, Toronto
Avocat-conseil, Litiges, Toronto
Sociétaire, Droit de la concurrence et investissement étranger, Toronto
Sociétaire, Litiges, Toronto
À l’approche de 2025, l’évolution des obligations relatives à la production de rapports aux termes de la Loi sur l’esclavage moderne, à la vérification diligente des chaînes d’approvisionnement et au respect des droits de la personne en 2024 souligne la nécessité pour les entreprises d’être au courant de tous les enjeux de conformité dans l’ensemble de leurs chaînes d’approvisionnement, ainsi que des risques accrus découlant du défaut de l’être. En raison de l’attention soutenue portée à ce domaine, on doit s’attendre à une application plus rigoureuse de la loi au cours des prochaines années.
Pour atténuer les risques de conséquences juridiques et de dommages réputationnels, il est essentiel que les entreprises sachent où et avec qui elles font affaire, aient en place des procédures et des processus permettant de traiter ces questions et mettent régulièrement à jour l’information obtenue.
Obligations de signaler les cas d’esclavage moderne et de procéder à une vérification diligente
Comme nous l’avons vu dans notre article précédent de la revue Perspectives juridiques Osler, le 1er janvier 2024, la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement du Canada (Loi sur l’esclavage moderne) est entrée en vigueur. La Loi ([*lien vers l’article d’interdiction d’importation]) crée notamment une obligation de faire rapport pour certaines entités publiques et privées qui produisent ou importent des marchandises au Canada ou qui contrôlent des entités qui produisent ou importent des marchandises au Canada.
La date butoir pour le dépôt des premiers rapports des entités et des institutions déclarantes était le 31 mai 2024. Selon un rapport déposé au Parlement par le ministre de la Sécurité publique, des Institutions démocratiques et des Affaires intergouvernementales, 5 795 rapports avaient été déposés le 31 mai, 5 650 par des entités du secteur privé et 145 par des institutions gouvernementales. Le ministre tient un registre des rapports déposés.
Afin de faciliter la première série de rapports, Sécurité publique Canada a publié des Lignes directrices d’interprétation à la mi-décembre 2023 et les a mises à jour en mars puis en novembre 2024. La mise à jour de novembre tient compte des commentaires fournis à Sécurité publique Canada par les entités et d’autres participants à la préparation des rapports aux termes de la Loi sur l’esclavage moderne. La mise à jour répond à certaines des questions les plus courantes soulevées au cours du premier cycle de production de rapports, mais en laisse d’autres dans une certaine ambiguïté. Entre autres choses, les lignes directrices indiquent que seules les entités qui produisent ou importent des marchandises au Canada ou qui contrôlent une autre entité qui produit ou importe des marchandises au Canada sont tenues de faire rapport en vertu de la Loi. Il s’ensuit que, malgré certaines dispositions expresses de la Loi à l’effet contraire, les entités qui ne font que vendre ou distribuer des marchandises ne sont pas tenues de faire rapport.
Compte tenu du délai relativement court entre l’entrée en vigueur de la Loi sur l’esclavage moderne et la date butoir pour le dépôt des premiers rapports, Sécurité publique Canada, qui supervise la conformité, a indiqué qu’elle accordait la priorité à la sensibilisation plutôt qu’aux mesures d’application de la loi au moins pendant la première année de production des rapports. Il est probable que Sécurité publique Canada continuera de mettre l’accent sur la sensibilisation plutôt que sur l’application de la loi au cours du prochain cycle de production de rapports, même si aucune ligne directrice définitive n’a été fournie à cet égard.
La Loi sur l’esclavage moderne est principalement une loi de signalement, mais elle comprend également une interdiction d’importation et un cadre d’application de la loi. Les entités et institutions visées doivent faire rapport sur les questions couvertes par la Loi, mais elles ne sont pas tenues de prendre des mesures particulières quant à la vérification diligente des chaînes d’approvisionnement ou aux droits de la personne. La Loi s’appuie donc sur la transparence pour encourager les pratiques exemplaires, comme le reconnaît le gouvernement dans son Résumé législatif [PDF]. De cette façon, l’approche du Canada pour atténuer le risque de travail forcé et de travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement diffère de celle de certains autres pays occidentaux, comme l’Allemagne et la France, qui ont mis en œuvre des cadres législatifs axés sur la vérification diligente. Les lois axées sur la vérification diligente, contrairement aux lois priorisant la production de rapports, exigent que les entités visées prennent certaines mesures pour prévenir le travail forcé dans leurs entreprises et leurs chaînes d’approvisionnement.
Le gouvernement a fait part de son intention de présenter un projet de loi qui imposerait des exigences en matière de vérification diligente des chaînes d’approvisionnement aux entités et aux institutions visées. Il a également l’intention de renforcer l’interdiction d’importer des produits issus du travail forcé. Les entités et les institutions auxquelles s’applique la nouvelle loi pourraient ainsi avoir à prendre des mesures positives pour prévenir le risque de travail forcé ou de travail des enfants dans leurs chaînes d’approvisionnement. Aucun projet de loi en ce sens n’a été déposé jusqu’à maintenant, mais le gouvernement fédéral avait déjà annoncé son intention de le faire avant 2024. Cet engagement a été réitéré dans le budget de 2024.
Compte tenu du climat politique actuel, il est difficile de dire si de telles mesures feront effectivement l’objet d’un projet de loi à court terme. À tout le moins, il est probable que les questions relatives aux droits de la personne et à la vérification diligente dans les chaînes d’approvisionnement demeureront à l’ordre du jour en 2025. Il est fortement recommandé aux entreprises de porter une attention particulière à leurs chaînes d’approvisionnement et à leurs programmes de conformité, étant donné qu’il s’agit d’un domaine qui suscite beaucoup d’attention à l’échelle mondiale.
Ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises
Créé en 2019, le bureau de l’Ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (OCRE) a pour mandat de permettre aux gens de déposer des plaintes concernant d’éventuelles atteintes aux droits de la personne commises par des entreprises canadiennes exerçant leurs activités à l’extérieur du Canada dans les secteurs du vêtement, des mines et du pétrole et du gaz. L’OCRE a connu une hausse de ses activités en 2024. Plus particulièrement, l’organisme a publié ses deux premiers rapports finaux sur des enquêtes terminées.
Il est fortement recommandé aux entreprises de porter une attention particulière à leurs chaînes d’approvisionnement et à leurs programmes de conformité, étant donné qu’il s’agit d’un domaine qui suscite beaucoup d’attention à l’échelle mondiale
Le premier rapport concerne Dynasty Gold Corporation, une société minière établie à Vancouver. Le rapport conclut qu’il y a eu atteinte aux droits de la personne à la mine Hatu Qi-2, en Chine, dans laquelle Dynasty détient une participation majoritaire. Le deuxième rapport vise Hugo Boss Canada Inc. L’OCRE a annoncé avoir mis fin à l’examen d’une plainte concernant des relations présumées avec des entreprises chinoises susceptibles d’avoir recours au travail forcé des Ouïghours ou d’en tirer avantage, compte tenu d’un règlement à l’amiable intervenu entre les plaignants et la société dans le cadre d’un processus de mode alternatif de résolution des différends.
Dans son rapport pour la période allant du 1er janvier 2024 au 31 mars 2024, l’OCRE présente plusieurs statistiques importantes sur ses activités. Le rapport révèle que 60 nouvelles demandes de renseignements ont été reçues au cours du trimestre. Au total, 22 plaintes actives sont en cours d’examen. Les plaintes concernent des activités menées dans divers pays du monde, notamment en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud.
À la fin du mandat initial de cinq ans de Sheri Meyerhoffer comme ombudsman, un nouvel ombudsman intérimaire, Masud Husain, a été nommé. On ne sait pas trop quelle incidence le changement de direction au sein de l’équipe de l’OCRE pourrait éventuellement avoir sur les enquêtes et l’approche pour l’avenir. Toutefois, il est clair que le mandat de l’OCRE se poursuit activement avec un grand intérêt de la part des plaignants et une liste active d’enquêtes. Les entreprises qui ne disposent pas de solides programmes de surveillance et de conformité des chaînes d’approvisionnement pourraient risquer de faire l’objet d’un examen minutieux de l’OCRE.
Le contrôle des chaînes d’approvisionnement ne se limite pas aux droits de la personne
Peu importe qu’un nouveau projet de loi sur la vérification diligente dans les chaînes d’approvisionnement soit présenté, il semble que la tendance vers un contrôle accru des entreprises et des chaînes d’approvisionnement ne s’estompe pas. Ce contrôle ne se limite pas aux questions de droits de la personne. Les entreprises s’exposent à des risques liés à toutes les formes de crimes économiques au sein des chaînes d’approvisionnement, comme la corruption, le blanchiment d’argent et les violations de sanctions. Il est évident que les entreprises qui n’appliquent pas de mesures de conformité adéquates dans l’ensemble de leurs chaînes d’approvisionnement peuvent s’exposer à d’importants risques criminels, civils, commerciaux et réputationnels.
Ces risques sont mis en évidence dans une cause civile où un tribunal du sud de la Floride a condamné Chiquita Brands International à verser une indemnité de 38,3 millions de dollars américains en juin 2024 pour des montants versés à une organisation paramilitaire colombienne. Les risques sont également exemplifiés par le dépôt d’accusations en France contre une grande entreprise industrielle et huit personnes, dont l’ancien chef de la direction, des gestionnaires et des intermédiaires syriens. Les accusations concernent le financement d’activités terroristes et des violations de sanctions en lien avec les activités de l’entreprise en Syrie.
Recommandations de conformité pour l’avenir
Les mesures de conformité devraient être personnalisées en fonction des risques auxquels chaque entreprise s’expose et des ressources disponibles. Il n’existe aucune approche universelle. Toutefois, les entreprises peuvent prendre plusieurs mesures pour promouvoir la conformité dans l’ensemble de leurs chaînes d’approvisionnement.
En savoir plus sur le groupe Facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) d’Osler.
En savoir plusSurtout, les entreprises devraient établir, réviser et mettre à jour des politiques et des procédures fixant clairement les attentes en matière d’éthique professionnelle à l’intention de tous leurs représentants, y compris les employés, administrateurs, dirigeants et représentants indépendants. Le non-respect de ces procédures devrait donner lieu à des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement. Selon la nature et le profil de risque de l’entreprise, il peut être approprié de mettre en œuvre un code de conduite officiel des fournisseurs ou d’élargir formellement les obligations qui incombent aux fournisseurs et aux entrepreneurs dans le cadre des politiques internes.
Lorsqu’elles traitent avec des parties contractantes, les entreprises devraient avoir des politiques et des processus d’approvisionnement formels, dont des procédures de connaissance du client. Elles devraient toujours connaître les parties contractantes avec lesquelles elles font affaire. Diverses mesures, dont les vérifications, peuvent être utilisées pour atteindre cet objectif. Les processus formels peuvent comprendre des questionnaires destinés aux fournisseurs et la vérification connexe. L’information obtenue devrait être mise à jour périodiquement. Un examen plus approfondi peut être effectué au moyen de droits d’audit codifiés dans les contrats d’approvisionnement. Les conventions d’approvisionnement devraient aussi contenir des déclarations et des garanties de conformité appropriées. Le non-respect ou la violation de ces exigences pourrait constituer un motif de rupture de la relation commerciale.
À l’instar de tout programme de conformité, une formation devrait être offerte pour s’assurer que les employés et les représentants sont au courant de leurs obligations en matière de conformité aux termes des politiques applicables. S’il y a lieu, les entreprises peuvent également envisager d’offrir cette formation aux fournisseurs et aux entrepreneurs. À l’approche de 2025, dans un contexte de contrôle gouvernemental accru, ces mesures revêtent de plus en plus d’importance pour les entreprises qui doivent s’assurer de la conformité dans l’ensemble de leurs chaînes d’approvisionnement.