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Associé, Concurrence, commerce international et investissement étranger, Toronto
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Sociétaire, Droit de la concurrence, du commerce et de l’investissement étranger, Toronto
Sociétaire, Concurrence, commerce et investissement étranger, Toronto
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Deux tendances générales en droit commercial ont pris de l’ampleur tout au long de 2024 et poseront vraisemblablement d’importants défis aux entreprises l’an prochain et au cours des années suivantes.
Premièrement, la progression des politiques commerciales protectionnistes à l’échelle mondiale provoque des représailles et donne à penser que le recul des régimes commerciaux fondés sur des règles se poursuivra. Deuxièmement, de nombreux pays renforcent leurs régimes de conformité à la réglementation. Bon nombre de ces régimes ont des objectifs légitimes, comme le respect des traités internationaux, l’atténuation du risque de contournement des sanctions et la lutte contre le travail forcé dans les chaînes d’approvisionnement. D’autres, en revanche, reflètent une tendance au protectionnisme. Quelles que soient les motivations qui les sous-tendent, ces régimes peuvent sensiblement alourdir le fardeau réglementaire des entreprises.
Les entreprises qui exercent des activités commerciales transfrontalières doivent être de plus en plus conscientes de ces défis et intervenir en amont pour être en mesure de gérer le risque de conformité dans l’avenir, de composer avec le fardeau réglementaire grandissant, auquel s’ajoutent de nouvelles exigences, et de tirer parti des occasions.
Montée du protectionnisme et recul du commerce fondé sur des règles
L’érosion, en cours depuis quelques années, de la libéralisation des échanges et des échanges fondés sur des règles ne donne pas de signes de ralentissement. Dans un contexte d’intensification des tensions politiques et économiques à l’échelle internationale, un plus grand nombre de pays, dont le Canada, adoptent des politiques commerciales protectionnistes ou mercantilistes. Cette tendance fera croître les risques pour les entreprises en 2025. En 2024, le phénomène du protectionnisme s’est traduit, par exemple, par l’imposition de surtaxes sur les importations, un recours accru aux droits de douane et des mesures de représailles.
Surtaxes canadiennes sur les importations en provenance de la Chine
En réaction à la politique industrielle et à la surcapacité de la Chine, qui touchent des secteurs politiquement et économiquement importants, le Canada arrime sa réponse politique aux importations chinoises à celle des États-Unis en imposant unilatéralement des « surtaxes » — en fait, des droits de douane — sur les produits d’origine chinoise.
En octobre 2024, après la tenue de brèves consultations publiques, le Canada a commencé à imposer des surtaxes de 100 % sur les véhicules électriques (VE) chinois et des surtaxes de 25 % sur les produits d’acier et d’aluminium en provenance de la Chine. D’autres surtaxes devraient entrer en vigueur en 2025, notamment les surtaxes proposées sur les importations en provenance de la Chine qui pourraient nuire à la croissance et à la sécurité de ce que le gouvernement canadien appelle les « secteurs essentiels à la fabrication » pour la transition vers la carboneutralité. Il s’agit notamment des secteurs liés aux batteries au lithium-ion et à leurs pièces, aux semi-conducteurs, aux panneaux solaires et aux minéraux critiques. L’imposition de surtaxes s’inscrit dans les politiques industrielles et commerciales adoptées par le Canada, de concert avec des pays alliés, en particulier les États-Unis.
Tout comme les surtaxes initiales, les surtaxes proposées ont fait l’objet de brèves consultations publiques et seront probablement calquées sur les droits de douane de l’article 301, parachevé par l’administration Biden en septembre 2024. Ces surtaxes poseront aux entreprises des défis au chapitre de l’administration, du commerce et des chaînes d’approvisionnement. Entre autres motifs de préoccupation, on ne sait pas clairement si les règles déterminant l’origine chinoise des marchandises peuvent être appliquées en cohérence avec les règles d’origine énoncées dans les accords de libre-échange du Canada. De plus, il pourrait être difficile d’honorer les contrats commerciaux préexistants. Selon le gouvernement fédéral, certaines de ces conséquences seront en grande partie allégées par des décrets de remise. Enfin, d’importantes questions se posent quant à l’existence et à la suffisance de sources d’approvisionnement de rechange en certains produits ciblés.
Droits de douane généraux des États-Unis
Le président élu Trump a promis d’imposer des droits de douane de 20 % ou plus sur tous les produits importés aux États-Unis. Le Canada n’est pas la cible désignée de ces mesures; il serait peut-être exonéré d’une partie ou de la totalité de ces tarifs. Toutefois, si le Canada n’en était pas dispensé, ces droits de douane auraient des conséquences profondes et perturbatrices pour le commerce et le secteur de la fabrication au Canada, compte tenu de sa dépendance au marché américain des exportations, de l’intégration des chaînes d’approvisionnement nord-américaines et de l’absence de marchés de rechange adéquats pour les produits canadiens.
Mesures unilatérales
Le gouvernement chinois a porté plainte devant l’Organisation mondiale du commerce contre les surtaxes canadiennes sur les VE, l’acier et l’aluminium chinois. La Chine a également exercé des représailles à l’égard de ces surtaxes en ouvrant une enquête antidumping sur le canola canadien qu’elle importe. Le canola représente un marché d’exportation de plusieurs milliards de dollars pour les agriculteurs et les négociants en produits agricoles canadiens. Si le Canada allait de l’avant avec son projet d’imposition de surtaxes supplémentaires sur des produits « essentiels à la fabrication », il est très probable que la Chine exercerait d’autres représailles contre les exportations canadiennes. Les produits agricoles et les autres produits pour lesquels il existe des substituts ou des sources d’approvisionnement de rechange ailleurs au monde seront particulièrement vulnérables à d’éventuelles représailles.
L’érosion, en cours depuis quelques années, de la libéralisation des échanges et des échanges fondés sur des règles ne donne pas de signes de ralentissement.
Faute de progrès à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en vue de trouver une solution multilatérale à la taxation des services numériques transfrontaliers, le Canada a adopté une taxe unilatérale sur les services numériques en juin 2024. Cette taxe cible les grands fournisseurs de services multinationaux. Les États-Unis ont entamé un processus de contestation de cette taxe en vertu de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique. Toutefois, des représailles unilatérales de la part des États-Unis, sous forme de droits de douane tels qu’ils sont prévus à l’article 301, demeurent possibles. Nous présentons des renseignements supplémentaires concernant la taxe sur les services numériques dans notre article sur la fiscalité internationale.
Risques et fardeau accrus en matière de conformité à la réglementation
Renforcement des sanctions économiques
Les sanctions économiques demeurent un outil de prédilection en matière de politique étrangère pour les divers gouvernements, y compris le gouvernement du Canada. En 2024, le Canada a renforcé les sanctions existantes, notamment à l’encontre de la Russie, et en a imposé de nouvelles.
Les entreprises et la communauté juridique du Canada ont demandé des directives plus éclairantes en ce qui concerne le respect des sanctions. Malheureusement, la plupart des directives communiquées à ce jour sont anodines et esquivent manifestement les multiples questions d’interprétation épineuses soulevées par le libellé utilisé dans les principaux instruments juridiques. En avril 2024, le gouvernement a toutefois tenté de donner suite à ces demandes en mettant à jour sa page de la foire aux questions (FAQ) afin de fournir de nouvelles directives sur les sanctions économiques autonomes du Canada. Bien que cette FAQ aborde certaines questions, elle comporte aussi des interprétations de certains concepts juridiques (dont la « propriété » et le « contrôle ») qui créent de nouvelles ambiguïtés plutôt que d’apporter les éclaircissements souhaités.
L’alourdissement des sanctions pourrait amener les entreprises à accorder plus d’importance à la conformité. Les modifications apportées à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes du Canada, entre autres, habiliteront le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile à créer un régime de sanctions administratives pécuniaires afin de promouvoir le respect des exigences en matière de déclaration applicables aux marchandises importées et exportées. Des renseignements détaillés sur ces modifications sont présentés dans l’une de nos Perspectives juridiques (en anglais seulement) traitant de l’évolution de la lutte contre le blanchiment d’argent.
Compte tenu de l’intensification des tensions géopolitiques, les gouvernements du monde entier resserrent également les restrictions à l’exportation d’articles d’importance stratégique. Par exemple, le Canada a emboîté le pas aux États-Unis, au Royaume-Uni et aux membres de l’UE et renforcé les contrôles à l’exportation des ordinateurs quantiques et des semi-conducteurs de pointe. Il est prévisible que d’autres restrictions soient imposées en 2025, particulièrement sur les exportations vers la Chine.
Travail forcé et contrôle diligent des chaînes d’approvisionnement
Comme nous l’expliquons dans notre article des Perspectives juridiques concernant les chaînes d’approvisionnement, la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement du Canada est entrée en vigueur en 2024. Cette loi prévoit l’obligation de faire rapport pour certaines entités admissibles et l’interdiction actuelle d’importer au Canada des produits issus du travail forcé.
Le 16 octobre 2024, le gouvernement a annoncé la poursuite de ces efforts et son intention de raffermir l’application de l’interdiction d’importation actuelle. Des consultations sont en cours et le gouvernement a proposé plusieurs nouvelles mesures, notamment la création d’un processus de « traçabilité minimale » de la chaîne d’approvisionnement, la publication d’une liste des marchandises à risque élevé et l’application de dispositions relatives à l’inversion du fardeau de la preuve aux termes desquelles les importateurs seraient tenus de fournir des renseignements sur la chaîne d’approvisionnement de certaines importations. Dans le cadre de ces consultations, le gouvernement a également proposé que, dans les cas où il est établi que la fabrication de marchandises a fait appel au travail forcé, l’importateur prenne en charge tous les coûts associés à la détention, à l’enlèvement, à l’abandon et à la confiscation de ces marchandises.
Nouveaux changements relatifs à la valeur en douane
Des changements importants au Règlement sur la valeur en douane du Canada, initialement proposés en 2023, demeurent en suspens. Ces propositions continuent de susciter de l’incertitude auprès des importateurs canadiens. Les modifications proposées entraîneraient l’imposition d’une nouvelle règle de « dernière vente » pour déterminer la valeur en douane. Cette règle exigerait que l’évaluation de la valeur des marchandises importées aux fins de la douane soit fondée sur la dernière vente de la série d’opérations ayant mené à l’importation des marchandises. Il en résulterait une augmentation de la valeur utilisée pour le calcul des droits de douane sur les produits importés et, par conséquent, du montant total des droits de douane et des taxes sur les produits.
L’un des buts déclarés de ces modifications est « d’équilibrer les règles du jeu » entre les importateurs canadiens et les importateurs non résidents. L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a fait valoir que les importateurs non résidents bénéficiaient à tort de la possibilité de déclarer un coût d’acquisition moins élevé découlant d’une opération antérieure effectuée hors du Canada. Les modifications proposées s’appliqueraient aussi aux produits importés par des importateurs résidents.
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En savoir plusL’ASFC a mené des consultations au sujet de ces modifications au début de 2023, mais n’a publié ses commentaires qu’en mai 2024. Des intervenants de l’industrie ont fait remarquer que ces modifications entraîneraient des hausses de coûts qui seraient répercutées sur les consommateurs et qu’elles pourraient aller à l’encontre des obligations internationales du Canada. L’ASFC a indiqué qu’elle collaborait avec les rédacteurs de la réglementation pour remédier aux problèmes signalés dans les consultations. Nous nous attendons à ce que cette question revête de l’importance en 2025, après que l’ASFC aura terminé la mise en œuvre de son nouveau système de gestion des cotisations et des recettes.
Nouvelles exigences de déclaration pour l’acier et l’aluminium
Depuis le 5 novembre 2024, les importateurs de certains produits sidérurgiques sont tenus de déclarer le pays « de fonte et de coulage » de l’acier. La délivrance des licences générales d’importation nos 80 et 81, couramment utilisées pour les produits d’acier ordinaires et spécialisés, est conditionnelle à la communication de ces renseignements à l’ASFC par les importateurs. Ces renseignements diffèrent des renseignements relatifs au pays d’origine. Par conséquent, cette modification impose un fardeau réglementaire supplémentaire aux importateurs.
Cette nouvelle exigence de déclaration fait suite à l’ajout, en 2020, des produits d’acier et d’aluminium sur la Liste des marchandises d’importation contrôlée du Canada. Cette mesure avait pour but de recueillir des renseignements sur ces produits, conformément à une entente canado-américaine visant l’élimination des tarifs des États-Unis sur l’acier et l’aluminium canadiens en vertu de l’article 232. L’exigence de fournir des renseignements sur le pays de fonte et de coulage laisse entrevoir l’imposition de nouvelles restrictions sur les importations de marchandises comportant des intrants chinois afin de réagir aux tentatives de contournement des restrictions sur les importations d’acier de la Chine, notamment les surtaxes du Canada et les droits de douane des États-Unis prescrits à l’article 301.
Pour la suite
L’année 2024 s’est déroulée sous le signe de tensions internationales et d’incertitude nationale. Les gouvernements se sont repliés sur eux-mêmes, adoptant des politiques protectionnistes. Il serait bon que les entreprises se préparent à faire face à l’incertitude persistante et à l’alourdissement du fardeau réglementaire en 2025. Les entreprises peuvent se préparer à ces changements d’orientation politique en prenant diverses mesures, notamment la diversification des chaînes d’approvisionnement, le rapatriement de l’expertise en matière de conformité, le renforcement du contrôle diligent des tiers, mais aussi et peut-être surtout, le maintien du suivi de l’évolution de la situation.