Auteurs(trice)
Vancouver Managing Partner and Co-Chair, Emerging and High Growth Companies Group
Associée, Sociétés émergentes et à forte croissance, Vancouver
Stagiaire en droit, Vancouver
À mesure que la poussière retombait sur le paysage du capital de risque post-pandémique en 2024, des occasions et des défis ont émergé pour les gestionnaires de fonds de capital de risque et les entreprises technologiques au Canada. L’écosystème de l’innovation s’est progressivement adapté à une nouvelle normalité en ce qui concerne les ratios de valorisation et la dynamique des opérations. Malgré les difficultés omniprésentes à mobiliser des capitaux dans l’ensemble du secteur technologique, on observe des réussites notables et des tendances qui signalent une reprise et une régénération imminentes.
Pour tirer parti de cette reprise et atténuer les risques de volatilité future des marchés, les investisseurs et les entrepreneurs doivent adopter une approche proactive. Dans le cas des fonds de capital de risque, cela veut dire sélectionner les gagnants au sein de leurs portefeuilles existants et affecter des réserves liquides aux placements générant les meilleurs rendements. Parallèlement, cela signifie diversifier leurs portefeuilles avec de nouveaux placements, en tenant compte des progrès technologiques comme l’intelligence artificielle. Dans le cas des entreprises technologiques en démarrage et en phase de croissance, cela veut dire mettre l’accent sur la création de modèles d’affaires évolutifs et durables et sur la démonstration de voies claires vers la rentabilité.
Les conseils d’administration et les équipes de direction doivent évaluer les différentes options stratégiques de manière proactive et être fin prêts à transiger avec leur équipe de conseillers et à donner accès à leur salle de données dès l’instant où une occasion de financement ou d’acquisition se présente.
Dynamique des opérations de financement pour les sociétés de capital de risque
Les entreprises technologiques en quête d’investisseurs n’ont pas été les seules à se démener en 2024. Les fonds de capital de risque ont aussi dû composer avec un environnement fort difficile. Les commanditaires nationaux et internationaux ont montré une certaine hésitation à prendre des engagements avec des fonds de capital de risque canadiens et ont exigé la preuve d’un certain dynamisme dans la sphère des financements avant d’accepter d’avancer de nouveaux fonds. Il n’est donc pas surprenant que les gestionnaires de fonds aient dû mettre en œuvre des procédés étendus de vérification diligente avec les commanditaires potentiels. Les commandités ont également été contraints de repousser les calendriers de leurs campagnes de mobilisation de capitaux.
Malgré les obstacles macroéconomiques, notamment un contexte de taux d’intérêt relativement élevés, les fonds de capital de risque ont offert de belles perspectives aux commandités qui inspiraient la confiance des investisseurs ou avaient une solide feuille de route en matière de rendements. Parmi eux, on peut citer Amplitude Ventures, qui a recueilli 263 millions de dollars canadiens pour son deuxième fonds dédié à la médecine de précision, Pangaea Ventures, qui a levé 115 millions de dollars canadiens pour un fonds à vocation sociale, Radical Ventures, qui a constitué un fonds de croissance axé sur l’intelligence artificielle de 800 millions de dollars américains, et Pender Ventures, qui a mené à bien la deuxième phase de son fonds Inflection Fund II de 100 millions de dollars canadiens.
De nouveaux venus gestionnaires de fonds se sont également aventurés sur le marché du capital de risque en 2024 dans le but louable de lever des fonds pour des fondateurs et des entreprises à vocation sociale sous-représentés. Cette nouvelle vague a été favorisée par le soutien accru découlant d’initiatives gouvernementales, notamment l’Initiative de catalyse du capital de risque (ICCR), qui a annoncé un investissement supplémentaire de 25 millions de dollars canadiens dans cinq fonds de capital de risque au Canada dans le cadre de son volet de croissance inclusive. Le Fonds de finance sociale du gouvernement fédéral, géré notamment par Boann Social Impact, a été particulièrement actif. Il a annoncé de nombreux engagements de financement visant des retombées sociales, notamment envers BKR Capital, Active Impact, The51 Food and AgTech et Raven Indigenous Outcomes.
Cette augmentation du financement gouvernemental contraste avec les conclusions d’un récent rapport de BDC Capital selon lequel de nombreuses sociétés de capital de risque n’accordent plus aux initiatives environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) la priorité qu’elles leur accordaient les années précédentes. Cela souligne l’importance pour les entreprises et les fonds à vocation sociale non seulement de donner la priorité aux retombées sociales et environnementales, mais aussi de répondre aux attentes des investisseurs en ce qui concerne le résultat net.
Pour les fonds de capital de risque, les modalités des opérations sont restées relativement inchangées par rapport aux normes historiques. La règle de rémunération des « deux et vingt », soit des frais de gestion annuels de 2 % et une prime de performance de 20 %, est demeurée largement inchangée, bien que l’on ait constaté un léger mouvement à la hausse des frais de gestion pour les fonds de capital de risque offrant du microfinancement. Les taux de rendement composés des actions privilégiées sont demeurés dans la fourchette de 6 % à 8 %. Les commanditaires doivent ainsi obtenir un certain niveau de rendement sur leur investissement, ou un taux de rendement minimum, avant que les commandités ne puissent participer au rendement des investissements du fonds. Les gestionnaires de fonds de longue date ont pu négocier avec leurs investisseurs des engagements situés dans la partie inférieure de cette fourchette. Les gestionnaires de fonds émergents ont continué d’obtenir des engagements situés dans la partie supérieure, en attendant la preuve qu’ils peuvent réaliser leur thèse de placement.
Le retour des mégaopérations : diminution du volume, augmentation de la valeur
En 2024, le volume des opérations de financement par capital de risque a diminué d’une année sur l’autre. Cette diminution a été quelque peu compensée par l’augmentation de la valeur moyenne des opérations au Canada pour l’année. Selon les données de marché de l’Association canadienne du capital de risque et d’investissement (CVCA) pour les trois premiers trimestres de 2024, le Canada a connu une baisse inégalée des opérations de financement d’amorçage et de préamorçage en 2024, sous l’effet de la diminution de l’appétit des investisseurs pour les entreprises à risque élevé et en phase de démarrage dans le contexte actuel du marché. Les investisseurs ont privilégié les entreprises éprouvées, à forte croissance et génératrices de revenus, qui ont atteint l’adéquation produit-marché et qui étaient soit rentables, soit manifestement en voie de l’être.
Quelques mégaopérations notables ont été réalisées en 2024. Cette activité a fait suite à la pénurie relative d’opérations de financement par capital de croissance en 2023, car les entreprises qui avaient mobilisé des capitaux au cours des années fastes de la COVID ont atteint leur niveau de valorisation. Parmi les opérations notables, citons le tour de financement de série D de 500 millions de dollars américains de la société d’intelligence artificielle Cohere, mené par Investissements PSP. La société en phase de démarrage de véhicules autonomes Waabi a obtenu 275 millions de dollars canadiens dans le cadre de son tour de financement de série B mené par Uber et Khosla Ventures. Clio, chef de file mondial des technologies juridiques établi à Vancouver, a fait les manchettes avec son tour de financement de série F de 900 millions de dollars américains mené par New Enterprise Associates, qui a constitué la plus importante opération de financement par capital de risque ou capital de croissance de l’histoire du Canada.
En prévision de l’accroissement du nombre et de la valeur des opérations, les entreprises doivent s’attacher à élaborer de manière proactive un plan d’affaires solide présentant une proposition de valeur nette, un modèle de revenus clair et une voie vers la rentabilité bien définie.
Réorientation sectorielle et retour de la Colombie-Britannique
Selon les données sur les opérations répertoriées par la CVCA et Osler, le secteur des technologies de l’information et des communications a continué de dominer les opérations de financement par capital de risque menées à bien, tant par leur nombre que par leur valeur. Les entreprises en démarrage canadiennes spécialisées dans l’IA, en particulier, ont suscité un intérêt manifeste de la part des investisseurs. Leur popularité en tant que placement attrayant est sur le point de battre le précédent record du nombre de financements et de la valeur des opérations établi en 2021.
Le secteur des technologies propres est un autre secteur fort dynamique. Les entreprises de ce secteur sont en passe de dépasser les records de 2023 quant à la valeur des opérations, une attention particulière étant accordée à celles offrant des solutions énergétiques de substitution. Nous nous attendons à ce que cette tendance se maintienne, en raison de l’attention croissante portée à la durabilité par la société et les milieux financiers, ainsi que du soutien soutenu des gouvernements sous forme d’investissements et de subventions. La montée en puissance des fonds de capital de risque à vocation sociale ayant expressément pour mandat d’investir dans les technologies propres renforce la grande visibilité que les technologies propres sont en train d’acquérir sur le marché canadien.
Pour ce qui est du classement par province, l’Ontario est une fois de plus en tête, tant pour le nombre que pour la valeur des opérations conclues en 2024. Fait à souligner, après une tendance à la baisse de deux ans, la Colombie-Britannique a dépassé le Québec pour la première fois depuis 2021 pour ce qui est des dollars investis, en grande partie grâce au tour de financement record de Clio. Quant à l’Alberta, même si elle arrive en quatrième position pour ce qui est du volume et de la valeur des opérations au troisième trimestre de 2024, sa réorientation sectorielle par rapport à ses racines pétrolières et gazières s’est pleinement manifestée, Calgary et Edmonton devenant des foyers pour l’IA et l’informatique quantique, l’énergie propre, les technologies financières et les technologies agricoles. À moins d’opérations exceptionnelles de grande importance, l’Alberta et la Colombie-Britannique seront probablement en étroite concurrence pour la troisième place quant au volume d’opérations en 2025, derrière les poids lourds que sont l’Ontario et le Québec.
Les entreprises canadiennes sont décidément dans la mire des fonds américains de capital de risque et de capital de croissance à la recherche d’un flux d’opérations attrayantes en dehors de leurs principaux marchés internes. La preuve en est que plus du tiers des financements par capital de risque réalisés par des entreprises technologiques canadiennes en 2024 ont vu la participation de fonds américains.
Pour en savoir plus sur l’état des financements par capital de risque et du secteur des technologies au Canada, lisez notre rapport intitulé 2023 – Rapport sur les éléments clés d’une opération : financements par capital de risque.
En savoir plusCorrection du marché dans l’ère post-pandémique : les tours stables sont la nouvelle tendance à la hausse
Après avoir connu une inflation importante des multiples de chiffre d’affaires de 2020 à 2022, les valorisations se sont stabilisées aux niveaux prépandémiques, à l’exception notable des valorisations des entreprises d’IA. Cela s’est traduit par un glissement vers le bas des multiples de chiffre d’affaires fondés sur des mesures de valorisation traditionnelles. Un nombre important de « tours baissiers » et de « tours stables » ont été réalisés en 2024, le marché s’étant replié par rapport aux valorisations records de 2021. Les entreprises ont continué à s’appuyer sur des tours de financement relais prenant notamment la forme de billets convertibles et d’accords d’investissement rapide visant des titres de capitaux propres futurs – dits SAFE pour Simple Agreements for Future Equity –, ainsi que des tours de financement d’extension par actions privilégiées, afin d’éviter les financements dilutifs à des valorisations plus faibles. Ainsi, nous prévoyons que les valorisations continueront à chuter de manière disproportionnée par rapport aux tours précédents à mesure que la correction s’opère. Dès lors, les équipes de direction et les conseils d’administration devront faire preuve de créativité pour que les tours restent au moins « stables » par rapport à leurs derniers financements.
Toutes séries confondues, les financements par capital de risque ont généralement mis plus de temps à se conclure en 2024. Les investisseurs potentiels étaient plus réticents à prendre des risques, ce qui se traduisait par des vérifications diligentes plus approfondies. Les investisseurs étaient aussi généralement réticents à prendre la tête des tours et à fixer ainsi les prix. Les clôtures multiples pour les financements étaient en vogue, car de nombreux investisseurs sont restés sur la touche, ce qui a rendu plus difficile la constitution des syndicats d’investisseurs.
À contre-courant de l’environnement de placement plus favorable aux investisseurs, les modalités des opérations de financement par capital de risque sont demeurées équilibrées entre les émetteurs et les investisseurs, comme l’indique notre rapport intitulé 2023 – Rapport sur les éléments clés d’une opération : financements par capital de risque. De façon générale, les priorités en cas de liquidation sont restées de rang égal (1x), avec absence de droits de participation, ce qui permet aux investisseurs de récupérer leurs investissements dans un scénario de sortie à la baisse sans désavantager indûment les porteurs d’actions ordinaires. Dans la grande majorité des tours de financement, les droits à dividendes ont été structurés de façon que ceux-ci soient non cumulatifs et discrétionnaires. En ce qui concerne la protection antidilution offerte dans le cadre des financements par actions privilégiées, la norme du marché a encore été d’offrir une protection fondée sur la moyenne pondérée à base large, au lieu d’une protection « complète ». Cela a permis aux investisseurs de se prémunir contre les futurs tours baissiers tout en évitant une dilution excessive pour les actionnaires de la première heure. Les modalités relatives à la gouvernance ont continué à promouvoir une dynamique de pouvoir équilibrée, les fondateurs et les investisseurs jouant un rôle important dans les processus de prise de décisions au niveau du conseil d’administration et de l’actionnariat. Enfin, les droits des investisseurs, notamment les droits à l’information, les droits de premier refus, les droits de vente conjointe et les droits d’inscription, ont été maintenus dans une large mesure conformément aux modalités de la convention type de la CVCA. Cela permet de protéger les intérêts des investisseurs tout en respectant l’autonomie opérationnelle de l’équipe de direction.
À quoi s’attendre en 2025 : des signes de vie
Contrairement au marché agité que nous avons connu au cours des deux dernières années, nous nous attendons à ce que le marché privé des technologies se redresse et se régénère au cours de 2025. Dans l’ensemble, le marché montre des signes de stabilisation vers la normalité d’avant la pandémie pour ce qui est des valorisations et des modalités des opérations. Une augmentation du déploiement des capitaux est probable, ce qui permet d’espérer que nous sommes sur la voie de la reprise. Les fonds de capital de risque, de capital de croissance et de capital-investissement aux États-Unis et au Canada sont assis sur des quantités records de « réserves liquides » – des capitaux engagés, mais non affectés – qui avoisinent les 1 000 milliards de dollars américains. Étant donné que les commandités doivent faire travailler l’argent des investisseurs dans un laps de temps limité, nous prévoyons une augmentation des activités d’investissement à l’aube de 2025, à mesure que ces capitaux engagés entreront en jeu.
Parallèlement à l’augmentation du flux d’opérations, nous nous attendons également à une résurgence des opérations de placement secondaire. Ces opérations fournissent des liquidités aux investisseurs de la première heure, aux fondateurs et aux employés, tout en permettant aux fonds en fin de vie de recycler leurs capitaux. Cette tendance favorise la croissance de l’écosystème. Elle offre également aux nouveaux investisseurs la possibilité de s’assurer une place aux tables de capitalisation des entreprises en phase de croissance qui cherchent à passer à l’étape suivante avant un événement de liquidité.
Les entreprises technologiques qui ont survécu aux turbulences des dernières années abordent l’année 2025 dans la catégorie des « nantis » ou des « laissés-pour-compte ». Soit les entreprises possèdent le profil de croissance et de rentabilité nécessaire pour attirer les investisseurs de capital de risque à des conditions attrayantes, soit elles sont jugées impropres à l’investissement. Dans un cas comme dans l’autre, nous nous attendons à ce que se poursuive la tendance aux « processus à deux voies » par lesquels les entreprises envisagent simultanément des levées de fonds et des offres d’acquisition. Cette stratégie permet aux entreprises de maximiser leurs options et d’améliorer leur position de négociation dans le cadre d’un processus d’enchères.
En prévision de l’accroissement du nombre et de la valeur des opérations, les entreprises doivent s’attacher à élaborer de manière proactive un plan d’affaires solide présentant une proposition de valeur nette, un modèle de revenus clair et une voie vers la rentabilité bien définie. À l’heure où les investisseurs et les acquéreurs intensifient leurs vérifications diligentes, il n’a jamais été aussi important d’être préparé en vue de ces vérifications. Les entreprises ont tout intérêt à chercher à rallier leur conseil d’administration et leur équipe de direction aux options stratégiques disponibles et à monter leur équipe de conseillers externes et leur salle de données avant de donner suite à des propositions de financement et d’acquisition provenant de l’externe.
Étant donné que la fenêtre des premiers appels publics à l’épargne reste largement fermée pour le secteur technologique canadien, nous entrevoyons à l’horizon un volume plus important opérations stratégiques de fusion et acquisition et de financement par capital de risque, capital de croissance et capital-investissement de restructuration de la majorité du capital. Les entreprises, les investisseurs et les autres acteurs du marché doivent se préparer à affronter de nouvelles turbulences et à assister à un accroissement du nombre et de la valeur des opérations au cours de l’année à venir.