Perspectives juridiques Osler 2024

Évolution des cryptoactifs : Respecter les normes de la finance traditionnelle malgré l’incertitude réglementaire

5 Déc 2024 9 MIN DE LECTURE

À l’aube de 2025, le paysage réglementaire des secteurs des cryptomonnaies et des technologies émergentes demeure incertain. Les autorités en valeurs mobilières et d’autres organismes de réglementation continuent de clamer avec force leur compétence sur ces secteurs innovants et de tenter de limiter leurs activités, malgré leurs déclarations répétées d’ouverture aux technologies émergentes sur les marchés financiers.

Plusieurs événements survenus en 2024 indiquent que la remise en question de ces secteurs par les organismes de réglementation reste entière et se poursuivra encore pendant plusieurs années. Les organismes de réglementation tant au Canada qu’aux États-Unis continuent de changer la réglementation et de prendre des mesures d’application de la loi dans le secteur.

À l’aube de 2025, le paysage réglementaire des cryptomonnaies et des actifs numériques reste complexe et fluide. À la lumière des efforts grandissants déployés par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) et d’autres organismes de réglementation pour clarifier leur compétence, les sociétés exploitant des plateformes de négociation de cryptoactifs, les dépositaires de cryptoactifs et les fonds d’investissement de cryptoactifs doivent se préparer à devoir respecter davantage les normes de la finance traditionnelle. Les lignes directrices attendues sur la finance décentralisée et les cryptoactifs arrimés à une valeur, ou cryptomonnaies stables, définiront un peu plus leurs obligations en matière de conformité.

Les participants du secteur doivent s’adapter à ce cadre en pleine mutation en se tenant informés des nouveaux règlements, en évaluant leur incidence sur leurs activités et en investissant dans des mesures de conformité robustes.

Placements des fonds d’investissement dans des cryptoactifs

Comme nous l’avons mentionné précédemment, les ACVM ont publié le 18 janvier 2024 l’Avis de consultation des ACVM – Projets de Règlement modifiant le Règlement 81-102 sur les fonds d’investissement et de modification de l’Instruction générale relative au Règlement 81-102 sur les fonds d’investissement concernant les cryptoactifs (les modifications). Les modifications tentent d’apporter des éclaircissements sur la réglementation des fonds d’investissement qui sont des émetteurs assujettis et qui souhaitent investir directement ou indirectement dans des cryptoactifs (fonds de cryptoactifs ouverts). Les modifications comprennent un certain nombre de propositions importantes touchant ces fonds.

Les modifications proposent d’interdire aux fonds d’investissement d’investir directement ou indirectement dans les cryptoactifs, sauf en ce qui concerne les OPC alternatifs et les fonds d’investissement à capital fixe qui pourront investir dans les cryptoactifs ou leurs dérivés, à condition que les cryptoactifs soient inscrits pour négociation sur une bourse reconnue par une autorité en valeurs mobilières du Canada. Toutefois, cette exception ne s’applique pas aux autres actifs et interdit expressément aux OPC alternatifs de détenir des jetons non fongibles, en raison des risques de liquidité et d’évaluation qu’ils présentent.

Les autorités canadiennes en valeurs mobilières continueront vraisemblablement à clamer leur compétence sur divers aspects du secteur des cryptoactifs et, peut-être, à tenter d’élargir leur champ d’action pour inclure les jetons non fongibles et d’autres actifs numériques émergents.

Selon le cadre proposé, il serait également interdit aux fonds de cryptoactifs ouverts d’utiliser des cryptoactifs en tant que titres prêtés, titres transférés ou sûretés données dans le cadre de prêts de titres, de mises en pension ou de prises en pension.

Les modifications visent par ailleurs à clarifier les attentes à l’égard des dépositaires qui détiennent des cryptoactifs pour le compte de fonds d’investissement. Les dépositaires auraient désormais l’obligation de détenir les cryptoactifs dans un stockage hors ligne (c’est-à-dire dans un « portefeuille froid »), l’obligation de maintenir une assurance et d’obtenir des rapports.

Bien que la période de commentaires soit close, les ACVM n’ont fourni aucune indication quant à la façon dont elles entendent répondre aux commentaires reçus au sujet notamment du stockage de clés cryptographiques et de l’immobilisation de cryptoactifs. Certaines parties prenantes du secteur, notamment Comptables professionnels agréés du Canada [PDF; en anglais seulement], se sont demandé pourquoi les modifications proposent que les clés cryptographiques soient stockées dans des portefeuilles omnibus, alors que les OPC ordinaires aux termes du Règlement 81-102 doivent être détenus dans des comptes distincts. Les parties prenantes demandent également des précisions sur les obligations en matière d’immobilisation des cryptoactifs et leurs conséquences sur la conformité des fonds.

Les participants du secteur doivent se préparer en vue de l’instauration d’un nouveau cadre comprenant un certain nombre des éléments figurant dans les modifications.

Les plateformes de négociation de cryptoactifs doivent s’inscrire à titre de courtier

Le 6 août 2024, les ACVM et l’Organisme canadien de réglementation des investissements (OCRI) ont rappelé aux plateformes de négociation de cryptoactifs (PNC) qu’elles devaient présenter sans tarder leur demande d’inscription à titre de courtier en placement et d’adhésion à l’OCRI. Plus précisément, au Canada, les PNC facilitant la négociation de cryptoactifs qui constituent des titres ou des dérivés, ou d’instruments ou de contrats, fondés sur des cryptoactifs, qui sont des titres ou des dérivés, sont censées s’inscrire à titre de courtier en placement et adhérer à l’OCRI. Les ACVM s’attendent à ce que les PNC aient entamé des discussions avec l’OCRI et s’emploient diligemment à faire la transition vers l’inscription d’ici la fin de la période prévue.

Par ailleurs, les ACVM ont confirmé qu’elles ne prévoyaient plus continuer d’offrir l’approche provisoire permettant aux PNC, pour une période limitée, de mener leurs activités à titre de courtier d’exercice restreint.

Il est fortement recommandé aux PNC qui n’ont pas établi un contact actif avec l’OCRI de le faire sans tarder, pour s’assurer de respecter les exigences d’inscription à titre de courtier en placement. Pour soutenir les efforts de planification des PNC, l’OCRI a fourni des explications utiles sur le processus d’adhésion ainsi qu’un questionnaire sur l’état de préparation.

Report de la date limite relative aux cryptoactifs arrimés à une valeur

Les PNC bénéficient d’un report de la date limite pour se conformer aux lignes directrices des ACVM relatives aux cryptoactifs arrimés à une valeur. Fixée à l’origine au 30 avril 2024, la date limite a été reportée une première fois au 31 octobre 2024. Les ACVM ont ensuite décidé de la reporter de nouveau. Comme elles l’ont annoncé le 26 septembre 2024, la nouvelle date limite est le 31 décembre 2024.

Fait intéressant, les ACVM ont noté que le report était destiné, en partie, à permettre la proposition de solutions de rechange qui répondent aux préoccupations en matière de protection des investisseurs. Cela laisse ainsi le temps aux PNC et aux émetteurs de cryptoactifs arrimés à une valeur de présenter des solutions innovantes qui pourraient réduire les risques liés à ces actifs particuliers. La date limite du 31 décembre approchant à grands pas, les PNC et les émetteurs de cryptoactifs arrimés à une valeur qui souhaitent proposer, parachever et mettre en œuvre des solutions de rechange doivent agir rapidement.

On peut soutenir que la décision des ACVM de repousser la date limite reflète le dialogue continu qu’elles entretiennent avec le secteur des actifs numériques et leur volonté d’envisager d’autres approches pour réglementer les cryptoactifs arrimés à une valeur. Cependant, cela met également en évidence leur détermination à faire entrer le secteur dans leur champ de compétence, car elles continuent de maintenir que de nombreux cryptoactifs relèvent de la législation en matière de valeurs mobilières.

Mesures d’application de la loi visant les marchés des jetons non fongibles

Les mesures d’application de la loi visant les marchés des jetons non fongibles qui ont été prises récemment aux États-Unis pourraient se propager au-delà de la frontière et toucher les marchés des jetons non fongibles du Canada. À la suite de la prise de telles mesures au sud de la frontière et alors que les consommateurs canadiens sont de plus en plus actifs sur ces plateformes, il se pourrait que les ACVM se sentent obligées de clarifier leur position sur le statut réglementaire des jetons non fongibles et des plateformes qui facilitent leur négociation.

Découvrez comment l’équipe Actifs numériques et chaînes de blocs de premier plan d’Osler peut aider votre entreprise à composer avec l’évolution rapide de ce secteur.
En savoir plus

Le 28 août 2024, la Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis a émis un avis Wells à OpenSea, l’un des plus grands marchés de jetons non fongibles. Dans son avis, la SEC fait part de son intention de poursuivre la société, au motif que les jetons non fongibles négociés sur la plateforme ne seraient pas des titres nominatifs. Le chef de la direction d’OpenSea, Devin Finzer, s’est dit choqué par ce « [Traduction libre] geste radical à l’encontre des créateurs et des artistes » et a affirmé que la société était prête à contester les allégations.

Ce geste de la SEC laisse entrevoir un possible élargissement du cadre de surveillance des cryptoactifs par les organismes de réglementation, pour inclure les jetons non fongibles. Cet élargissement de la surveillance au sud de la frontière pourrait inciter les organismes de réglementation canadiens à faire de même à l’égard de plateformes semblables en activité au Canada.

Les prolongations de délais et les ajustements continus qui ont caractérisé les efforts du Canada pour réglementer les cryptoactifs arrimés à une valeur, conjugués à l’accroissement de la portée et de l’intensité des mesures d’application de la loi de la SEC, mettent en évidence la nature complexe et évolutive de la réglementation des cryptoactifs. Ces événements permettent de penser que les autorités canadiennes en valeurs mobilières continueront vraisemblablement à clamer leur compétence sur divers aspects du secteur des cryptoactifs et, peut-être, à tenter d’élargir leur champ d’action pour inclure les jetons non fongibles et d’autres actifs numériques émergents. Les participants du secteur au Canada doivent rester à l’affût des lignes directrices du personnel des ACVM qui seront publiées sur des sujets tels que les cryptoactifs arrimés à une valeur, la finance décentralisée et les jetons non fongibles.

La suite des choses

À l’aube de 2025, le paysage réglementaire des cryptoactifs et des technologies émergentes poursuit sa transformation. La volonté des ACVM d’engager un dialogue avec les participants du secteur et d’envisager des solutions de rechange à la réglementation permet d’espérer la venue de solutions concertées. Cependant, l’incertitude persistante et la possibilité d’une surveillance accrue, surtout à la lumière des événements survenus à l’étranger, indiquent que les sociétés exerçant des activités dans ces secteurs doivent rester vigilantes et proactives dans leurs efforts de conformité. Lorsqu’on tourne le regard vers 2025, il ne fait aucun doute que, pour façonner l’avenir de la réglementation des actifs numériques au Canada, les organismes de réglementation et le secteur des cryptoactifs devront absolument engager un dialogue.