Perspectives juridiques Osler 2024

Consulter avant d’explorer : la tenure minière et les droits ancestraux des Autochtones

5 Déc 2024 9 MIN DE LECTURE

Le secteur des ressources naturelles a toujours été à l’avant-garde de l’évolution du droit autochtone, comme on l’a vu au cours de l’année écoulée. En 2024, les règles régissant la tenure minière ont beaucoup évolué dans plusieurs grandes provinces minières du Canada. Une décision majeure du plus haut tribunal de la Colombie-Britannique, deux contestations constitutionnelles en Ontario et des modifications législatives attendues au Québec laissent toutes entrevoir que l’approche en matière de tenure minière au pays risque de changer.

Compte tenu des changements survenus dans les principales provinces minières du Canada, il est presque certain que les répercussions des affaires autochtones sur la tenure minière se feront sentir en 2025 et au-delà. Les titulaires de titres miniers qui exercent des activités dans ces provinces devraient tenir compte de ces changements, car ceux-ci pourraient influer fortement sur les droits associés aux titres qu’ils détiennent ainsi que sur leur acquisition et leur conservation. Ces changements montrent également qu’il est souhaitable de collaborer de façon proactive avec les communautés autochtones qui pourraient être touchées par l’exercice des droits associés à la tenure minière.

Nous nous attendons à ce que les gouvernements et les communautés autochtones collaborent davantage à la gestion des terres ouvertes à l’exploration et à l’exploitation minières au Canada.

La tenure minière au Canada

Les règles de tenure minière, qui déterminent les zones où l’exploration et l’exploitation minières peuvent avoir lieu, relèvent de la compétence législative provinciale. Même s’ils font l’objet d’une surveillance législative qui diffère d’une province à l’autre, les modes de tenure sont néanmoins assez uniformes d’un bout à l’autre du pays, malgré un certain nombre de différences terminologiques et d’influences historiques locales.

Le claim minier représente le droit de tenure initial. Il confère à son titulaire le droit exclusif de mener sur le terrain visé des activités d’exploration minière ayant pour but la découverte d’un corps minéralisé rentable. Dans la plupart des territoires, les claims miniers peuvent désormais être jalonnés en ligne, plutôt que dans le sol, comme on le faisait depuis toujours. Il faut généralement obtenir des permis supplémentaires avant d’entreprendre les activités d’exploration. Toutefois, dans certains territoires, le titulaire d’un claim peut mener des activités d’exploration préliminaire en s’appuyant sur les droits rattachés au claim sans avoir à obtenir de permis supplémentaires.

Une fois que le projet a progressé à un stade où l’extraction devient possible, le titulaire convertit son claim en bail minier, ce qui lui confère des droits supplémentaires, dont le droit d’extraction.

Par le passé, la consultation des Autochtones était liée au processus d’octroi de permis et aboutissait à la conclusion d’une entente sur les répercussions et les avantages avec les communautés autochtones touchées au moment de l’octroi du bail minier. Toutefois, compte tenu des changements survenus récemment, cette façon de faire pourrait changer sous peu.

La Colombie-Britannique, le titre et la décision dans l’affaire Gitxaala

En Colombie-Britannique, la loi intitulée Mineral Tenure Act (la MTA) confère au titulaire d’un claim minier le droit exclusif de mener des activités d’exploration minière. Le titulaire du claim est également autorisé à entreprendre certaines activités d’exploration préliminaire sans avoir à obtenir d’autres permis.

Le 26 septembre 2023, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a rendu sa décision dans l’affaire Gitxaala v. British Columbia (Chief Gold Commissioner). Elle a statué que, en vertu de la MTA, la province de la Colombie-Britannique avait l’obligation de consulter les Autochtones touchés lors de l’enregistrement de claims miniers situés sur leurs territoires traditionnels. Elle a jugé que l’enregistrement du claim pouvait nuire à une revendication ou à un droit ancestral des Autochtones, selon le critère juridique reconnu pour déclencher l’obligation de consulter. Pour en arriver à cette conclusion, la Cour a accepté les arguments présentés par les Premières Nations concernant l’impact qu’a l’enregistrement du claim sur les zones revêtant une importance culturelle et spirituelle, ainsi que l’impact physique associé à la perte de minéraux, aux perturbations physiques et à la perte des avantages financiers tirés des minéraux.

La Cour a rendu un jugement déclaratoire selon lequel la province avait manqué à son obligation de consulter. Elle a toutefois suspendu l’application de ce jugement pendant 18 mois afin de faciliter la conception d’un mode de tenure minière qui prévoit la consultation ou de donner au gouvernement le temps de modifier la MTA, au besoin. Pour en savoir plus sur la décision, consultez notre bulletin d’actualités Osler.

Au vu de cette décision, le gouvernement de la Colombie-Britannique a lancé, en mars 2024, une consultation auprès des intervenants dans le but d’amender la MTA. Il a également pris des ordonnances conservatoires en vue de restreindre l’enregistrement des claims miniers et les activités minières dans les territoires de la Nation Gitxaala et de la Première Nation Ehattesaht. Il n’a pas encore annoncé les résultats de la consultation ni les progrès réalisés en vue de répondre, par voie législative, à la décision dans l’affaire Gitxaala.

La suite des choses n’est pas évidente. La Colombie-Britannique vient de tenir une élection très contestée qui risque d’influer sur les priorités législatives à l’avenir. En attendant, le temps file en ce qui concerne la suspension prévue par le jugement déclaratoire de la Cour, qui prend fin en mars 2025.

Contestations constitutionnelles des Premières Nations en Ontario

En Ontario, deux actions en contestation de la constitutionnalité de la Loi sur les mines (Ontario) (la « Loi de l’Ontario ») ont été intentées en 2024. Le 10 juillet 2024, la Première Nation de Grassy Narrows a intenté une action pour des motifs semblables à ceux invoqués dans l’affaire Gitxaala. Toutefois, contrairement à la MTA, la Loi de l’Ontario incorpore expressément les droits des Autochtones. Par conséquent, le droit primaire associé aux claims miniers, soit celui de mener des activités d’exploration minière, est expressément assujetti à l’obligation de consulter les Autochtones. De plus, dans le cadre du système de jalonnement des claims de l’Ontario, les titulaires d’un claim sont avisés des revendications territoriales des Premières Nations au moment du jalonnement.

Nous discutons de l’action intentée par la Première Nation de Grassy Narrows dans notre bulletin d’actualités Osler. En bref, les requérants allèguent que l’enregistrement d’un claim minier et l’exécution des travaux d’évaluation que le titulaire du claim prévoit d’effectuer sont susceptibles de porter atteinte aux droits de la Première Nation de Grassy Narrows. Ils font donc valoir qu’ils doivent être consultés avant l’octroi d’un nouveau claim minier.

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Peu de temps après, le 9 août 2024, six autres Premières Nations ont intenté ensemble une autre action contestant la Loi de l’Ontario. Elles ont invoqué d’autres arguments concernant les atteintes éventuelles à leurs droits ancestraux découlant de l’octroi de claims miniers, malgré l’obligation de consulter les Autochtones qui est expressément prévue par la loi en Ontario. Les Premières Nations se concentrent sur l’enregistrement automatique des claims miniers au moyen du système de jalonnement en ligne, sur l’impossibilité, pour elles, de protéger leurs terres des activités minières et sur la façon convenue dont les avis des revendications des Premières Nations sont envoyés aux titulaires des claims. Elles allèguent que ces dispositions sont contraires aux droits de consultation prévus dans la constitution. Dans la deuxième action intentée en Ontario, les requérants citent également le refus de l’Ontario de déléguer son obligation de consulter aux promoteurs de projets comme une autre atteinte à leurs droits de consultation.

Le Québec annonce la révision de son régime de titres miniers

Le gouvernement du Québec a récemment annoncé un projet de révision de son régime de titres miniers. En mai 2024, il a présenté le projet de loi 63, qui modifierait la Loi sur les mines (Québec). Certaines modifications proposées permettraient au Québec d’exempter certaines terres de l’exploration et de l’exploitation minières. Elles permettraient également au gouvernement de conclure des ententes avec les communautés autochtones en vue de gérer la mise en valeur des ressources sur des terres non exemptées.

Où va la tenure minière au Canada?

Tous ces changements surviennent au moment même où le Canada cherche à promouvoir la mise en valeur de nouvelles mines dans le cadre de ses efforts visant les minéraux critiques et la transition énergétique. (Pour en savoir plus sur les minéraux critiques, lisez notre article de la revue Perspectives juridiques Osler.) Il est peu probable que l’incertitude quant à la tenure minière favorise ces initiatives. Il sera intéressant de surveiller l’évolution de ces enjeux dans divers territoires au cours des prochains mois.

Voici un certain nombre de tendances qui se dessineraient, à notre avis, en 2025 et au-delà.

Tout d’abord, il est probable que les communautés autochtones s’engageront de plus en plus directement, à titre de participant et de propriétaire, dans les projets miniers à toutes les étapes de leur aménagement. Dans une première historique, la Première Nation de Selkirk a acquis la mine Minto, au Yukon, en septembre 2024. En outre, au chapitre de la création de canaux différents pour les investissements autochtones dans les projets miniers, il convient de noter la société de redevances cotée en bourse lancée à l’initiative de la Première Nation Nisga’a.

Ensuite, nous nous attendons à ce que les gouvernements et les communautés autochtones collaborent davantage à la gestion des terres ouvertes à l’exploration et à l’exploitation minières au Canada, y compris la cogestion directe de l’utilisation des terres de la Couronne et des ressources. Cette tendance se dégage en particulier de la décision Yahey en Colombie-Britannique et de l’accord de mise en œuvre subséquent entre la province et les Premières Nations de la rivière Blueberry. Nous avons déjà abordé un certain nombre de ces changements dans notre bulletin d’actualités Osler. La cogestion pourrait permettre d’éviter la paralysie d’un projet en démarrage par des enjeux communautaires, une situation contraire aux intérêts des sociétés minières, des collectivités locales et des gouvernements.

Enfin, s’agissant du changement peut-être le plus important dans l’industrie minière, nous nous attendons à une transition vers un dialogue direct entre les promoteurs de projets et les communautés autochtones sans participation gouvernementale et processus d’octroi de permis. Ce changement pourrait se traduire par une approche plus pragmatique qui ferait la distinction entre le développement de projets et les droits constitutionnels et, par ricochet, simplifierait le processus d’octroi de permis.

Toutes ces tendances devraient contribuer à créer une plus grande certitude pour les projets miniers au Canada, au moment où nous en avons le plus besoin.