Une cour d’appel du Royaume-Uni déclare qu’une application fondée sur un réseau de neurones artificiels n’est pas un objet admissible à la protection par brevet

25 Juil 2024 6 MIN DE LECTURE
Auteurs(trice)
Nathaniel Lipkus

Associé, Propriété Intellectuelle, Toronto

J. Bradley White

Associé, Propriété intellectuelle, Ottawa

Bien que les réseaux de neurones artificiels (RNA) aient évolué pour former de plus en plus l’épine dorsale du commerce moderne, leur brevetabilité demeurait non réglée. Une décision rendue le 19 juillet 2024 par une cour d’appel du Royaume-Uni fournit maintenant des directives aux entreprises axées sur l’IA, car elle conclut qu’un réseau de neurones artificiels formé pour fournir des recommandations de chansons n’est pas brevetable.

Depuis que les RNA sont devenus l’épine dorsale des technologies d’intelligence artificielle (IA) actuelles les plus influentes, de l’incertitude a émergé quant aux aspects des RNA qui sont brevetables. Selon la pensée générale des professionnels des brevets, les algorithmes mathématiques de base des RNA ne sont pas brevetables, tandis que les applications pratiques et techniques des RNA et des technologies auxiliaires le sont peut-être.

L’évolution de la loi en ce qui concerne les objets admissibles à la protection par brevet n’a pas été très utile et n’a pas apporté beaucoup de clarté. Aux États-Unis, la décision rendue en 2014 dans l’affaire Alice Corp. c. CLS Bank International a fait en sorte que plusieurs méthodes mises en œuvre par ordinateur ne sont pas brevetables, car elles sont trop abstraites. Toutefois, l’application de cette décision est incohérente, ce qui est frustrant. Au Canada, l’application par le Bureau des brevets de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale en 2012 dans l’affaire Canada (Commissaire aux brevets) c. Amazon.com, Inc.  continue de soulever une controverse, car le Bureau des brevets exclut souvent les composants de matériel des revendications de brevets et, par conséquent, trouve ces revendications non brevetables parce qu’elles sont trop abstraites.

Au Royaume-Uni, l’admissibilité aux brevets des réseaux de neurones artificiels et de leurs utilisations semblaient potentiellement plus vaste. Dans l’affaire Emotional Perception AI Ltd. v. Comptroller-General of Patents, Designs, and Trade Marks [PDF], la brevetabilité d’un RNA a été prise en compte clairement. La Haute Cour d’Angleterre et du Pays de Galles a statué qu’un système utilisant un RNA n’était pas exclu de l’admissibilité à un brevet en tant que « programme informatique » non brevetable. Toutefois, cette décision s’est avérée une piètre consolation pour les demandeurs de brevet pour un RNA, car le 19 juillet 2024, la Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles a maintenant infirmé cette décision.

La Cour d’appel considère les RNA dûment formés comme des programmes informatiques non brevetables

Dans l’affaire Comptroller-General of Patents, Designs and Trade Marks v. Emotional Perception AI Limited [PDF], la Cour d’appel a examiné la brevetabilité de l’invention de Emotional Perception AI Ltd. (EPL) destinée à un système qui utilise un RNA pour fournir à un utilisateur des recommandations de fichiers médias. La technologie prétend utiliser les RNA pour générer de meilleures recommandations musicales en intégrant un élément sémantique/émotionnel doté de propriétés musicales objectives. Les revendications de brevet concernent le système lui-même, ainsi que la méthode utilisée pour formuler des recommandations de fichiers, ce qui comprenait la formation du RNA et le stockage, la transmission et la réception des fichiers pertinents.

La question centrale consiste à déterminer si un RNA est un « ordinateur » ou un « programme informatique », et la Cour d’appel a conclu que c’était le cas :

  • la Cour d’appel a défini un « ordinateur » comme une machine qui traite l’information d’une certaine façon, et un « programme informatique » comme un ensemble d’instructions permettant à la machine de traiter l’information d’une certaine façon;
  • en appliquant ces définitions, la Cour conclut que l’ANN satisfait à la définition d’un ordinateur et que les poids et biais des nœuds dans le réseau neuronal constituent un programme informatique, agissant comme des instructions pour traiter et manipuler les données saisies d’une manière particulière
  • le juge n’a pas accepté une limitation de la définition d’un programme informatique qui exclurait les programmes générés par des ordinateurs (par opposition à des programmes générés par des humains);
  • dans son évaluation, la Cour n’a pas tenu compte de la nature des problèmes que le RNA visait à résoudre et s’est montrée insensible au fait que les pondérations et les biais résultaient de la formation du RNA, l’étape de formation étant expressément énoncée dans la revendication de brevet.

La Cour a expliqué que les inventions mises en œuvre par un RNA  ne sont pas toutes non brevetables. En revanche, les inventions mises en œuvre par un RNA ne sont « pas en meilleure et en pire position que les autres inventions mises en œuvre par ordinateur ». La Cour a conclu que l’invention d’EPL n’a pas un effet technique suffisant, parce que ses recommandations de fichiers musicaux basées sur un RNA sont fondées sur les qualités sémantiques d’un fichier, les comparaisons sémantiques ne produisant pas l’effet technique requis pour justifier la brevetabilité.

Les revendicateurs de brevet canadiens devraient aborder avec prudence le processus d’obtention d’un brevet fondé sur un RNA

Cette décision est importante pour les entreprises canadiennes dans le domaine des RNA, car elle fournit des directives d’une cour d’appel d’un territoire qui est convaincant pour nos propres tribunaux sur la façon dont les bureaux de brevets devraient aborder les inventions fondées sur les RNA, en traitant les RNA comme d’autres logiciels aux fins d’admissibilité au brevet.

Bien que le Canada dispose de son propre mécanisme pour traiter de la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur, les décisions prises dans d’autres territoires (en particulier le Royaume-Uni) peuvent éclairer et influencer le discours et les pratiques juridiques du Canada. Le raisonnement de la Cour d’appel pourrait bien influencer les approches adoptées au Canada, aux États-Unis et ailleurs. Cette décision récente de restreindre la brevetabilité d’une méthode fondée sur les RNA, même lorsque celle-ci nécessitait de la formation, fournit au moins une orientation initiale aux entreprises canadiennes qui souhaitent breveter des inventions fondées sur les RNA et les aide à gérer leur risque par rapport aux brevets de tiers.

Évidemment, il reste à voir tout l’impact qu’aura la décision sur la perception émotionnelle, sans compter que la brevetabilité des inventions fondées sur les RNA est loin d’être acquise. En invoquant la perception émotionnelle, il demeure tout de même possible d’en appeler de la décision à la Cour suprême du Royaume-Uni, qui peut décider d’entendre l’affaire, compte tenu de la nouveauté et de l’importance de la question contestée. Si une telle autorisation est accordée, ce sera la première décision à être prise par ce haut tribunal d’examiner ces questions, ce qui entraînera des directives encore plus définitives. Les entreprises qui innovent dans le domaine de l’IA devraient surveiller l’évolution de la brevetabilité des inventions axées sur l’IA et être prêtes à s’adapter aux changements pouvant survenir dans l’environnement de la propriété intellectuelle.

Nous remercions particulièrement Kieran Ecclestone pour son aide dans la préparation de cette mise à jour.