Auteurs(trice)
Associée, Services financiers, Toronto
Associée, Droit des sociétés, Toronto
Sociétaire, Sociétés émergentes et à forte croissance, Toronto
Le 20 avril 2023, le gouvernement du Canada a présenté le projet de loi C-47, la Loi d’exécution du budget (projet de loi C-47), par lequel il entend mettre en œuvre de nombreuses propositions clés présentées dans son budget de 2023 (Budget de 2023).
Le présent bulletin d’actualités donne un aperçu des principales modifications législatives susceptibles de se répercuter sur les fournisseurs de services financiers exerçant des activités au Canada.
Abaisser le taux d’intérêt criminel
Le projet de loi C-47 modifie à la baisse le taux d’intérêt criminel prévu au Code criminel au taux annuel en pourcentage de 35 %. Ces modifications font suite à un document de consultation lancé en août 2022 par le gouvernement fédéral (voir le bulletin d’actualités Osler portant sur ce sujet ici), qui sollicitait des commentaires sur la possibilité de modifier le taux d’intérêt criminel.
À l’heure actuelle, le taux d’intérêt criminel prévu à l’article 347 du Code criminel est de 60 %, calculé comme un taux annuel effectif, ce qui signifie que les prêteurs doivent tenir compte de l’effet de la capitalisation, et comprend la plupart des frais facturés sur le capital prêté, avec quelques exclusions. Le gouvernement affirme qu’un taux effectif de 60 % équivaut à un taux annualisé de 47 %. Le projet de loi C-47 propose à la fois de modifier la méthode de calcul du taux, qui passerait d’un taux effectif à un taux annualisé, et d’abaisser le taux à 35 %. Alors que la proposition présentée dans le budget de 2023 semblait viser les sociétés de prêt à la consommation, les modifications proposées s’appliquent à la fois aux sociétés de prêt commercial et aux sociétés de prêt à la consommation, conformément au régime actuel en matière d’intérêt criminel. Le projet de loi C-47 confère au gouverneur en conseil le pouvoir d’exempter certains accords ou arrangements visés par règlement. Il reste à voir si le gouvernement s’appuiera sur ce pouvoir pour exempter certains ou la totalité des prêts commerciaux de l’application du taux criminel réduit.
Le gouvernement canadien a également annoncé dans le budget de 2023 son intention d’abaisser le montant maximal qu’un prêteur sur salaire peut exiger à 14 $ par 100 $ empruntés, ce qui est conforme au plafond le plus bas actuellement en vigueur pour les prêts sur salaire (à Terre-Neuve-et-Labrador). Le projet de loi C-47 autorise le gouverneur en conseil à fixer la limite du coût total de l’emprunt dans le cadre d’une convention de prêt sur salaire. Nous prévoyons d’autres consultations sur les plafonds fédéraux des prêts sur salaire dans les mois à venir.
Pour plus de détails sur la proposition de réduction du taux d’intérêt criminel, veuillez consulter le bulletin d’actualités Osler intitulé Abaissement du plafond : la nouvelle réalité pour les stipulations des conventions de crédit relatives au taux d’intérêt.
Combattre les crimes financiers
Le projet de loi C-47 propose de mettre en œuvre plusieurs des mesures présentées dans le budget de 2023 visant à lutter contre le blanchiment d’argent, le financement des activités terroristes, le contournement des sanctions et l’ingérence étrangère, et à répondre à la façon dont les nouvelles technologies peuvent enhardir et renforcer les criminels financiers. Bon nombre de ces mesures font suite aux recommandations formulées dans le rapport de la Commission Cullen publié par le gouvernement de la Colombie-Britannique en 2022, dont nous avons rendu compte ici (en anglais seulement en date des présentes).
Le projet de loi C-47 propose d’apporter des modifications au Code criminel et à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (LRPCFAT), notamment les suivantes :
- Donner aux forces de l’ordre un mandat spécial leur permettant de geler et de saisir des biens numériques, y compris des monnaies virtuelles, soupçonnés d’être liés à la criminalité.
- Instaurer une nouvelle infraction pour avoir structuré des opérations financières de manière à éviter la déclaration au CANAFE, passible d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement.
- Criminaliser l’exploitation d’entreprises de services monétaires non enregistrées.
- Renforcer le cadre d’enregistrement des entreprises de services monétaires, y compris par l’intermédiaire de vérifications des casiers judiciaires des entreprises de services monétaires nationales, de leurs agents ou mandataires et de leurs administrateurs, dirigeants et actionnaires importants (c’est-à-dire qui possèdent ou contrôlent 20 % ou plus des actions de l’entité).
- Fournir des protections aux employés lanceurs d’alerte qui communiquent des renseignements au CANAFE.
- Établir l’obligation pour les entités déclarantes de communiquer au CANAFE les renseignements fournis à la GRC et au SCRS en vertu des lois canadiennes sur les sanctions.
Ces modifications proposées complètent d’autres mesures récentes du gouvernement fédéral visant à combattre les crimes financiers. En juin 2019, par suite de l’entrée en vigueur de modifications apportées à la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA), les sociétés assujetties à la LCSA sont obligées de tenir un registre des particuliers ayant un contrôle important (PCI) (soit les particuliers dont le pourcentage de propriété en common law est de 25 % ou plus, ou ont le contrôle de fait de la société). Comme il était prévu dans le budget de 2023, le 22 mars 2023, le gouvernement fédéral a présenté le projet de loi C-42, Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions et apportant des modifications corrélatives et connexes à d’autres lois (projet de loi C-42). Si elle est adoptée, cette loi exigera des sociétés assujetties à la LCSA qu’elles fassent des efforts raisonnables pour fournir au gouvernement, au moins une fois par an, les renseignements contenus dans leur registre des PCI. Certains renseignements concernant les participations, y compris le nom et l’adresse (s’ils sont fournis à la société), seront rendus publics à quelques exceptions près, notamment si le particulier est mineur ou si le directeur a de bonnes raisons de croire que la publication des renseignements présenterait une menace sérieuse à la sécurité du particulier.
Parmi les autres modifications corrélatives, le projet de loi C-42 propose de modifier la LRPCFAT de sorte que le gouvernement puisse mettre en œuvre un règlement régissant la vérification de l’identité des personnes et entités visées par la LRPCFAT et exigeant la déclaration de tout écart dans les renseignements qui figurent dans le registre public des PCI sur les personnes ou entités ayant la propriété bénéficiaire ou le contrôle de toute entité et ceux qui sont obtenus dans le cadre de cette vérification.
Outre les modifications susmentionnées, dans le budget de 2023, le gouvernement a annoncé le lancement d’un examen parlementaire de la LRPCFAT en 2023. L’examen comprendra une consultation publique et explorera comment améliorer la LRPCFAT et combattre les crimes financiers, ainsi que la façon dont les différents ordres de gouvernement peuvent collaborer plus étroitement. Le gouvernement a également annoncé qu’il continuerait à élargir le mandat de l’Agence canadienne des crimes financiers (gérée par Sécurité publique Canada). Dans le budget de 2023, le gouvernement prévoyait engager 2 millions de dollars pour la création de cette nouvelle agence, qui avait été initialement annoncée dans le budget de 2022. Bien que de nombreuses modifications aient été apportées à la LRPCFAT au cours des dernières années, y compris les modifications proposées exposées ci-dessus, il est clair que la lutte contre la criminalité financière et le blanchiment d’argent continue d’être une véritable priorité pour le gouvernement canadien, et nous nous attendons à voir d’autres changements en 2023.
Nouveaux risques d’ingérence étrangère et de sécurité nationale pour le secteur financier
Le projet de loi C-47 s’inscrit dans la tendance générale que nous avons observée concernant les préoccupations du gouvernement fédéral en matière d’ingérence étrangère et de sécurité nationale (par exemple, en ce qui concerne les réseaux de paiement du Canada, comme nous l’expliquons ici). Les modifications qu’il est proposé d’apporter à la législation fédérale touchant les institutions financières et à la LRPCFAT sont les suivantes :
- Accorder au ministre des Finances le pouvoir d’ordonner au surintendant des institutions financières de prendre le contrôle d’une institution financière sous réglementation fédérale (IFRF) pour des raisons liées à la sécurité nationale.
- Accorder au ministre des Finances le pouvoir d’ordonner à un actionnaire d’une IFRF de se départir de tout ou partie de ses actions si le ministre estime que la propriété de ces actions par l’actionnaire pose une menace à l’intégrité ou à la sécurité de l’IFRF ou du système financier du Canada ou à la sécurité nationale. Les droits de vote dont sont assorties les actions peuvent être suspendus jusqu’à leur disposition.
- Exiger des IFRF qu’elles se conforment aux politiques et aux procédures qu’elles établissent pour se protéger contre les menaces à leur intégrité ou à leur sécurité, y compris l’ingérence étrangère.
- Élargir le mandat du Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) pour inclure expressément la supervision des IFRF afin de déterminer si elles disposent de politiques et de procédures adéquates pour se protéger contre les menaces à leur intégrité ou à leur sécurité, y compris l’ingérence étrangère, et accroître les outils de supervision du BSIF pour inclure :
- le pouvoir d’examiner les IFRF au moins une fois par an afin de déterminer si elles disposent de politiques adéquates pour protéger leur intégrité et leur sécurité;
- le pouvoir d’enjoindre à toute personne qui contrôle l’IFRF ou à toute entité qui appartient au groupe de celle-ci de lui fournir certains renseignements ou documents s’il croit en avoir besoin pour s’assurer que l’IFRF a des politiques et des procédures adéquates pour se protéger contre toute menace à son intégrité ou à sa sécurité;
- le pouvoir de prendre le contrôle de l’IFRF pour des raisons liées à la sécurité nationale.
- Élargir les pouvoirs du ministre des Finances, en vertu de la LRPCFAT, pour lui permettre d’émettre des directives concernant le fait qu’un État étranger, une entité étrangère ou une entité déclarante visée par la loi risque de faciliter le financement de menaces envers la sécurité du Canada, ce qui, de l’avis du ministre, pourrait porter atteinte à l’intégrité ou poser un risque d’atteinte à la réputation du système financier canadien.
Le projet de loi C-47 apporte également des modifications à la LRPCFAT afin de permettre l’échange de renseignements entre le CANAFE, le BSIF et le ministre des Finances dans le but d’évaluer les risques pour l’intégrité du système financier canadien et d’aider le ministre des Finances à exercer ses pouvoirs liés à la protection de la sécurité nationale en vertu de la Loi sur les activités associées aux paiements de détail. Ces modifications s’inscrivent dans le prolongement de la tendance à l’échange de renseignements entre gouvernements que nous avons déjà évoquée ici (en anglais seulement en date des présentes).
Plaintes dans le secteur bancaire
Afin d’améliorer le système actuel de traitement des plaintes contre les banques, comme le prévoyait le budget de 2023, le projet de loi C-47 envisage de modifier la Loi sur les banques de sorte qu’elle prévoie la désignation d’un seul organisme externe de traitement des plaintes. Des modifications correspondantes ont été apportées à la Loi sur l’Agence de la consommation en matière financière du Canada et au Règlement sur le régime de protection des consommateurs en matière financière. Ces modifications s’inscrivent dans le cadre d’un examen pluriannuel du traitement des plaintes par les banques en général.
Augmentation temporaire de la couverture de la SADC
Le projet de loi C-47 modifie la Loi sur la Société d’assurance-dépôts du Canada afin de préciser que la Société d’assurance-dépôts du Canada peut administrer tout contrat lié à l’assurance-dépôts qui est conclu en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques par le ministre des Finances, et de permettre au ministre d’augmenter le plafond de couverture de l’assurance-dépôts jusqu’au 30 avril 2024. Après cette date, le ministre doit effectuer l’examen du plafond de couverture de l’assurance-dépôts et publier un rapport sur l’examen.
Des lignes directrices pour protéger les Canadiens et Canadiennes ayant des prêts hypothécaires existants
Comme promis dans le budget de 2023, l’Agence de la consommation en matière financière du Canada a publié un projet de Ligne directrice sur les prêts hypothécaires existants aux particuliers dans des circonstances exceptionnelles. La ligne directrice demande aux institutions financières d’identifier les débiteurs hypothécaires qui risquent d’être en défaut de paiement en raison de circonstances exceptionnelles et de les aider. Les institutions financières sont invitées à offrir un accès juste et équitable à des mesures d’allégement, par exemple prolonger la période d’amortissement, rajuster les échéanciers de paiement ou autoriser les paiements forfaitaires. Il sera important d’avoir plus d’indications sur ce qui constitue des « circonstances exceptionnelles » lors de l’application de ces lignes directrices.
Questions en suspens
Alors que le gouvernement fédéral cherche à utiliser le projet de loi C-47 pour mettre en œuvre de nombreuses modifications législatives promises dans le budget de 2023, il est remarquable que les modifications concernant les sujets suivants, sujets d’importance abordés dans le budget, sont absentes.
Les « frais indésirables » et les frais de carte de crédit
Le gouvernement fédéral s’est engagé à collaborer avec les organismes de réglementation pour réduire les frais « indésirables » payés par les Canadiens et Canadiennes dans de nombreux secteurs. Un tel engagement s’appuie sur les récentes modifications apportées à la Loi sur les banques, à la Loi sur l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (dont nous avons parlé ici) et à la Loi sur la concurrence (dont Osler a parlé en juin 2022), qui ont toutes une incidence sur les pratiques en matière de transparence des prix dans le secteur financier. Comme l’indique le budget de 2023, la notion de « frais indésirables », telle que l’entend le gouvernement, semble plus large que les frais cachés ou les indications de prix partiels qui sont expressément interdits dans les récentes modifications législatives, ce qui comprend non seulement les frais cachés, mais aussi les frais « excessifs » et « injustifiés ». Toutefois, le gouvernement n’énumère pas expressément les frais facturés par les fournisseurs de services financiers dans le budget de 2023.
Le gouvernement a également annoncé dans le budget de 2023 qu’il avait obtenu de Visa et de Mastercard des engagements à réduire les frais de cartes de crédit pour les petits commerçants, tout en protégeant les points de récompense offerts par les grandes banques. Le budget de 2023 laisse entendre que, grâce à ces engagements, plus de 90 % des entreprises qui acceptent les cartes de crédit bénéficieront de réductions de frais, qui pourraient atteindre 27 % dans le cas des frais d’interchange. Le gouvernement mobilisera des réseaux, des acquéreurs et des fournisseurs de services de paiement afin que les petites entreprises profitent des réductions de frais.
Obligations de déclaration des cryptoactifs
En collaboration avec le BSIF, le gouvernement prévoit de mettre en œuvre des obligations de divulgation de l’exposition aux cryptoactifs dans certains secteurs réglementés. Plus précisément, les institutions financières sous réglementation fédérale devront divulguer publiquement leur exposition, tandis que les grands régimes de retraite divulgueront leur exposition directement au BSIF. Le budget de 2023 indique que le BSIF consultera les IFRF sur les lignes directrices pour une telle divulgation publique, mais aucune modification législative particulière n’a été suggérée.
Déclaration sur la diversité et réunions uniquement virtuelles
Le budget de 2023 indique que le gouvernement fédéral a l’intention d’appliquer aux IFRF des exigences de déclaration similaires à celles qui sont prévues dans la LCSA. Les IFRF seraient ainsi tenues de produire certains renseignements concernant la représentation des femmes, des peuples autochtones (Premières Nations, Inuits et Métis), des personnes handicapées et des membres des minorités visibles au sein de leur conseil d’administration et de leur équipe de haute direction.
Le gouvernement fédéral a également l’intention de permettre aux IFRF de tenir des assemblées d’actionnaires uniquement virtuelles.
Toutefois, le projet de loi C-47 ne prévoit pas les modifications nécessaires à la mise en œuvre de ces changements.
Modernisation des paiements et système bancaire ouvert
Le budget de 2023 ne fait aucune mention du système bancaire ouvert et de la modernisation des paiements, ce qui indique que les priorités du gouvernement sont actuellement ailleurs. Bien que ces mesures progressent toujours, nous ne nous attendons pas à ce que le rythme de mise en œuvre s’accélère dans un avenir proche.
Conclusion
Le projet de loi C-47 continue de suivre son cours dans le processus d’approbation parlementaire et a récemment fait l’objet d’une deuxième lecture à la Chambre des communes le 2 mai. Il introduit de nombreuses modifications législatives qui, si elles sont adoptées, sont susceptibles d’avoir d’importantes répercussions pour les fournisseurs de services financiers canadiens. Comme par le passé, nous nous attendons à ce que le gouvernement présente un deuxième projet de loi budgétaire, qui pourrait aborder certaines des questions du budget de 2023 qui demeurent en suspens. Nous continuerons à surveiller l’évolution du projet de loi C-47 et des questions connexes