Les règles changent : évolution de la gouvernance d’entreprise en 2020

8 Déc 2020 16 MIN DE LECTURE

Les bouleversements d’une ampleur inégalée découlant de la pandémie de COVID-19 dans la vie personnelle et professionnelle des Canadiens et des peuples du monde entier n’ont pas ralenti les initiatives visant la réforme des pratiques en matière de gouvernance d’entreprise au Canada ; en fait, ils pourraient même les avoir accélérés. Cette année a été marquée par une importante réforme des lois sur les sociétés dans divers territoires du Canada, notamment : par le lancement, en Ontario, d’un processus de réforme des lois sur les valeurs mobilières, y compris une réforme des pratiques en matière de gouvernance d’entreprise, par l’adoption de nouvelles règles, aux États-Unis, sur les conseillers en matière de procuration, et par une initiative sectorielle attendue depuis longtemps que parrainent l’Institut des administrateurs de sociétés (IAS) et le Groupe TMX en vue de mettre à jour les pratiques exemplaires liées à la gouvernance d’entreprise au pays.

Les modifications aux lois sur les sociétés suscitées par la pandémie

Les mesures de confinement adoptées en mars dernier afin de préserver la santé et la sécurité publiques au Canada ont été imposées peu avant que la plupart des entreprises ne tiennent leur assemblée annuelle. Cela a mené à l’adoption d’une série de mesures, par les gouvernements fédéral et provinciaux, destinées à faciliter l’utilisation de la technologie pour permettre aux entreprises de tenir leurs assemblées annuelles en mode virtuel. Ces mesures visaient également à apporter la souplesse nécessaire pour retarder la tenue des assemblées annuelles d’émetteurs en 2020. Vous trouverez d’autres détails sur certaines de ces modifications dans notre article intitulé Réduction du fardeau réglementaire : développements positifs en droit des sociétés et des valeurs mobilières en 2020 .

Des assemblées virtuelles

Avant que l’Organisation mondiale de la Santé ne déclare que la COVID-19 avait atteint le stade pandémique, nous avons résumé les principaux éléments à prendre en compte lors de la tenue d’assemblées annuelles dans notre bulletin d’actualités Osler intitulé : « Rencontrons-nous – mais pas en personne : Organiser votre assemblée annuelle des actionnaires en ligne (dans un monde aux prises avec le coronavirus) » sur le site osler.com. Les territoires de compétence dotés de mesures législatives moins souples que celles de l’Ontario ont réagi avec divers degrés de succès. Ils ont mis en œuvre des décrets temporaires ou des mesures semblables ayant préséance sur les obstacles créés par leurs lois ou par les actes constitutifs des sociétés empêchant la tenue d’assemblées d’actionnaires virtuelles. Les mesures temporaires en Ontario ont été prolongées jusqu’à la fin de mai 2021, mais les mesures d’allègement adoptées dans d’autres territoires devraient prendre fin avant cette date, et avant le moment où les sociétés devraient normalement tenir leurs assemblées générales annuelles en 2021.

La pandémie a mené de nombreux émetteurs (et de grande taille, dans bien des cas) à demander l’approbation d’un tribunal aux termes des lois constitutives en vue de tenir une assemblée des actionnaires uniquement sous la forme virtuelle. Parmi les premiers à avoir reçu cette approbation, on compte TELUS Corporation qui, le 11 mars 2020, a obtenu une ordonnance de la Cour suprême de la Colombie-Britannique l’autorisant à tenir son assemblée générale annuelle des actionnaires de 2020 sous forme exclusivement virtuelle. L’ordonnance a été rendue en vertu du pouvoir d’une cour prévu à l’article 186 de la Business Corporations Act de la Colombie-Britannique de convoquer une assemblée des actionnaires de la façon dont la cour l’ordonne. Des dispositions semblables sont prévues dans les lois sur les sociétés de tous les autres territoires du Canada, sauf dans la Companies Act de la Nouvelle-Écosse. Entre autres, l’ordonnance considère que les actionnaires qui participent à l’assemblée entièrement virtuelle sont présents à l’assemblée et que l’assemblée est tenue au siège social de TELUS. Pour plus de renseignements à ce sujet, veuillez consulter le bulletin d’actualités Osler intitulé : « TELUS Corporation obtient une ordonnance de la cour pour tenir une assemblée des actionnaires entièrement virtuelle », sur le site osler.com.

En 2020, les assemblées virtuelles ont été, en forte majorité, tenues uniquement en tant qu’assemblées audio. Et, même s’il y a eu certains retards et contretemps dans l’exécution du processus, il s’agissait d’inconvénients mineurs, guère étonnants, étant donné l’augmentation du nombre d’assemblées virtuelles de sociétés par rapport aux années précédentes. Comme il était nécessaire de tenir des assemblées annuelles en mode virtuel à cause de la pandémie, les investisseurs institutionnels ont réfréné leurs critiques à l’égard de ce format pour l’année 2020, et de nombreuses sociétés ont exprimé leur espoir de retourner à la forme présentielle des assemblées en 2021. Étant donné que l’incertitude plane toujours quant à la possibilité de retourner à la « normale » pour la saison des procurations de 2021, les émetteurs devraient planifier leur assemblée annuelle de l’an prochain sous forme virtuelle.

Les exigences relatives au report des assemblées

De nombreux territoires ont offert aux sociétés la possibilité de reporter leur assemblée générale annuelle de 2020, ce qui a atténué quelque peu les pressions qu’exerce la saison des procurations. Nous avons présenté les considérations pertinentes à cet égard dans notre bulletin d’actualités Osler intitulé : « Une marge de manœuvre : retarder les obligations d’information continue en 2020 », sur le site osler.com.

Comme il se pourrait que le Canada continue de se voir imposer des restrictions en ce qui concerne les rassemblements publics, sur le plan législatif ou pratique, on ignore encore si les territoires canadiens permettront de tels reports au cours de l’année qui vient. Ou bien, les territoires canadiens pourraient s’attendre à ce que les émetteurs tiennent leurs assemblées, virtuelles ou autres, en conformité avec les lignes directrices de la Santé publique, dans les délais habituels.

Autres modifications apportées aux lois sur les sociétés

La LCSA

Des modifications apportées à la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA) qui obligent les sociétés à communiquer de l’information relative à la diversité, soit le nombre de femmes, de membres de minorités visibles, d’Autochtones et de personnes handicapées, sont entrées en vigueur le 1er janvier 2020. La LCSA a également été modifiée de façon que les administrateurs puissent, dans l’exercice de leur devoir fiduciaire, tenir compte d’intérêts particuliers, notamment les intérêts des actionnaires, des employés, des retraités et des pensionnés, des créanciers, des consommateurs et des gouvernements, ainsi que de l’environnement et des intérêts à long terme de la société. Cependant, plusieurs autres modifications doivent encore être proclamées en vigueur, y compris les modifications concernant

  • la présentation d’information concernant le bien-être des employés, des retraités et des bénéficiaires de prestations de retraite ;
  • la présentation d’information concernant les arrangements en matière de récupération de la rémunération ;
  • les exigences relatives au vote consultatif sur la rémunération.

La BCBCA : les nouvelles sociétés d’intérêt social

Le 30 juin 2020, des modifications à la Business Corporations Act de la Colombie-Britannique (BCBCA) sont entrées en vigueur, permettant la constitution de sociétés d’intérêt social. En vertu de la BCBCA, une société d’intérêt social est une société à but lucratif qui s’engage, au moyen d’une « déclaration d’intérêt social » (benefit statement) et d’une « disposition relative à l’intérêt social » (benefit provision) à exercer ses activités de manière responsable et durable, et à promouvoir un ou plusieurs « intérêts publics ».

En plus du devoir fiduciaire d’agir honnêtement et de bonne foi dans l’intérêt supérieur de la société qui revient aux administrateurs et aux dirigeants de toutes les sociétés, il incombe aux administrateurs et aux dirigeants des sociétés d’intérêt social d’assumer deux responsabilités supplémentaires. Premièrement, les administrateurs et les dirigeants de sociétés d’intérêt social doivent agir honnêtement et de bonne foi, de sorte que l’entreprise exerce ses activités de manière responsable et durable et fasse la promotion des intérêts publics inscrits aux statuts de la société. Deuxièmement, ils ont le devoir d’équilibrer l’obligation susmentionnée et l’obligation fiduciaire.

Ces modifications fourniront une autre façon aux sociétés à but lucratif qui se sont engagées à exercer leurs activités de manière responsable et durable de démontrer leur engagement. Pour plus de renseignements, veuillez consulter le bulletin d’actualités Osler intitulé : « La Colombie-Britannique introduit la « société d’intérêt social » (benefit company) dans sa législation », sur le site osler.com.

L’obligation de résidence

Comme nous l’avons décrit dans notrearticle intitulé « Réduction du fardeau réglementaire : développements positifs en droit des sociétés et des valeurs mobilières en 2020 », des modifications ont été apportées à la Business Corporations Act (Alberta), et des modifications à la Loi sur les sociétés par actions (Ontario) ont été proposées, en vue de supprimer toutes les exigences relatives à l’obligation de résidence des administrateurs de sociétés.

La diversité des administrateurs et des dirigeants au Canada

Les manifestations de masse qui ont fait suite au meurtre de George Floyd, le 25 mai 2020 à Minneapolis, ont insufflé une nouvelle énergie au mouvement Black Lives Matter et à la lutte contre le racisme envers les Noirs. Au Canada, le Conseil canadien des chefs d’entreprise contre le racisme systémique envers les Noirs a été créé, et il a proposé l’Initiative BlackNorth visant à combattre le racisme systémique envers les Noirs. L’Initiative BlackNorth a pour objectif de créer véritablement des occasions pour les personnes des collectivités noires, autochtones et de couleur (PANDC).

Dans le cadre de l’Initiative BlackNorth, il a été demandé aux dirigeants d’entreprises canadiens de signer un engagement affirmant que leurs sociétés adopteront certaines mesures et cibles pour mettre fin au racisme systémique. Cet engagement comporte la promesse d’assurer que les membres de la collectivité noire représentent au moins 5 % des étudiants embauchés et 3,5 % des personnes nommées au conseil d’administration et embauchées à la haute direction d’ici 2025. Par ailleurs, l’organisation s’engage à consacrer au moins 3 % des dons et des commandites d’entreprise à la promotion d’investissements et d’occasions de développement économique dans la collectivité noire d’ici 2025.

Cette année, notre rapport annuel des pratiques de divulgation en matière de diversité adoptées par les sociétés canadiennes s’est penché sur l’information relative aux femmes à des postes d’administratrices et de haute direction au sein d’émetteurs inscrits à la TSX. De plus, et pour la première fois, nous avons examiné les déclarations de sociétés régies par la LCSA concernant la représentation à des postes d’administrateur et de haute direction de personnes de minorités visibles, d’Autochtones ou de personnes handicapées.

Même si nous avons pu constater la présence de sociétés de premier ordre et prendre connaissance des pratiques qu’elles ont divulguées, nous avons dû conclure qu’il restait beaucoup de travail à faire. Dans l’ensemble, nos résultats indiquaient une lente mais progression continue du nombre de femmes au sein des conseils d’administration, mais non à des postes de haute direction. Nous avons également constaté que, d’après l’information fournie au titre de l’exigence de communication de renseignements sur la diversité de la nouvelle LCSA, la représentation de membres de minorités visibles à des postes d’administrateur et de haute direction est démesurément faible en comparaison avec la représentation de ces groupes dans la population canadienne en général. Et nous avons noté que la représentation de personnes autochtones et handicapées était pratiquement inexistante.

De plus, notre rapport fournit un aperçu de l’évolution récente en matière de réglementation et de marché dans ce domaine, tant au Canada qu’à l’étranger. Depuis que nous avons publié le rapport en octobre, Institutional Shareholder Services (ISS) a publié ses mises à jour des politiques pour 2021  (en anglais). Sur le plan de la communication de l’information en matière de diversité, ISS a déclaré qu’à partir de février 2022, elle recommandera de voter contre le président du comité des candidatures dans le cas des émetteurs faisant partie de l’indice composé S&P/TSX, si ces émetteurs (a) ne se sont pas dotés d’une proportion d’au moins 30 % de femmes administratrices, ou (b) s’ils ne se sont pas dotés d’une politique sur la diversité du conseil d’administration comportant une cible de 30 % à atteindre dans des délais raisonnables. La politique relative aux émetteurs inscrits à la TSX qui ne font pas partie de l’indice composé S&P/TSX demeure pratiquement inchangée.

Le rapport de consultation du Groupe de travail sur la modernisation relative aux marchés financiers

Comme nous l’avons décrit dans notre article intitulé « Réduction du fardeau réglementaire : développements positifs en droit des sociétés et des valeurs mobilières en 2020 », le Groupe de travail sur la modernisation relative aux marchés financiers (le Groupe de travail) a publié son rapport de consultation préliminaire. Dans ce rapport, le Groupe de travail sollicitait la rétroaction sur un certain nombre de propositions, notamment :

  • la simplification des délais de déclaration, en permettant aux émetteurs de déposer leurs résultats financiers aux semestres, plutôt qu’aux trimestres ;
  • l’accroissement de la diversité au sein du conseil d’administration, y compris des propositions qui exigeraient que les sociétés inscrites à la TSX fixent des cibles et fournissent des données annuelles relativement à la représentation des femmes et des PANDC au sein des conseils d’administration et à des postes de haute direction, soit des cibles possibles de 40 % de femmes et de 20 % de PANDC, et la question de savoir s’il faudrait fixer une limite de dix ans au mandat des administrateurs, tout en permettant à une proportion pouvant atteindre 10 % du conseil d’administration de dépasser la limite de dix ans pendant une période pouvant atteindre deux ans ;
  • l’instauration d’un cadre réglementaire visant les agences de conseil en vote par procuration (ACVP), en accordant aux émetteurs le droit de réfuter les rapports de ces agences sans frais, et en empêchant les ACVP d’offrir des services de consultation aux émetteurs à l’égard desquels les ACVP fournissent également aux clients des recommandations relatives au vote ;
  • la délégation à la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario du pouvoir d’offrir ses opinions à l’égard de l’exclusion, par un émetteur, des propositions d’actionnaires dans les documents de procuration ;
  • l’instauration de règles empêchant l’exercice excessif du droit de vote ;
  • la suppression de la distinction entre les propriétaires véritables non opposés et les propriétaires véritables opposés, et l’autorisation accordée aux émetteurs de communiquer avec tous les propriétaires véritables de leurs actions en retirant la capacité des propriétaires véritables de décider de garder confidentiels leur nom et les détails de leur participation.

Les règles définitives de la SEC sur les agences de conseil en vote par procuration

Le 22 juillet 2020, la Securities and Exchange Commission des États-Unis (SEC) a publié les modifications définitives à ses règles en matière de procurations visant à réglementer certaines activités des agences de conseil en vote par procuration. Les modifications codifient l’opinion de la SEC selon laquelle l’activité de prestation de conseils sur le vote par procuration constitue une sollicitation. Vous trouverez d’autres détails à cet égard dans notre article intitulé Évolution de la législation américaine sur les valeurs mobilières en 2020.

Le comité pour tracer l’avenir de la gouvernance d’entreprise au Canada

Le 6 octobre 2020, le Groupe TMX et l’Institut des administrateurs de sociétés (IAS) ont annoncé une nouvelle initiative, soit la création du Comité sur l’avenir de la gouvernance d’entreprise au Canada (le Comité). Coprésidé par l’IAS et par TMX, le Comité est composé de 12  administrateurs. Il a pour mandat de procéder à un examen des pratiques en matière de gouvernance d’entreprise, notamment :

  • le rôle des entreprises/les attentes à l’égard des entreprises sur le plan sociétal
  • les stratégies, les objectifs et les risques
  • la culture, l’équité, la diversité et l’inclusion
  • le rendement durable et résilient
  • l’efficacité du conseil d’administration et de ses membres.

Il s’agit de la première initiative sectorielle depuis le rapport du comité du Groupe TSX sur la gouvernance d’entreprise (le comité Dey) en 1994, et le rapport du comité mixte sur la gouvernance d’entreprise (le comité Saucier) en 2001.

Le Comité a entrepris son examen par un processus de consultation avec des experts issus de groupes et d’organisations ayant un intérêt dans la gouvernance des sociétés canadiennes de partout au pays, ainsi qu’à l’étranger. Les résultats de ces tables rondes de parties prenantes, ainsi que la recherche sur les pratiques à l’échelle internationale et l’expérience des administrateurs qui forment le Comité, constitueront le fondement d’un rapport comportant des lignes directrices et des recommandations sur la gouvernance d’entreprise dans les sociétés canadiennes. Un avant-projet de rapport devrait être publié cet hiver afin d’obtenir les commentaires du public. À la suite de la réception des commentaires, le Comité devrait publier son rapport définitif en 2021.

La gouvernance en 2021

Le rôle des sociétés ouvertes au Canada fait l’objet d’examens sur plusieurs aspects. Les attentes sont élevées à l’égard des conseils d’administration : assurer le leadership à l’égard de la diversité et de l’inclusion, de l’environnement et du capital humain, ainsi que des questions sociales, tout en assurant des rendements financiers à long terme aux investisseurs. S’adapter à ces modifications constituera un défi, particulièrement dans le contexte actuel ; la collectivité des administrateurs canadiens devra donc faire preuve de leadership.