Auteurs(trice)
Associé, Droit des sociétés, Toronto
Sociétaire, Litiges, Toronto
Associée, Litige; Affaires réglementaires, Autochtones et environnement, Toronto
Le 9 février 2023, ClientEarth, une ONG environnementale ayant son siège à Londres, a déposé une action dérivée devant la Haute Cour d’Angleterre et du Pays de Galles contre le conseil d’administration de Shell plc (Shell), alléguant que la stratégie de Shell eu égard aux changements climatiques n’est pas raisonnable – une première mondiale.
Une action remet en cause la stratégie de Shell eu égard aux changements climatiques
Il y a un an, ClientEarth a envoyé une lettre avant action à Shell, l’informant de la réclamation en cours contre le conseil d’administration de la société. Elle demande maintenant à la Haute Cour d’Angleterre et du Pays de Galles l’autorisation d’introduire sa prétention. ClientEarth allègue que les administrateurs de Shell ont violé leur obligation, en vertu de la loi britannique intitulée Companies Act, de promouvoir le succès de Shell au profit de l’ensemble de ses membres et d’agir avec un soin, une compétence et une diligence raisonnables, en omettant prétendument d’adopter et de mettre en œuvre, eu égard aux changements climatiques, une stratégie conforme à l’Accord de Paris.
Shell nie les allégations, affirmant que sa stratégie en la matière (approuvée par 80 % de ses actionnaires) comprend un plan de neutralité en matière de gaz à effet de serre comportant un objectif pour 2050 qui est conforme à l’objectif de l’Accord de Paris, soit de limiter le réchauffement climatique à 1,5˚C.
ClientEarth a intenté l’action en tant qu’action dérivée en sa qualité d’actionnaire (symbolique) de Shell. Toutefois, l’action en justice est également soutenue par un certain nombre d’investisseurs institutionnels détenant plus de 12 millions d’actions de la société, notamment les fonds de pension britanniques Nest et London CIV, le fonds de pension national suédois AP3, le gestionnaire d’actifs français Sanso IS, le gestionnaire d’actifs belge Degroof Petercam Asset Management (DPAM) et le gestionnaire d’actifs danois Danske Bank Asset Management, ainsi que les fonds de pension Danica Pension et AP Pension.
Au cours des deux dernières années, Shell a dû faire face à plusieurs actions en justice liées aux changements climatiques, intentées un peu partout dans le monde. En mai 2021, le tribunal du district de La Haye a ordonné à Shell de réduire ses émissions de gaz à effet de serre provenant de ses produits pétroliers et gaziers de 45 % d’ici à 2030, par rapport à ses niveaux de 2019. Au début du mois, un autre groupe à but non lucratif a déposé une plainte pour écoblanchiment contre Shell auprès de la Securities and Exchange Commission des États-Unis, alléguant que la société avait surévalué les dépenses qu’elle avait engagées au chapitre des énergies renouvelables. En 2021, Greenpeace Canada a déposé une plainte contre Shell auprès du Bureau de la concurrence du Canada, alléguant que la prétention de la société concernant son programme de conduite carboneutre constitue des déclarations fausses ou trompeuses au public, en violation de la Loi sur la concurrence (Canada).
Il s’agit toutefois de la première action en justice contre une société où ses administrateurs sont personnellement visés en raison de la stratégie de la société eu égard aux changements climatiques.
Litiges liés au changements climatiques au Canada
Les litiges liés aux changements climatiques visant des sociétés en sont encore à leurs débuts au Canada. Bien qu’elles ne soient pas nouvelles au Canada, la plupart des poursuites liées aux changements climatiques à ce jour ont visé les gouvernements et les acteurs gouvernementaux. Il reste à voir si des actions similaires à celle de ClientEarth seront intentées au Canada. Les lois canadiennes sur les sociétés exigent des administrateurs canadiens qu’ils agissent avec intégrité et de bonne foi au mieux des intérêts de la société et avec le soin, la diligence et la compétence dont ferait preuve, en pareilles circonstances, une personne prudente (des obligations similaires à celles que ClientEarth a invoquées dans son action contre Shell). La Cour suprême du Canada a déclaré que, lorsqu’ils déterminent ce qui est au mieux des intérêts de la société, les administrateurs canadiens peuvent tenir compte, entre autres, de l’environnement, élément qui a été expressément ajouté à la Loi canadienne sur les sociétés par actions.
En février également, le gouvernement fédéral a annoncé son intention de moderniser la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) et de reconnaître un droit à un environnement sain, comme cela a été reconnu récemment sur la scène internationale. Si un tel droit est enchâssé, il faudra se demander si sa reconnaissance jouera un rôle dans les litiges liés aux changements climatiques visant les sociétés à l’avenir. Osler continue à se tenir au fait de l’évolution de la situation dans ce domaine et est prêt à conseiller ses clients y exerçant des activités.
Il est trop tôt pour dire quelle incidence cette affaire aura sur les entreprises canadiennes ou les entreprises exerçant des activités au Canada. Cependant, étant donné que son dénouement pourrait créer un précédent, l’action en justice doit être suivie de près tout au long de son parcours devant le tribunal.