Auteurs(trice)
Sociétaire, Droit de la concurrence et investissement étranger, Toronto
Conseiller spécial, Calgary
Associé, Fiscalité, Toronto
La régulation de l’industrie laitière canadienne reste un sujet de discorde entre le Canada et ses partenaires commerciaux. Plus précisément, les pratiques du Canada concernant l’allocation des contingents tarifaires (CT) pour divers produits laitiers ont fait l’objet d’un examen minutieux à plusieurs reprises et sont maintenant la source des premiers différends aux termes de deux des principaux accords de libre-échange du Canada : l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM) et l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP).
Comme nous l’avons indiqué dans notre précédent article, en mai 2022, la Nouvelle-Zélande a officiellement entamé une procédure de règlement des différends aux termes du PTPGP, dans le cadre de laquelle il a demandé l’ouverture de consultations avec le gouvernement canadien concernant la mise en œuvre par le Canada de ses obligations en matière de CT pour les produits laitiers. À la suite de ces consultations, en novembre 2022, la Nouvelle-Zélande a demandé l’établissement d’un groupe spécial de règlement des différends, le premier à l’être aux termes du PTPGP (le groupe spécial du PTPGP). Le 5 septembre 2023, le groupe spécial du PTPGP a publié son rapport [PDF; en anglais seulement] dans lequel il a conclu que certaines pratiques du Canada concernant l’allocation des CT pour les produits laitiers violaient ses engagements aux termes du PTPGP.
Contexte
Le différend est survenu en raison du système de « gestion de l’offre » que le Canada utilise pour réguler son industrie laitière. (Pour plus de détails sur ce système de gestion de l’offre, voir notre article précédent.) Essentiellement, le système en question est composé de trois « piliers » : le contrôle de la production, les mécanismes d’établissement des prix et le contrôle des importations. En contrôlant les importations, le Canada peut limiter le volume de produits laitiers étrangers entrant sur le marché laitier du pays.
Les CT sont un mécanisme qui permet au Canada de contrôler les importations. Les CT, qui ont été convenus par les parties au PTPGP, fixent, pour un produit donné, une limite au volume qui peut bénéficier de droits de douane réduits à l’importation (la limite du contingent). Des droits de douane plus élevés (souvent prohibitifs) s’appliquent aux importations dépassant la limite du contingent. Le Canada gère les CT par le biais d’un ensemble de licences d’importation; des licences d’importation spécifiques à une importation sont délivrées pour toutes les importations sous la limite du contingent.
Le différend et la décision du groupe spécial du PTPGP
La plainte de la Nouvelle-Zélande à l’endroit du Canada portait sur son mécanisme de délivrance de ces licences, et donc le choix des personnes autorisées à importer les marchandises au taux préférentiel de droits de douane. Les CT du Canada ont été sous-utilisés depuis l’entrée en vigueur du PTPGP; en effet, le pourcentage des contingents remplis par les importations s’établit à 10 % ou moins pour 13 des 16 CT de produits laitiers du Canada.[1] Neuf de ces 13 CT n’ont fait l’objet d’aucune importation.[2]
Bien que les volumes contingentaires de chaque CT soient négociés aux termes du PTPGP, les méthodes d’allocation des CT sont déterminées par chaque partie. Le mécanisme d’allocation du Canada repose sur un système de mise en commun qui réserve des pourcentages spécifiques de chacun des 16 CT de produits laitiers prévus par le PTPGP aux « transformateurs », aux « transformateurs secondaires » et aux « distributeurs ». Les pourcentages réservés à chaque groupe sont définis dans les Avis aux importateurs (les Avis) publiés par Affaires mondiales Canada relativement à chacun des 16 CT. Les allocations prévues dans les Avis réservent 80 à 85 % de tous les CT de produits laitiers aux transformateurs, 0 à 20 % aux transformateurs secondaires et 0 à 15 % aux distributeurs, selon le CT en question.[3]
Essentiellement, la Nouvelle-Zélande a soutenu que, par ses méthodes d’allocation, le Canada détournait l’accès aux CT des importateurs canadiens qui pouvaient utiliser le taux préférentiel de droits de douane pour importer des produits laitiers de Nouvelle-Zélande, et qu’il accordait plutôt le contingent aux transformateurs nationaux, empêchant ainsi les exportateurs néo-zélandais d’utiliser les CT et violant diverses obligations aux termes du PTPGP. Le groupe spécial du PTPGP a été expressément invité à déterminer si les mesures d’allocation du Canada, telles qu’elles sont énoncées dans les Avis, sont compatibles avec les obligations suivantes des parties aux termes du PTPGP (prévues aux paragraphes 2.28 à 2.30) :
- de [Traduction libre] « veiller à ce que […] toute personne d’une partie qui remplit les critères d’admissibilité [du Canada] soit en mesure de présenter une demande et d’être prise en considération pour l’allocation d’un contingent aux termes du CT » et de veiller à ce que le système d’allocation [Traduction libre] « ne limite pas l’allocation aux transformateurs »
- de garantir des procédures « justes et équitables » (fair and equitable) pour l’administration des CT et administrer ces derniers de manière à permettre aux importateurs d’utiliser pleinement les quantités prévues par les CT
- de s’abstenir de [Traduction libre] « introduire des conditions, des limites ou des critères d’admissibilité nouveaux ou supplémentaires concernant l’utilisation d’un CT […] au-delà de ceux énoncés dans la liste afférente à l’annexe 2-D (Engagements tarifaires) [du Canada] »
- de [Traduction libre] « veiller à ce que […] chaque allocation soit effectuée dans des quantités d’expédition viables sur le plan commercial et, dans toute la mesure du possible […] dans les quantités demandées par les importateurs »
- de [Traduction libre] « veiller à ce que […] si la quantité totale de CT demandée par les demandeurs dépasse le volume du contingent, l’allocation aux demandeurs admissibles se fasse selon des méthodes équitables et transparentes »
La décision du groupe spécial du PTPGP reposait en grande partie sur l’interprétation de l’expression « limite[r] une allocation aux transformateurs » (au sous-alinéa 2.30(1)(b)), appelée « clause relative aux transformateurs ». Selon la Nouvelle-Zélande, cette expression doit être interprétée comme signifiant que, si une partie limite l’accès à une, plusieurs ou toutes les allocations disponibles, elle manque à ses obligations aux termes du PTPGP. Étant donné que le Canada réserve indiscutablement la grande majorité des volumes de chaque CT de produits laitiers aux transformateurs, il a manqué à ses obligations.
Le Canada a contesté cette interprétation, faisant valoir que la clause relative aux transformateurs interdit à une partie de limiter la possibilité d’obtenir une allocation aux seuls transformateurs. Simplement, cette pratique de « mise en commun » — ou le fait de réserver une partie du CT aux transformateurs — ne constitue pas une violation de l’accord, puisque tout demandeur admissible qui n’est pas un transformateur a le droit de recevoir une demande.
Le groupe spécial du PTPGP a finalement déterminé que le Canada avait violé ses engagements aux termes du PTPGP. Plus précisément, le fait de réserver aux seuls transformateurs l’accès à une partie ou à la totalité de ses CT pour les produits laitiers est incompatible avec un certain nombre d’obligations du Canada aux termes du PTPGP. [4] En outre, le groupe spécial du PTPGP a constaté que le « système de mise en commun » du Canada a pour effet de limiter la possibilité pour les demandeurs par ailleurs admissibles d’utiliser pleinement les CT. Fait important pour le Canada, le groupe spécial du PTPGP a reconnu le pouvoir discrétionnaire du Canada de définir des politiques d’allocation des CT conformément à ses obligations aux termes du PTPGP, y compris de déterminer qui peut obtenir une allocation.
Les parties disposent à présent de 45 jours à compter de la publication du rapport du groupe spécial du PTPGP pour tenter de convenir d’un délai raisonnable pour éliminer toute non-conformité.
Une trame se dessine-t-elle?
Comme nous l’avons déjà mentionné, un groupe spécial de l’ACEUM convoqué l’année dernière a résolu une plainte presque identique déposée par les États-Unis aux termes de l’ACEUM et est parvenu à une conclusion étonnamment similaire. Le rapport du groupe spécial du PTPGP a noté que la décision de l’ACEUM était « informative » (informative), mais ne le liait pas. La décision du groupe spécial du PTPGP, tout en aboutissant à un résultat similaire à celui du groupe spécial de l’ACEUM, a été prise à l’issue d’une évaluation indépendante. En réponse à la décision du groupe spécial de l’ACEUM, le Canada a répondu aux préoccupations des États-Unis au moyen de mesures qui ont modifié ses pratiques d’allocation concernant les CT pour les produits laitiers. Les États-Unis, non satisfaits des nouvelles politiques du Canada, ont demandé la convocation d’un deuxième groupe spécial chargé d’entendre ses nouvelles préoccupations.
L’Australie, le Japon, le Mexique, le Pérou et Singapour se sont joints au différend en tant que tierces parties, signe que d’autres partenaires commerciaux du Canada pourraient faire écho à des préoccupations similaires.
Principaux points à retenir
Les gouvernements de la Nouvelle-Zélande et du Canada ont publié des déclarations dans lesquelles ils considèrent la décision du groupe spécial du PTPGP comme une « victoire » pour leurs intérêts respectifs. Dans son communiqué, la ministre Ng a souligné que le groupe spécial du PTPGP reconnaissait le système de gestion de l’offre de produits laitiers du Canada et que le Canada « ne [négociera] pas ces allocations avec des pays qui cherchent à affaiblir le système de gestion de l’offre du Canada ».
Bien qu’il soit intéressant de noter que les premiers différends soulevés aux termes de l’ACEUM et du PTPGP concernent les pratiques du Canada en matière d’allocation de CT pour les produits laitiers — et que les États-Unis ont entamé une deuxième procédure de règlement des différends similaire aux termes de l’ACEUM — il reste à voir comment les pratiques du Canada évolueront et à quoi ressembleront les différends à venir. Jusqu’à présent, le gouvernement du Canada n’a montré aucune volonté de mettre de côté le système de gestion de l’offre. Les investisseurs doivent s’attendre à ce que les différends futurs soient résolus de la même manière et à ce que les différends soient touchés par divers objectifs politiques. Les investisseurs et les gouvernements continueront d’adapter et d’interpréter les accords au fil du temps. Les équipes d’Osler spécialisées dans le commerce international et l’investissement et dans l’agroentreprise continueront à suivre l’évolution de la situation.
[1] Canada – Dairy Tariff Rate Quota Allocation Measures (CDA-NZ-2022-28-01), Final Panel Report (Canada – Mesures d’allocation du contingent tarifaire pour les produits laitiers (CDA-NZ-2022-28-01), Rapport final du groupe spécial) [PDF; en anglais seulement], 5 septembre 2023, par. 30 [Rapport du groupe spécial].
[2] Rapport du groupe spécial, par. 30.
[3] Rapport du groupe spécial, par. 24.
[4] Rapport du groupe spécial, par. 85.