Auteurs(trice)
Associé, Fiscalité, Ottawa
Associé, Fiscalité, Toronto
Associé, Fiscalité, Calgary
En 2017, l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) a intenté une poursuite qui testait les limites de ses pouvoirs en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu. La cause historique de Cameco, maintenant mise en délibéré par la Cour canadienne de l’impôt, constituait le premier appel en matière fiscale sur la portée des dispositions relatives à la requalification dans les règles sur les prix de transfert du Canada qui touchent les opérations internationales entre parties liées. De même, dans l’affaire BP Canada Energy Company c. Canada (BP Canada), l’ARC a porté une cause type en Cour d’appel fédérale sur les limites de son pouvoir de demander la production de l’analyse interne des positions fiscales incertaines d’un contribuable. Sur le plan législatif, le ministère des Finances a rendu public un ensemble de propositions générales qui, selon plusieurs, ciblaient de façon injuste les sociétés fermées canadiennes et leurs actionnaires. Les mesures, qui visaient principalement à atténuer certains avantages apparents de tirer des revenus d’une société par actions, ont été vivement critiquées par le milieu des affaires et par les conseillers financiers. Plusieurs des propositions ont maintenant été abandonnées ou ont été substantiellement révisées. Cet article examine chacun de ces nouveaux éléments survenus en 2017 dans l’administration du régime fiscal canadien.
La Cour de l’impôt instruit une cause historique sur la règle de requalification du prix de transfert
Le régime fiscal international a fait l’objet de récents débats dans les médias qui ont donné lieu à des accusations populistes en ce qui concerne le non-paiement par des sociétés de leur « juste part » d’impôts, à des fuites de document et aux retombées du projet de l’OCDE sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (le projet BEPS). Bien que la majeure partie de ces débats porte sur l’opportunité d’adopter de nouvelles lois, la Cour canadienne de l’impôt a été saisie en 2017 d’une cause historique (Cameco) qui pourrait influencer le mode d’application des règles canadiennes actuelles sur les prix de transfert à des sociétés multinationales. Des douzaines de témoins ont été entendus lors de l’instruction, qui a duré plus de 60 jours.
Plus particulièrement, l’affaire offre à la Cour sa première occasion d’interpréter la disposition de requalification des règles sur les prix de transfert – cette disposition permet à la Cour d’annuler les opérations réelles entre un contribuable canadien et un étranger ayant un lien de dépendance et de les requalifier par rapport aux opérations qui auraient été conclues par des parties sans lien de dépendance.
Dans Cameco, la société mère canadienne a vendu de l’uranium qu’elle avait extrait à sa filiale suisse dans le cadre de contrats de longue durée. La filiale suisse a également acquis de l’uranium auprès de tiers. La filiale suisse a vendu l’uranium ainsi acquis à des tiers aux termes d’un contrat correspondant conclu avec une filiale américaine liée.
La ministre du Revenu national a contesté la position de Cameco sur trois plans. D’une part, la ministre a invoqué la disposition sur la requalification qui n’avait pas été testée auparavant dans une tentative d’écarter complètement la filiale de ces opérations (les bénéfices revenant par conséquent à la société mère canadienne). La ministre fondait son argument sur l’hypothèse selon laquelle des parties sans lien de dépendance n’auraient pas inclus la filiale dans de telles opérations.
D’autre part, et à titre subsidiaire, la ministre a fait valoir que les bénéfices de la filiale suisse devraient revenir au Canada selon la règle traditionnelle sur les prix de transfert, suivant laquelle les opérations réelles sont conservées, mais les modalités sont ajustées par rapport à celles qui auraient été convenues par des personnes sans lien de dépendance. Bien que les tribunaux se soient déjà prononcés sur cette règle, Cameco soulève un certain nombre de questions importantes sur la façon de traiter le risque, la manière dont les règles sur les prix de transfert se rapportent aux autres dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu et, bien entendu, la façon dont la règle traditionnelle sur les prix de transfert interagit avec la règle de la requalification.
Enfin, la ministre a également allégué que la série d’opérations réalisées par des entités de Cameco constituait un trompe-l’œil selon les principes de la common law.
Cameco, représentée par Osler, a vigoureusement contesté les allégations de la ministre et a fait valoir qu’elles étaient dépourvues de tout fondement. La décision de la Cour devrait être rendue en 2018 et sera examinée de près par les experts en fiscalité.
La Cour d’appel fédérale définit les limites du pouvoir de l’ARC d’exiger des documents
Dans BP Canada, la Cour d’appel fédérale a formulé des directives importantes sur les limites des pouvoirs conférés par la loi à l’ARC lui permettant d’exiger des documents concernant l’analyse interne des positions fiscales incertaines du contribuable. Ces documents, connus sous le nom de « documents de travail sur l’impôt couru », renvoient généralement aux documents préparés par des vérificateurs indépendants, ou à leur intention, dans le cadre du processus menant à la vérification d’états financiers conformément aux PCGR.
Dans BP Canada, le contribuable avait pleinement collaboré en fournissant tous les faits et les registres demandés par l’ARC lors de la vérification et avait, en fait, répondu à toutes les préoccupations soulevées par la vérificatrice de l’ARC relativement à l’année d’imposition visée. La vérificatrice a ensuite exigé une liste non caviardée des positions fiscales incertaines du contribuable. La vérificatrice de l’ARC a finalement reconnu que cette demande avait pour objet d’utiliser la liste comme « feuille de route » devant l’aider à exécuter les vérifications de BP Canada au cours des années d’imposition à venir.
La Cour a rejeté cette demande à l’unanimité. Elle a statué que le régime législatif, bien interprété, ne fait pas en sorte que la communication des « documents de travail sur l’impôt couru » peut être exigée sans restriction et que la ministre ne peut obliger les contribuables à révéler leurs « points[/nobr [nobr]faibles » dans leurs déclarations de revenus. Même si le régime fiscal est un régime d’autocotisation, l’obligation d’autocotisation ne contraint pas les contribuables à l’autovérification ou à s’acquitter des aspects fondamentaux de la fonction de vérification de l’ARC. À en juger par le contexte et l’objet du régime législatif, le législateur entendait que les pouvoirs de communication des documents soient exercés avec retenue lorsqu’il s’agit de renseignements sur l’impôt couru et que ces renseignements ne soient pas communiqués systématiquement. La Cour a fait observer que la politique sur la communication de documents publiée par l’ARC prévoit que le pouvoir d’obtenir les documents sur l’impôt couru ne peut être exercé de façon systématique. Chercher à avoir un accès continu aux positions fiscales incertaines de BP Canada a, dans les faits, perverti cette politique.
La Cour a en outre accepté l’argument selon lequel exiger la communication systématique des documents sur l’impôt couru compromettrait les obligations d’information financière qu’impose la législation provinciale en matière de valeurs mobilières en créant un incitatif pour que les sociétés cotées en bourse ne constatent plus par écrit certains points à l’intention de leurs vérificateurs externes et se montrent moins disposées à communiquer à ces derniers leurs risques fiscaux. Selon la Cour, le législateur ne pouvait vouloir que l’exercice des pouvoirs de vérification conférés dans la Loi de l’impôt sur le revenu mette en péril l’intégrité du système d’information financière mis en place par les provinces.
L’ARC a choisi de ne pas porter la décision BP Canada en appel. Il est prévu que l’ARC publiera une politique mise à jour afin d’établir à quel moment il est approprié pour les vérificateurs de l’ARC de demander ce type de document. Il est à souhaiter que la politique révisée continuera de refléter la réprimande de la Cour selon laquelle ces demandes ne doivent pas être faites pour délimiter la vérification de l’ARC.
Réforme fiscale visant les sociétés fermées
En juillet 2017, le gouvernement fédéral a proposé des changements radicaux au mode d’imposition des sociétés fermées canadiennes. Les propositions portaient sur quatre grands domaines : i) la répartition du revenu, ii) l’imposition du revenu passif détenu dans des sociétés privées, iii) le dépouillement des surplus (opérations ayant pour but de convertir un revenu régulier en gains en capital) et iv) la limitation de l’accès à l’exonération cumulative des gains en capital (l’ECGC).
En raison de l’importance des critiques du public, le gouvernement a indiqué qu’il réduirait les exigences des propositions sur le revenu passif et qu’il ne donnerait pas suite aux propositions sur le dépouillement des surplus ni aux propositions sur la limitation de l’accès à l’ECGC.
Le gouvernement a aussi annoncé que le taux d’imposition des petites entreprises serait réduit, passant de 10,5 % à 10 % à compter du 1er janvier 2018, puis à 9 % à partir du 1er janvier 2019.
La répartition du revenu
Lorsqu’un enfant âgé de moins de 18 ans reçoit certains dividendes imposables de sociétés privées (ou un revenu de sociétés de personnes et de fiducies provenant d’une entreprise ou d’une profession), ces montants seront imposables pour l’enfant au taux d’imposition des particuliers le plus élevé (impôt sur le revenu fractionné). Le gouvernement a proposé d’élargir les types de revenus auxquels l’impôt sur le revenu fractionné pourrait s’appliquer. De plus, la proposition élargit le groupe des personnes susceptibles d’être assujetties aux règles de manière à inclure les conjoints, les enfants d’âge adulte et les personnes liées (comme les tantes, les oncles, les nièces et les neveux). Lorsque le montant reçu est « raisonnable » compte tenu de l’apport de la personne à l’entreprise, le taux élevé d’imposition sur le revenu fractionné ne s’appliquera généralement pas.
L’avant-projet de loi qui décrit les propositions et qui offre plus de certitude aux membres de la famille qui contribuent à l’entreprise est prévu à la fin de 2017 et devrait être en vigueur pour les années d’imposition 2018 et les suivantes.
Le revenu passif
De façon très générale, le montant global de l’impôt payé sur le revenu de placement gagné par une société et distribué aux actionnaires à titre de dividende est similaire au montant d’impôt qu’un particulier paierait sur le même revenu de placement gagné directement. Toutefois, comme le revenu tiré d’une entreprise exploitée activement est imposé dans une société fermée à un taux inférieur à celui auquel est imposé le même revenu gagné par un particulier, une société fermée qui gagne un revenu d’entreprise disposera généralement de plus de fonds « après impôt » à investir dans des placements passifs.
Bien que l’avant-projet de loi n’ait pas encore été rendu public, le gouvernement a indiqué qu’il étudiait des façons de traiter cet « avantage apparent ». Cela pourrait finalement donner lieu à un taux d’imposition effectif de plus de 70 % sur certains revenus passifs. Toutefois, le gouvernement a confirmé récemment que les nouvelles règles ne s’appliqueraient pas aux placements déjà faits ni aux revenus gagnés sur ceux-ci. Le gouvernement propose également d’introduire une exonération annuelle de 50 000 $ de l’application du taux d’imposition supérieur.
L’avant-projet de loi portant sur ces règles est attendu dans le budget fédéral de 2018.