Auteurs(trice)
Associé directeur national, Toronto
Associée, Fiscalité, Toronto
Associé, Litiges, Toronto
Associé, Litiges, Toronto
Dans une décision unanime, la Cour d’appel fédérale a invalidé une décision qui avait été rendue en 2016 par la Cour fédérale du Canada et, de ce fait, a favorisé une plus grande clarté et certitude juridique concernant la possibilité des parties à une transaction commerciale envisagée de partager des communications protégées par le privilège du secret professionnel. Dans sa décision de 2016, la Cour fédérale a affirmé que le fait de partager des communications privilégiées dans le cadre d’un processus de diligence raisonnable ou de la planification d’une transaction constituait une renonciation au privilège du secret professionnel dans la majorité des cas. Cette décision a suscité une grande inquiétude, parce qu’elle pouvait faire fortement obstacle à la réalisation de certaines transactions.
Toutefois, dans l’affaire Iggillis Holdings Inc. c. Canada (Revenu national) (« Iggillis »), la Cour d’appel fédérale a complètement annulé la décision rendue par le tribunal d’instance inférieure. La décision de la Cour d’appel fédérale fait donc de nouveau coïncider le traitement du privilège de l’intérêt commun par la Cour fédérale et les cours supérieures provinciales en confirmant que ce privilège sert un objectif légitime et peut s’appliquer de façon valable aux transactions commerciales.
Le privilège de l’intérêt commun et la décision du tribunal d’instance inférieure
Le privilège du secret professionnel de l’avocat protège les communications entre l’avocat et son client qui ont pour but d’obtenir ou donner un avis juridique et que les parties entendent garder confidentielles. Normalement, le fait de partager délibérément une communication privilégiée avec un tiers constitue une renonciation au privilège. En effet, la divulgation d’une communication privilégiée à un tiers est incompatible avec l’idée qu’elle était censée rester confidentielle, principe fondamental du privilège du secret professionnel.
Avant que le tribunal d’instance inférieure ne rende sa décision, la Cour d’appel fédérale et les cours supérieures provinciales du Canada avaient toujours admis que les parties à une transaction commerciale pouvaient partager des communications privilégiées portant un intérêt juridique commun en vue de permettre la réalisation d’une transaction, sans renoncer au privilège du secret professionnel. La possibilité de se prévaloir du privilège de l’intérêt commun dans le contexte des transactions commerciales (parfois appelé le « privilège relatif aux négociations ») repose sur les faits en cause. Plus particulièrement, les parties doivent démontrer qu’elles s’attendent à ce que les avis juridiques produits ne soient pas connus du reste du monde, qu’il est dans leur intérêt commun que la transaction commerciale envisagée soit réalisée et que le partage de communications privilégiées a été fait pour promouvoir un intérêt commun.
La décision du tribunal d’instance inférieure reconnaît que le privilège de l’intérêt commun dans le contexte des transactions commerciales est largement admis partout au Canada et dans les systèmes de droit commun autour du monde. Le tribunal a néanmoins soutenu que, en l’espèce, le partage d’une note de service de nature juridique et privilégiée (la « note de service ») entre les parties à la transaction envisagée constituait une renonciation au privilège du secret professionnel et que, par conséquent, les parties étaient tenues d’en divulguer le contenu à l’Agence du revenu du Canada (ARC).
Le tribunal d’instance inférieure a conclu que la doctrine largement reconnue du privilège de l’intérêt commun dans le contexte des transactions commerciales, c’est-à-dire le fait qu’il protège les intérêts légitimes des parties en favorisant la conclusion efficiente d’une transaction envisagée, n’était pas fondée. Dans sa décision, le tribunal d’instance inférieure propose que, par principe, les tribunaux ne doivent pas appliquer le privilège de l’intérêt commun dans le contexte des transactions commerciales, sauf dans des circonstances extrêmement limitées. Pour une analyse plus détaillée de la décision rendue par le tribunal d’instance inférieure, veuillez vous reporter au bulletin que nous avons publié antérieurement à ce sujet.
La Cour d’appel fédérale rétablit et confirme la validité du privilège de l’intérêt commun
Dans une décision unanime, la Cour d’appel a infirmé la décision du tribunal d’instance inférieure et a rétabli le privilège de l’intérêt commun en tant que principe de droit légitime.
Dans l’affaire en cause, la note de service avait été préparée de manière concertée entre les conseillers juridiques respectifs des parties à la transaction et avait été remise aux deux parties. Les mêmes principes de droit se seraient par ailleurs appliqués si la note de service avait été préparée par les conseillers juridiques d’une seule des parties, puis remise à ceux de l’autre partie. La Cour d’appel en est donc arrivée à la conclusion qui, selon elle, aurait dû être formulée en première instance, et a rejeté la demande de l’ARC d’obtenir la note de service.
La Cour d’appel a en fait examiné, puis rejeté, les deux plus importants fondements invoqués par le tribunal d’instance inférieure. D’abord, le tribunal d’instance inférieure a soutenu que le privilège de l’intérêt commun dans le contexte des transactions commerciales permettait fâcheusement d’empêcher un tribunal d’avoir accès à toute la preuve pertinente existante. Une théorie rejetée par la Cour d’appel pour la simple raison que la note de service contenait les avis sollicités par les parties sur la portée juridique de la transaction envisagée et que ces avis étaient impertinents et inadmissibles.
La Cour d’appel a par ailleurs souligné le fait que le droit prétendu de l’ARC d’exiger la divulgation de la note de service reposait sur des dispositions précises de la Loi de l’impôt sur le revenu. La question devant être examinée par la Cour d’appel, en vertu des dispositions législatives pertinentes, était de savoir si la note de service serait considérée comme visée par le privilège du secret professionnel par la Cour supérieure de la province où « l’affaire a été saisie » (en l’espèce, l’Alberta ou la Colombie-Britannique). Comme la note de service aurait été considérée comme privilégiée en Alberta et en Colombie-Britannique, l’ARC n’avait pas le droit d’insister pour l’obtenir.
La Cour d’appel a noté que la reconnaissance du privilège de l’intérêt commun dans le contexte des transactions commerciales cadrait non seulement avec les lois en vigueur en Alberta et en Colombie-Britannique, mais également avec les décisions antérieures rendues par la Cour d’appel fédérale du Canada, ainsi que par les tribunaux des autres provinces, de même qu’avec les commentaires rédigés par les spécialistes du droit de la preuve au Canada. La Cour d’appel a soutenu qu’il était inapproprié pour le tribunal d’instance inférieure d’« invalider avec efficacité » (effectively overturn) une doctrine largement acceptée à l’échelle du Canada et dans le monde de la common law (paragraphe 40). La Cour d’appel a de surcroît rejeté la théorie du tribunal d’instance inférieure selon laquelle le privilège de l’intérêt commun dans le contexte des transactions commerciales servait uniquement à cacher des transactions douteuses. Au contraire, elle a soutenu que le partage de communications privilégiées « pouvait très bien rendre plus efficace » (may well lead to efficiencies) la réalisation de certaines transactions et, du coup, mieux servir les intérêts de toutes les parties (paragraphe 42).
Rétablissement de l’application habituelle
La décision rendue par la Cour d’appel harmonise de nouveau le traitement de cette question par les tribunaux fédéraux et les tribunaux provinciaux aux fins de la jurisprudence. Tout aussi important, dans sa décision, la Cour d’appel reconnaît et confirme la légitimité du privilège de l’intérêt commun dans le contexte des transactions commerciales en tant qu’outil susceptible de favoriser la réalisation de certaines transactions commerciales au Canada. La décision de la Cour d’appel rassurera sans doute les spécialistes du droit des affaires et les parties de transactions commerciales.