Auteurs(trice)
Associée, Litiges, Calgary
Associé, insolvabilité et restructuration, Calgary
Contexte
Le 21 février 2018, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a rendu sa décision dans Firenze Energy Ltd. v. Scollard Energy Ltd., 2018 ABQB 126 (Scollard)[1]. Dans cette affaire, la Cour examinait l’effet d’une procédure formelle d’insolvabilité d’un exploitant (et la suspension qui survient habituellement lors de telles procédures) sur les droits d’assumer l’exploitation ou de nommer un nouvel exploitant qui sont conférés aux propriétaires ayant un intérêt économique direct hors exploitation aux termes du contrat d’exploitation conjoint pertinent.
La décision de la Cour dans Scollard suit un long courant jurisprudentiel parfois peu étoffé qui se penche sur les droits contractuels accordés à des non-exploitants aux termes du contrat d’exploitation de la CAPL permettant de remplacer l’exploitant lors de son insolvabilité. La plus récente décision de cette série a été rendue en 2016 par le juge Macleod dans Bank of Montreal v. Bumper Development Corp., 2016 ABQB 363 (Bumper). Il importe de souligner que Scollard diffère de Bumper et des autres affaires qui ont précédé parce que pour la première fois, la Cour s’est fait demander d’envisager de lever la suspension et d’appliquer les clauses 2.02 et 2.06 du contrat d’exploitation de 2007 de la CAPL (contrat CAPL de 2007) au cours d’une mise sous séquestre, alors que le séquestre était encore en possession des biens et avant que ceux-ci soient vendus.
Faits
Scollard Energy Ltd. (Scollard) et Firenze Energy Ltd. (Firenze) étaient parties à un contrat conjoint d’exploitation, d’amodiation et de redevances (Joint Operating, Farm-Out and Royalty Agreement) (le CCE) daté du 6 novembre 2014, aux termes duquel les parties possédaient et exploitaient conjointement divers puits et installations. Le CCE intégrait les modalités du contrat CAPL de 2007. La société Scollard était l’exploitante des biens possédés conjointement aux termes du CCE.
Le 1er septembre 2017, une ordonnance de mise sous séquestre a été accordée à l’encontre de Scollard. Comme c’est généralement le cas, l’ordonnance de mise sous séquestre a suspendu l’exercice de tous les droits et recours à l’encontre de Scollard. Peu après, Firenze a demandé à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta une ordonnance visant à faire lever la suspension afin de pouvoir signifier un avis de remplacement de la société Scollard comme exploitante des biens possédés conjointement en vertu de l’alinéa 2.02A (a) du contrat CAPL de 2007. Le séquestre s’est opposé à la levée de la suspension au motif qu’une telle démarche porterait gravement préjudice aux immeubles et aux créanciers de Scollard.
Remplacement immédiat de l’exploitant – Insolvabilité
L’alinéa 2.02A (a) du contrat CAPL de 2007 prévoit que l’exploitant doit être remplacé dès qu’un avis a été signifié par un non-exploitant si, notamment, l’exploitant fait faillite ou devient insolvable, est mis sous séquestre ou demande la protection contre la libération des débiteurs en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité ou la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Firenze a fait valoir qu’en vertu de cette cession, elle avait le droit de remplacer Scollard comme exploitante en raison de l’insolvabilité de Scollard et a demandé à la Cour de lever la suspension pour pouvoir signifier l’avis requis. Pour faire valoir cette position, Firenze a invoqué la décision de la Cour dans Bumper.
La Cour a distingué Bumper en se fondant sur ses faits au motif que dans Bumper, le séquestre n’était plus impliqué, et le différend avait lieu entre deux propriétaires d’un intérêt économique direct (à savoir l’acquéreur de l’intérêt de l’exploitant auprès du séquestre et le propriétaire de l’intérêt économique direct hors exploitation). À l’opposé, la demande de Firenze dans Scollard visait à obtenir la levée de la suspension alors que le séquestre était en possession des biens et avant leur vente. Contrairement à la situation dans Bumper, la levée proposée de la suspension dans Scollard a eu des répercussions directes sur les immeubles de Scollard et sur la capacité du séquestre d’exercer ses fonctions aux termes de l’ordonnance de mise sous séquestre, y compris la mise en marché et la vente des biens concernés.
Après avoir distingué Bumper sur la base de ses faits, la Cour s’est demandée si Firenze remplissait les exigences de levée de la suspension d’après le critère énoncé par la Cour dans Alignvest Private Debt Ltd. v. Surefire Industries Ltd., 2015 ABQB 148 (Alignvest) (c’est-à-dire que la suspension peut être levée lorsqu’elle est susceptible de faire subir un préjudice important à une partie ou lorsqu’il serait équitable de la lever pour d’autres motifs). Compte tenu du critère susmentionné (et pour faire écho aux propos du juge Romaine dans Alignvest), la Cour a statué qu’il ne suffisait pas, pour lever la suspension, que Firenze n’ait pu exercer un droit contractuel obtenu par la négociation (le remplacement de l’exploitant lors de la nomination d’un séquestre). Par conséquent, la Cour a rejeté la demande de Firenze en vue de faire lever la suspension aux termes de l’alinéa 2.02A (a) du contrat CAPL de 2007.
Comme la demande de Firenze visait seulement à lui permettre d’exercer ses droits aux termes de l’alinéa 2.02A (a) du contrat CAPL de 2007, l’affaire aurait dû être close. Toutefois, la Cour a ajouté de son propre gré plusieurs autres conclusions en ce qui concerne l’alinéa 2.02A (g) du contrat CAPL de 2007.
Remplacement immédiat de l’exploitant – Cession
En vertu de l’alinéa 2.02A (g) du contrat CAPL de 2007, le remplacement de l’exploitant est automatique (une fois que l’avis requis a été fourni) si l’exploitant cède ou tente de céder ses pouvoirs généraux et ses responsabilités générales de supervision.
La Cour a décidé, dans Scollard, de lever la suspension relative à cette cession pour permettre à Firenze de signifier l’avis requis à Scollard et de remplacer Scollard comme société exploitante des biens dans lesquels elle détient un intérêt de plus de 40 % (voir l’exposé ci-après). Selon nous, le jugement de la Cour sur ce point est singulier parce que : a) la demande de Firenze ne fait pas référence à cette clause, b) les parties n’ont pas débattu de ce point, et c) rien ne prouvait que l’exploitant (ou le séquestre à la place de l’exploitant) avait [traduction] « cédé ou tenté de céder » les pouvoirs relatifs à l’exploitant. Par conséquent, l’événement déclencheur qui aurait permis l’application de l’alinéa 2.02A (g) n’est pas survenu.
La Cour semble en être venue à cette conclusion parce qu’elle croyait que le séquestre [traduction] « commercialisait l’exploitant » et que l’intérêt économique direct de Scollard avait été [traduction] « commercialisé de façon à laisser croire que le droit d’exploitation serait transmis à l’acheteur ». La Cour a conclu que le simple fait de mettre des biens en marché pour la vente sous réserve de tous les droits et obligations contractuels du débiteur constituait un fondement suffisant pour conclure que le séquestre [traduction] « tentait de céder » l’exploitation à un tiers, ce qui justifiait la levée de la suspension pour permettre l’application de l’alinéa 2.02A (g).
La Cour, en se fondant sur sa conclusion selon laquelle le séquestre cédait ou tentait de céder l’intérêt de Scollard simplement en mettant en marché les biens à vendre, s’est ensuite penchée sur l’article 2.06 du contrat CAPL de 2007 pour étudier le processus requis pour effectuer un changement d’exploitant lorsque l’exploitant cède son intérêt économique direct (autre qu’à une société affiliée) et désire que l’acheteur devienne l’exploitant. L’article 2.06 prévoit que dans un tel scénario, les propriétaires d’un intérêt économique direct ont le droit de voter au sujet de l’identité de l’exploitant éventuel, sous réserve (notamment) du droit du propriétaire qui ne vend pas de devenir exploitant s’il y a seulement deux copropriétaires et si le propriétaire qui ne vend pas détient un intérêt économique direct de plus de 40 %. D’après ce libellé, la Cour a conclu que Firenze avait le droit de devenir l’exploitant des biens qu’elle détenait à plus de 40 %.
Selon nous, le jugement de la Cour sur ce point est singulier. Premièrement, la Cour n’a été saisie d’aucun élément de preuve laissant croire que le séquestre cédait ou tentait de céder l’exploitation (ce qui représente l’événement déclencheur de l’application de l’alinéa 2.02A [g]). Deuxièmement, avant l’application de l’article 2.06, l’exploitant (ou présumément le séquestre qui occupe sa place) doit fournir un avis qui indique son intention de démissionner en raison de la cession de son intérêt. Dans le cas qui nous occupe, aucun avis du genre n’avait été donné, car le séquestre n’avait pas cédé l’intérêt de Firenze dans les biens possédés conjointement, ce qui, nous le répétons, représente l’événement déclencheur de l’application de l’article 2.06. Néanmoins, la Cour a statué que Firenze avait le droit de devenir exploitant aux termes de ces dispositions du contrat CAPL de 2007 et a levé la suspension pour permettre à Firenze de signifier l’avis requis aux termes de ces dispositions.
Prochaines étapes
Bien que selon nous le jugement de la Cour dans Scollard est singulier, il accorde des pouvoirs aux futurs propriétaires d’un intérêt économique direct hors exploitation qui sont confrontés à des exploitants mis sous séquestre qui désirent prendre la relève de l’exploitation. La preuve légitime la proposition selon laquelle la commercialisation des intérêts de l’exploitant à l’égard des biens en propriété conjointe déclenche l’application des droits prévus à l’alinéa 2.02A (g) et à l’article 2.06 du contrat CAPL de 2007 pour permettre aux propriétaires d’un intérêt économique direct hors exploitation de donner effet au remplacement immédiat de l’exploitant.
Pour les séquestres et leur avocat, dans des cas similaires (et si l’on présume qu’il n’y a pas d’intention de tenter de céder des droits d’exploitation à un acheteur tiers à l’encontre de la volonté des propriétaires d’intérêt économique direct hors exploitation), les éléments de preuve déposés relativement à une telle demande devraient établir très manifestement que : (1) le séquestre commercialise seulement les intérêts de l’exploitant dans le bien; (2) ces intérêts comprennent tous les droits et obligations contractuels de l’exploitant aux termes du CCE applicable et de tout autre contrat auquel l’exploitant est partie; et (3) le séquestre ne publicise ni ne tente de céder les droits que l’exploitant ne possède pas. Il sera intéressant de constater dans les causes futures l’usage qui sera fait de la décision rendue dans Scollard si la preuve établit clairement que le séquestre n’a pas (pour reprendre le libellé du contrat CAPL de 2007) [traduction] « cédé ou tenté de céder ses responsabilités et pouvoirs généraux de supervision et de gestion en qualité d’exploitant » aux termes du CCE à un tiers acheteur.
[1] Les auteurs étaient les avocats de FTI Consulting Canada Inc. en sa qualité de séquestre de Scollard désigné par la Cour.