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Conseiller spécial, Ottawa
La COVID-19 est une catastrophe naturelle de première importance. Une chose est claire : elle modifie le tissu même de notre société. Il est bien sûr très difficile de prédire comment tout cela va se terminer. Toutefois, ce que nous pouvons faire, c’est aider les individus à comprendre les forces qui agissent sur l’économie afin qu’ils puissent prendre des décisions personnelles et professionnelles plus éclairées.
La réponse naturelle à la pandémie du printemps dernier a été de tout arrêter, en demandant aux parents et à leurs enfants de rester chez eux. Ceux qui pouvaient travailler à la maison l’ont fait, tandis que les travailleurs de première ligne ont continué à s’acquitter de leurs tâches, prouvant ainsi à quel point ils sont essentiels. Les choses se sont stabilisées pendant l’été, mais une deuxième vague est apparue avec l’arrivée de l’automne. À la lumière des leçons apprises, les gouvernements ont imposé une deuxième série de fermetures beaucoup plus ciblées.
Que faire maintenant? De toute évidence, tout dépend de la façon dont la courbe des infections se développera. Pour l’économie, le meilleur descripteur de la situation que j’ai vu jusqu’à présent est la lettre « K ». Habituellement, lorsque l’économie connaît un revers, les économistes recherchent une reprise en « V » où tout le recul de l’activité économique est effacé assez rapidement. Si la reprise est plus lente que prévu, on parle d’une reprise en « U » ; s’il y a un double creux, il s’agit d’une reprise en « W » ; et si nous sommes en présence d’une dépression, c’est la reprise en « forme de L » tant redoutée qui apparaît. La deuxième vague pourrait entraîner une reprise en forme de « W » mais pour l’avenir, le « K » est toujours pertinent. Le « K » traduit une idée très simple : la pandémie a des effets économiques négatifs importants sur certaines parties de l’économie (la partie inférieure du K) et très peu d’effets sur d’autres (la partie supérieure du K).
Naturellement, la plupart des nouvelles et des commentaires ont porté sur la partie inférieure du K. Il y a eu d’importantes répercussions sur les restaurants et les bars, les hôtels, les compagnies aériennes, la vente au détail en personne et le secteur pétrolier. De plus, les petites entreprises de tous genres sont touchées par la chute des déplacements quotidiens. Comme très peu de gens se rendent au centre-ville, tous les commerçants, du café du coin au magasin de vêtements en passant par le nettoyeur, ont subi une importante détérioration de la demande.
Le reste de l’économie se trouve dans la partie supérieure du K où l’on observe une reprise classique en forme de V depuis la fin de la fermeture du printemps dernier. Même si cette fermeture a été très généralisée, l’activité économique a chuté en mars et avril de 19 % par rapport au niveau où elle se situait avant que tout cela commence. L’économie a commencé à se redresser grâce à l’assouplissement des restrictions en mai, et à l’automne, elle tournait à plus de 95 % de son niveau atteint en février.
Les données sur l’emploi suggèrent également que la partie inférieure du K représente moins de 5 % de l’économie. Quelque trois millions de personnes ont perdu leur emploi pendant la fermeture et pour beaucoup d’autres, le nombre normal d’heures de travail a diminué. En novembre, le niveau d’emploi s’était redressé à un point tel qu’il y avait moins de 600 000 emplois de moins qu’en février. Cela représente toujours presque 3 % de la population active, ce qui explique bien sûr pourquoi le taux de chômage en novembre était à 8,5 %, alors qu’il était à 5,5 % au début de l’année 2020.
Une grande partie du crédit revient aux programmes de soutien du revenu du gouvernement qui ont empêché un ralentissement beaucoup plus profond de l’économie. La volonté des banques de reporter les paiements des prêts et des hypothèques mérite également d’être soulignée. En conséquence, les ventes au détail se sont complètement redressées et en septembre, elles dépassaient de 3 % leur niveau de février dernier, une reprise classique en forme de V. Malgré cela, les Canadiens ont considérablement augmenté leur épargne.
Cela signifie que lorsque nous considérons l’économie dans son ensemble, nous devons comprendre qu’il y a en réalité deux économies différentes qui coexistent. Une économie est soumise à des tensions considérables, les entreprises luttant pour leur survie. L’autre économie, quant à elle, va de l’avant et on observe même des signes de demande excédentaire, notamment dans la construction résidentielle, la rénovation et la revente de logements. Il s’agit d’une réaction très humaine : lorsque les gens ne peuvent pas voyager, manger au restaurant ou avoir des activités sociales, ils dépensent leur argent pour rendre leur nid plus douillet. C’est exactement ce que les gens ont fait immédiatement après les attentats du 11 septembre. À cette époque, les économistes avaient prédit un ralentissement économique mondial majeur qui ne s’est jamais matérialisé parce que les gens ont choisi de dépenser leur argent à la maison plutôt que de voyager.
Le « K » de l’économie et les diverses réactions des entreprises canadiennes se reflètent clairement dans les activités d’Osler au cours de l’année écoulée. De nombreuses opérations importantes ont bien sûr déraillé à cause de l’arrivée de la pandémie. Toutefois, à mesure que la situation évoluait, les entreprises de la partie supérieure du K sont passées en mode d’expansion et d’acquisition et les marchés financiers ont continué d’offrir des occasions d’investissement. La quatrième révolution industrielle, à savoir la numérisation des entreprises et le déploiement de l’intelligence artificielle, semble avoir été accélérée par la pandémie, tant sur le plan du service à la clientèle que celui de la création d’emploi. Les chaînes d’approvisionnement mondiales, déjà en cours de révision à la lumière des politiques protectionnistes américaines, ont été rapidement restructurées pour assurer l’approvisionnement intérieur en produits stratégiques de soins de santé. En effet, le système de soins de santé canadien, mis à rude épreuve pour des raisons évidentes, a été contraint d’innover en adoptant la gestion automatisée des rendez-vous, les consultations vidéo et les diagnostics et interventions chirurgicales offerts 24 heures sur 24. Pendant ce temps, on a assisté, dans la partie inférieure du K, à de nombreux cas de fusion, de restructuration ou, parfois, de faillite. Les tensions sur le marché de l’emploi qui en ont découlé ont entraîné une année chargée pour la pratique du droit du travail. Parallèlement, des milliers d’entreprises nouvelles et en croissance au Canada ont été créées ou ont fait l’objet d’investissements.
Étant donné qu’une partie de l’économie est en difficulté, il faudra beaucoup de temps pour que l’ensemble de l’économie revienne à la normale, même si cela est déjà fait en grande partie. Les personnes qui ont perdu leur emploi auront besoin d’aide pour se réorienter vers des secteurs de l’économie où la croissance économique est plus forte, comme le secteur de la construction et de la rénovation, par exemple. Elles auront besoin d’un soutien gouvernemental pendant cette transition, ainsi que de programmes renforcés pour la formation et la mobilité à l’échelle du pays. Le Canada a déjà fait face à des chocs majeurs, notamment l’effondrement des prix du pétrole en 2014. Notre système a également réussi à traverser des périodes de taux de chômage beaucoup plus élevé que celui que nous connaissons aujourd’hui.
Néanmoins, nombreux sont ceux qui se demandent comment les gouvernements vont payer pour tout cela. En effet, le Fonds monétaire international a prévu que la dette publique dépassera 100 % du PIB mondial en 2021. Toutefois, il convient de noter que cette situation n’est pas sans rappeler celle à laquelle le monde a été confronté au milieu des années 40. Aujourd’hui, la plupart des enfants de l’après-guerre n’ont aucun souvenir d’avoir travaillé sous le poids de la dette créée par la Seconde Guerre mondiale. En réalité, notre économie s’est développée en s’affranchissant de ce fardeau de la dette.
Il n’y a aucune raison pour que cela ne se reproduise pas. En principe, la condition critique de viabilité de la dette exige que la croissance économique globale (y compris l’inflation) soit supérieure au taux d’intérêt que les gouvernements doivent payer sur leur dette. Dans cette situation, les paiements réguliers du service de la dette restent faibles, tandis que la dette totale diminue en proportion de l’économie. Pour garantir ce résultat, les gouvernements peuvent faire trois choses en particulier. Premièrement, ils peuvent s’assurer un financement à long terme aux taux d’intérêt très bas d’aujourd’hui. Ensuite, ils peuvent veiller à ce que leurs programmes de dépenses soient axés sur des investissements favorisant la croissance, notamment les infrastructures physiques, les infrastructures numériques et les infrastructures sociales comme les garderies et l’éducation, et sur une immigration accrue. Troisièmement, ils peuvent éliminer les obstacles interprovinciaux au commerce et à la mobilité des travailleurs, ce qui contribuera de manière significative à la croissance économique à long terme.
L’économie canadienne ne sera plus jamais la même qu’avant la pandémie. Un retour à la normale signifiera une nouvelle normalité, avec de nombreuses séquelles laissées par cette expérience. Nous pouvons cependant être sûrs que les atouts fondamentaux du Canada, soit sa base de ressources unique et étendue, son système financier de classe mondiale et sa population diversifiée et talentueuse, continueront de bien nous servir.