Auteurs(trice)
Associé, Fiscalité, Toronto
Associé, Droit des sociétés, Toronto
Associé, Fiscalité, Toronto
Sociétaire, Fiscalité, Toronto
Depuis des décennies, les structures dites d’actions échangeables font partie des outils habituels utilisés dans la structuration des fusions et acquisitions transfrontalières comportant l’échange d’actions de sociétés canadiennes. La raison d’être de ces structures repose sur le fait que, en vertu des règles fiscales canadiennes, les actionnaires canadiens ne peuvent pas échanger d’actions d’une société canadienne contre des actions d’une société étrangère dans le cadre d’un régime à imposition différé. Néanmoins, ces structures peuvent être utilisées pour parvenir efficacement à ce résultat.
Le principal avantage des structures d’actions échangeables réside dans le fait qu’elles permettent aux actionnaires canadiens de se prévaloir du report total ou partiel de l’impôt canadien sur les gains en capital qui, autrement, serait exigible à l’acquisition par une société étrangère d’actions d’une société canadienne lorsque la contrepartie est constituée, en totalité ou en partie, des propres actions de l’acquéreur.
Les structures d’actions échangeables sont souvent utilisées dans les opérations d’acquisition par des sociétés de capital d’investissement, lorsque, pour des raisons commerciales, on désire offrir une participation-relais dans une entité non canadienne aux anciens actionnaires canadiens de la société canadienne cible, qui continuent de participer à la gestion et aux activités de la cible. On peut également y avoir recours lorsqu’il est souhaitable de réaliser une opération « d’inversion » (de société) à imposition différée ‒ aux termes de laquelle une société canadienne autonome, ou la société mère canadienne d’un groupe de sociétés, aura une nouvelle société mère non canadienne.
Le présent article donne un aperçu des notions de base sur la fiscalité canadienne et des répercussions juridiques des structures d’actions échangeables, ainsi que des façons de modifier la structure de base pour atteindre des objectifs commerciaux particuliers.
Structure de base d’une opération visant des actions échangeables
Une structure courante pour une opération visant des actions échangeables et une société acquéreuse (l’Acquéreur) étrangère (p. ex., américaine) est présentée dans le tableau ci-dessous.
Constitution en société de Callco et d’Acquisitionco
L’Acquéreur constituera en société deux sociétés canadiennes : une filiale directe de l’Acquéreur (Callco) et une filiale directe de Callco (Acquisitionco). Callco sera ainsi constituée pour exercer les « droits d’achat » décrits ci-dessous, tandis qu’Acquisitionco servira à acquérir les actions de la société canadienne cible (la cible) détenues par ses actionnaires canadiens pour les actions échangeables émises ‒ en vue d’un transfert à imposition différée ‒ par Acquisitionco aux actionnaires canadiens[1]. (Les actionnaires non canadiens ou exonérés d’impôt de la cible canadienne peuvent choisir de recevoir des actions de l’Acquéreur en échange de leurs actions de la société canadienne cible.) Les échanges futurs d’actions échangeables contre des actions de l’Acquéreur seront imposables aux fins de l’impôt canadien pour les porteurs d’actions échangeables.
Aux fins de l’impôt canadien, il est généralement préférable d’utiliser une société affiliée (Callco) distincte pour optimiser le capital versé dans le cadre de l’opération transfrontalière, qui représente le montant pouvant généralement être distribué sans retenues à la source d’impôt canadien. Plus précisément, le recours à une Callco permet généralement de déterminer le capital versé fondé sur la valeur des actions échangeables au moment de l’échange, plutôt que sur le capital versé à l’acquisition initiale des actions échangeables (qui, généralement, ne dépasse pas le coût fiscal d’acquisition des actions de la cible canadienne pour les actionnaires canadiens).
Création d’actions échangeables
La structure d’actions échangeables est destinée à procurer aux actionnaires canadiens les mêmes droits et avantages économiques que les détenteurs d’actions de l’Acquéreur, qui sont des actions échangeables, ce qui permet aux actionnaires canadiens de bénéficier du transfert à imposition différée lors de l’émission des actions échangeables. Les conditions des actions échangeables possèdent généralement les attributs suivants :
- Rachat au gré du porteur : les actionnaires canadiens disposent d’un « droit de rachat », c’est-à-dire qu’ils peuvent exiger qu’Acquisitionco rachète les actions échangeables détenues par un actionnaire canadien. La contrepartie d’un rachat au gré du porteur serait la même en cas de rachat au gré de la société, tel qu’il est décrit ci-dessous.
- Rachat au gré de la société : Acquisitionco dispose d’un « droit de rachat », c’est-à-dire qu’elle peut racheter individuellement toutes les actions échangeables contre des actions de l’Acquéreur (plus les dividendes déclarés, mais non versés), dans certaines circonstances restreintes.
- Dividendes – Distribution : Pour maintenir l’équivalence économique, si un dividende est déclaré sur les actions de l’Acquéreur, un dividende équivalent doit être déclaré sur les actions échangeables, et inversement.
- Droit de vote : Les actions échangeables sont habituellement des actions sans droit de vote et, comme il s’agit des actions d’une filiale de l’Acquéreur, elles ne confèrent, en aucun cas, de droit de vote aux actionnaires canadiens aux assemblées des actionnaires de l’Acquéreur. Pour placer les actionnaires canadiens sur un pied d’égalité avec les porteurs directs d’actions de l’Acquéreur, on peut octroyer un droit de vote spécial dans l’Acquéreur aux actionnaires canadiens, par l’émission par l’Acquéreur d’actions à droit de vote spécial soit aux actionnaires canadiens, soit à un fiduciaire ayant le pouvoir d’exercer leur droit de vote, si la loi applicable l’y autorise. Cependant, il n’est pas toujours nécessaire – et c’est souvent commercialement irréalisable – d’octroyer un droit de vote, qui vise à fournir aux actionnaires canadiens la même part de voix qu’ils en détiendraient s’ils étaient porteurs d’actions ordinaires de l’Acquéreur.
- Convention entre actionnaires : Il faut envisager de permettre aux actionnaires canadiens d’être partie à toute convention entre actionnaires (ou convention de société à responsabilité limitée, entente de société en commandite ou autre entente de gouvernance) de l’Acquéreur, même lorsqu’ils ne sont pas porteurs d’actions à droit de vote spécial. Les actionnaires canadiens peuvent ainsi bénéficier de tous les droits offerts aux porteurs d’actions aux termes d’une convention de cette nature, notamment les droits préférentiels de souscription, les droits de première offre ou les droits de refus et de liquidité. La convention entre actionnaires peut être structurée de façon à prendre en compte les droits économiques des actionnaires canadiens dans l’Acquéreur, dans le cadre de l’échange.
- Liquidation ou dissolution : À la liquidation ou la dissolution (et sous réserve du droit d’achat qui prime), les actions échangeables donnent au porteur le droit de recevoir des actions individuelles de l’Acquéreur, plus un montant additionnel pour les dividendes déclarés, mais non versés.
- Durée. Si on le souhaite, les actions échangeables peuvent être assorties d’une disposition de temporisation déclenchant un échange automatique après une période donnée (p. ex., dix ans). Les conditions visant les actions échangeables peuvent également prévoir un échange automatique dans diverses circonstances, comme lorsque seul un nombre nominal d’actions échangeables demeurent en circulation, en cas de liquidation, en raison d’une modification défavorable apportée aux règles fiscales ou avant un premier appel public à l’épargne.
Entente de soutien et d’échange
L’Acquéreur conclura souvent une convention de soutien avec Callco, Acquisitionco et les actionnaires canadiens aux termes de laquelle il consent, au besoin, à a) fournir à Acquisitionco les fonds suffisants pour verser des dividendes aux actionnaires canadiens, d’un montant égal aux dividendes (le cas échéant) versés sur les actions de l’Acquéreur, b) émettre des actions de l’Acquéreur aux actionnaires d’Acquisitionco ou aux actionnaires canadiens afin de permettre le rachat des actions échangeables par Acquisitionco (y compris au rachat au gré du porteur de ces actions par un porteur) ou permettre à Callco d’exercer son droit d’achat, tel qu’il est exposé ci-dessous. Autrement dit, un porteur d’actions échangeables est habituellement assuré de bénéficier de tous les droits et autres avantages économiques équivalant substantiellement à ceux dont bénéficient les porteurs directs d’actions de l’Acquéreur par l’entremise d’une combinaison de dispositions visant les actions échangeables et de la convention de soutien et d’échange.
Droit d’achat
Callco se voit octroyer un droit d’achat aux termes duquel elle peut acheter des actions échangeables aux actionnaires canadiens en échange d’actions de l’Acquéreur (le « droit d’achat »). Le droit d’achat a pour but de permettre à Callco « d’acheter » des actions échangeables au lieu qu’Acquisitionco rachète ces actions lors d’un rachat au gré de la société ou au gré du porteur, ou relativement à une liquidation; on évite ainsi les répercussions fiscales jugées défavorables pour les actionnaires sur les dividendes réputés, qui peuvent découler du rachat d’actions échangeables.
Autres questions fiscales
En règle générale, les actionnaires canadiens sont imposés plus avantageusement sur les dividendes versés par des sociétés canadiennes que sur ceux qui sont versés par des sociétés étrangères. En particulier, les dividendes versés sur les actions de l’Acquéreur ne sont pas admissibles au régime de « majoration des dividendes » et de « crédit d’impôt pour dividendes » applicable à certains dividendes, ni au taux d’imposition réduit applicable aux « dividendes admissibles » désignés qui sont versés à des particuliers par des sociétés canadiennes imposables. Cependant, les dividendes versés sur des actions échangeables entraîneront, en général, l’application à l’émetteur de certaines règles fiscales canadiennes visant les actions privilégiées – ce qui peut décourager le versement de dividendes sur les actions échangeables, au même titre que les considérations fiscales étrangères (telles que le risque de retenues d’impôt étranger). Les répercussions des règles fiscales visant les actions privilégiées canadiennes peuvent être atténuées lorsque l’émetteur est par ailleurs imposable – mais cela n’est pas nécessairement suffisant, en particulier dans le contexte des actions échangeables, étant donné que le montant des dividendes dépend en partie des activités autres que canadiennes. Par conséquent, dans certains cas, les dividendes peuvent être déclarés, mais non versés, sur des actions échangeables, ce qui accroît le prix des actions échangeables achetées par Callco (ou leur prix de rachat au gré de la société ou du porteur).
La Loi de l’impôt sur le revenu comporte des règles exigeant des inclusions aux revenus (au lieu de gains en capital) en cas d’achat ou de vente d’immobilisations aux termes de « contrats dérivés à terme ». Même si ces règles ont été adoptées principalement pour les opérations de requalification, on craignait qu’elles puissent s’appliquer à la vente d’actions échangeables à Callco. Cependant, le ministère des Finances et l’Agence du revenu du Canada (ARC) ont indiqué que ces dispositions habituelles visant les actions échangeables ne devraient pas donner lieu à des contrats dérivés à terme à condition que la possibilité de recevoir des actions de l’Acquéreur en échange d’actions échangeables soit inscrite dans les conditions des actions échangeables proprement dites.
Variations sur le thème
La structure de base décrite ci-dessus peut être modifiée ou enrichie, selon les besoins particuliers des parties.
Si, pour des raisons de financement, on a besoin d’une autre entité canadienne, elle peut être intégrée entre Callco et Acquisitionco (Midco), ce qui permettra aux anciens actionnaires de la cible, qui ont reçu initialement des actions d’Acquisitionco à l’acquisition de la cible, d’échanger leurs actions d’Acquisitionco contre des actions échangeables de Midco. L’utilisation de Midco peut faciliter un nantissement (ou une mise en gage) de 100 % des actions d’une société en exploitation (p. ex., un nantissement par Midco des actions de la société découlant du regroupement d’Acquisitionco et de la société cible), si les prêteurs l’exigent.
Dans le cas d’une société de capital d’investissement, il est possible d’échanger des actions échangeables contre l’acquisition d’une participation dans une société en commandite, au lieu d’actions de l’Acquéreur, si ce choix est préférable d’un point de vue commercial. Une société en commandite peut être utile à titre d’entité « regroupeur » dans le cadre de laquelle les activités canadiennes et non canadiennes peuvent être regroupées en une seule entité, en particulier si le groupe acquéreur préfère détenir des entreprises de la société cible par le truchement d’entités transparentes sur le plan fiscal qui peuvent également offrir une certaine souplesse sur le plan économique, notamment un intéressement aux performances. Il importe de noter que si, pour des raisons commerciales, on souhaite offrir des options d’achat aux anciens actionnaires de la société cible, en plus d’une participation-relais, ces options doivent, en règle générale, être des options d’achat d’actions d’une société (p. ex., une filiale en propriété exclusive d’une société en commandite), plutôt que des options d’achat de parts d’une société de personnes ou des actions échangeables contre ces parts, étant donné que les options d’acquisition de parts de société de personnes (ou de parts échangeables contre des parts de sociétés de personnes) ne sont pas admissibles à la déduction prévue à l’alinéa 110(1)d) de la Loi de l’impôt sur le revenu (qui, autrement, permet aux détenteurs d’option d’achat de bénéficier du taux d’imposition applicable aux gains en capital sur les avantages sociaux que constituent les options d’achat d’actions dans certaines circonstances).
Pour des renseignements complémentaires sur les structures d’actions échangeables, veuillez communiquer avec un membre de notre service du droit des affaires national ou du groupe de droit fiscal d’Osler.
[1] En règle générale, les actionnaires canadiens peuvent également retirer de l’argent ou une autre contrepartie (telle qu’une dette) de l’opération à imposition différée, à condition que le montant retiré ou la valeur de l’autre contrepartie ne soient pas supérieurs au coût fiscal des actions de la cible pour les actionnaires canadiens. Dans ce scénario, il importe de s’assurer que chaque action de la cible est échangée contre de l’argent ou une autre contrepartie et des actions échangeables. Acquisitionco et chaque actionnaire canadien doivent présenter un choix fiscal conjoint en vertu de l’article 85 de la Loi de l’impôt sur le revenu pour que l’actionnaire canadien puisse se prévaloir du report d’impôt.