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Associée, Litige; Affaires réglementaires, Autochtones et environnement, Toronto
Associé, Droit des sociétés, Toronto
Associé, Litiges, Toronto
Sociétaire, Litiges, Toronto
Associé, Droit des sociétés, Toronto
L’année 2023 a été marquée par des changements importants en ce qui concerne les litiges et la réglementation liés au climat. Le nombre de litiges portant sur le changement climatique a considérablement augmenté dans le monde entier, avec des résultats mitigés pour toutes les parties concernées. Les différends ont persisté en ce qui concerne la compétence des gouvernements à adopter des lois sur l’environnement. Les gouvernements ont également lancé plusieurs initiatives législatives, certaines en faveur des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) et d’autres opposées à la mouvance Woke.
Compte tenu de l’accent constant mis sur le changement climatique partout dans le monde, nous nous attendons à voir plus de litiges et de nouvelles politiques en matière de climat en 2024. Désormais, les entreprises devraient se préparer à cette augmentation prévue des actions en justice visant à empêcher les activités de développement et d’investissement perçues comme nuisibles à l’environnement, à examiner minutieusement les déclarations des entreprises en matière d’environnement et leurs prétentions climatiques et à cibler les conseils d’administration et leurs processus décisionnels. Les entreprises peuvent également s’attendre à un renforcement de l’action législative et réglementaire imposant aux émetteurs des obligations de communication concernant les questions liées au changement climatique.
Pour se préparer à ces nouvelles réalités, les entreprises auront intérêt à être proactives dans la mise en œuvre de politiques et de procédures permettant de garantir la conformité et d’atténuer les risques.
Litiges liés au climat
Le Rapport mondial sur les contentieux liés au climat de 2023, préparé par le Programme des Nations Unies pour l’environnement et le Sabin Center for Climate Change de la faculté de droit de la Columbia University, révèle une forte augmentation des litiges liés au changement climatique dans le monde. Entre juillet 2020 et décembre 2022, 630 poursuites liées au changement climatique ont été déposées dans le monde, le Canada se classant au sixième rang pour le nombre d’actions relatives au climat intentées au cours de cette période. Ces actions comprennent une série de réclamations à l’encontre de diverses sociétés émettrices, ainsi que plusieurs poursuites visant des gouvernements.
Les litiges climatiques à l’encontre des entreprises englobent un large éventail d’actions en justice relativement aux incidences environnementales de leurs activités et à leur communication. Le nombre de litiges liés au climat a considérablement augmenté, tant à l’échelle nationale qu’internationale. Les sociétés canadiennes peuvent s’attendre à ce que leurs activités continuent d’être ciblées, dans un contexte où les demandeurs cherchent à empêcher les activités de développement et d’investissement susceptibles de nuire à l’environnement. Les actions peuvent également être dirigées directement contre les conseils d’administration des sociétés, les activistes cherchant à tenir les administrateurs responsables du manque de surveillance de l’approche de l’entreprise en matière de changement climatique. Les entreprises peuvent également s’attendre à des initiatives de la part d’organisations de plus en plus militantes qui tentent de contester l’approbation de projets qui, au regard de la législation environnementale, ne tiendraient pas compte des effets du changement climatique.
Jusqu’à présent, les tribunaux ont examiné attentivement ces demandes et, pour la plupart, ont accepté de s’en remettre aux décisions des gouvernements et des entreprises. Néanmoins, une récente décision [en anglais] d’une cour d’appel aux États-Unis a conclu qu’une évaluation environnementale qui n’avait pas quantifié les effets du changement climatique était inappropriée. En revanche, une cour d’appel en Angleterre a récemment confirmé [en anglais] une évaluation environnementale qui ne prenait pas en compte les émissions de gaz à effet de serre (GES), s’en remettant au jugement du gouvernement. De même, en juin 2023, la Cour fédérale du Canada a conclu [en anglais] qu’il était raisonnable pour le ministre d’approuver un projet d’exploitation pétrolière en mer à Terre-Neuve-et-Labrador sans tenir compte des émissions de GES en aval.
Les sociétés et leurs conseils d’administration peuvent également s’attendre à des réclamations qui allèguent des manquements dans leurs démarches d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre. Un certain nombre d’actions ont été intentées dans ce sens un peu partout dans le monde, et la plupart visent à tenir les entreprises responsables des conséquences de l’utilisation en aval de leurs produits ou services. Bien qu’il soit difficile d’intenter des actions en responsabilité délictuelle dans les pays de common law en raison du principe général selon lequel un devoir de diligence ne peut être dû à une catégorie illimitée de plaignants, cela n’a pas empêché des gouvernements aux quatre coins de la planète d’intenter de telles actions contre des entreprises.
En mai 2023, 40 États et municipalités des États-Unis avaient entamé des poursuites contre les sociétés d’énergie pour leur contribution alléguée à la crise climatique. En outre, comme nous l’avons écrit précédemment, en février 2023, des actionnaires activistes ont adopté une approche différente en demandant l’autorisation de poursuivre les administrateurs de Shell plc au Royaume‑Uni pour avoir prétendument omis de prendre des mesures suffisantes pour atténuer les émissions de gaz à effet de serre de la société. Bien que les actionnaires n’aient pas obtenu gain de cause, des tentatives semblables pourraient bien avoir lieu au Canada et ailleurs. Pour plus de détails sur les répercussions de cette décision britannique pour les administrateurs, nous vous invitons à lire notre analyse dans notre article intitulé « Qui, quoi et comment : les questions au cœur de la gouvernance d’entreprise ».
À l’inverse, certains gouvernements se font poursuivre en dommages‑intérêts par des entreprises qui leur reprochent d’avoir, dans une optique de délaissement des combustibles fossiles, mis au rancart des politiques sur lesquelles ces entreprises s’étaient appuyées pour faire des investissements. En 2020, deux entreprises américaines ont déposé une plainte de 30 milliards de dollars contre le Canada aux termes de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) pour des dommages résultant de l’annulation par l’Ontario de son programme de plafonnement et d’échange. En 2021, deux compagnies pétrolières canadiennes [en anglais] ont déposé une demande de dommages-intérêts de 15 milliards de dollars auprès du gouvernement américain au titre de l’ALENA, à la suite de l’annulation en 2019 de l’oléoduc Keystone XL.
Comme de plus en plus d’entreprises entreprennent de démontrer à leurs clients et à leurs investisseurs la solidité environnementale et la durabilité de leurs produits, de leurs activités ou de leurs investissements, elles peuvent aussi s’exposer davantage à des plaintes pour « écoblanchiment » (greenwashing). Les entreprises doivent faire attention aux renseignements qu’elles communiquent sur leurs pratiques environnementales afin de limiter les risques qu’elles se fassent reprocher de communiquer de l’information trompeuse. Le nombre de plaintes pour écoblanchiment est en progression, et le phénomène n’est selon nous pas près de s’estomper.
Par exemple, en 2023, des plaintes ont été déposées contre des compagnies aériennes partout dans le monde au sujet de leurs prétentions en matière de carboneutralité, ainsi que de l’utilisation et de la fiabilité des compensations carbone. En mai 2023, des consommateurs ont déposé une action collective [PDF en anglais] contre Delta Air Lines en Californie, y alléguant que la compagnie aérienne a fait de fausses déclarations sur son impact environnemental en se présentant comme « la première compagnie aérienne carboneutre au monde ». Des procédures semblables ont été déposées en Europe et en Australie, notamment une plainte déposée en juin 2023 [en anglais] par un groupe de protection des consommateurs, le Bureau européen des unions de consommateurs, contre 17 compagnies aériennes européennes.
Au Canada, le Bureau de la concurrence a conclu un règlement avec Keurig en janvier 2022 pour un montant de 3 millions de dollars après des allégations selon lesquelles Keurig aurait fait des déclarations fausses ou trompeuses sur le caractère écologique de ses dosettes de boisson. Greenpeace a déposé deux plaintes pour écoblanchiment auprès du Bureau de la concurrence contre Shell Canada [PDF en anglais] pour sa campagne publicitaire « Rendez votre conduite carboneutre » et contre une organisation commerciale [PDF en anglais] regroupant six des plus grands producteurs de pétrole et de gaz du Canada pour sa campagne publicitaire « Let’s clear the air » sur le thème de la carboneutralité. Ces plaintes font actuellement l’objet d’une enquête par le Bureau.
Droit public et contentieux climatique
À la lumière des actions intentées à ce jour devant les tribunaux canadiens pour attaquer les décisions gouvernementales sur le plan législatif et celui des politiques publiques, nous estimons qu’il faut s’attendre à plus de procédures du genre à l’avenir. Ces actions ont jusqu’à présent pris la forme de contestations de lois au motif que celles-ci sont ultra vires, c’est-à-dire qu’elles dépassent l’autorité constitutionnelle de la législature qui les a promulguées. Les procédures visant à obtenir un redressement en vertu de la Charte des droits et libertés (Charte) gagnent aussi en importance, alors que des visions politiques concurrentes en matière d’action climatique continuent d’être débattues.
En avril 2023, l’affaire ontarienne Mathur est devenue la première contestation fondée sur la Charte de mesures gouvernementales prises en rapport avec le changement climatique à faire l’objet d’une audience complète sur le fond dans un tribunal canadien. Comme nous l’avons écrit précédemment, pour la première fois, la cour a estimé que la prétention des requérants selon laquelle certaines activités gouvernementales liées aux changements climatiques violaient leurs droits était justiciable. En d’autres termes, les demandes ne pouvaient pas être rejetées au motif qu’il s’agissait d’une décision politique qui n’est pas du ressort des tribunaux. Bien que les requérants n’aient pas réussi à convaincre la Cour que les mesures gouvernementales contestées donnaient lieu à une violation de la Charte sur le fond, la conclusion de la Cour sur la justiciabilité s’écarte d’une série d’affaires antérieures fondées sur la Charte où les plaignants n’avaient pas pu surmonter cet obstacle initial. Cette décision pourrait ouvrir la voie à d’autres plaintes de cette nature.
Outre les contestations fondées sur la Charte, les gouvernements fédéral et provinciaux poursuivent leurs querelles sur les questions de compétence relatives au droit de légiférer sur les questions climatiques. Compte tenu de l’importance des enjeux et des visions concurrentes en matière d’intervention réglementaire, cette question n’est probablement pas près d’être résolue. Malheureusement, les incertitudes créées par ces conflits permanents risquent de compliquer la mise en œuvre de plans à long terme par les entreprises.
Cette question a été mise en lumière très récemment par la décision majoritaire de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact, dans laquelle la Cour a conclu qu’une partie de la Loi sur l’évaluation d’impact, une loi fédérale, dépassait les limites de l’autorité constitutionnelle du Parlement, ce qui la rendait inconstitutionnelle. Cette décision contraste avec une décision antérieure, Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, dans laquelle la Cour avait estimé que les normes de tarification des GES du gouvernement fédéral étaient constitutionnelles. Dans l’affaire de la Loi sur l’évaluation d’impact, la Cour suprême a examiné les complexités de l’autorité législative concernant l’environnement, compte tenu de sa nature diffuse et de la portée géographique des effets liés au climat. Le jugement de la Cour suprême dans l’affaire de la Loi sur l’évaluation d’impact remet largement en question les récents projets du gouvernement fédéral concernant le plafonnement des émissions du secteur pétrolier et gazier et la mise en place d’une norme sur l’électricité propre.
Nous pensons qu’au cours de l’année prochaine, les tribunaux canadiens continueront à composer avec la question de savoir quel ou quels ordres de gouvernement ont la compétence constitutionnelle pour adopter des lois environnementales de lutte contre le changement climatique et les initiatives connexes.
De plus amples renseignements sur la référence à la Loi sur l’évaluation d’impact sont fournis dans le bulletin d’actualités d’Osler. Des renseignements supplémentaires sur les litiges liés au climat sont également fournis dans notre document intitulé « State of Climate Litigation » [en anglais].
Initiatives réglementaires et législatives en matière de climat
Nous observons chez les gouvernements du monde entier une tendance au renforcement des obligations d’information en matière de climat imposées aux entreprises, dans le but explicite d’accroître la transparence sur les incidences environnementales des activités commerciales des entreprises et de répondre aux préoccupations liées à l’écoblanchiment. Compte tenu des travaux entrepris à ce jour par diverses organisations provinciales, étatiques, nationales et internationales en matière d’information relative au climat, il est assuré que les émetteurs seront soumis à des exigences de plus en plus strictes en matière d’information relativement au climat.
Aux États-Unis, l’assemblée législative de la Californie a adopté deux projets de loi à l’automne 2023, SB-253 Climate Corporate Data Accountability Act et SB-261 Greenhouse gases : climate-related financial risk [pages en anglais], qui créent des obligations d’information liées au climat pour les sociétés ouvertes et fermées menant des activités en Californie. L’Union européenne a adopté les normes européennes d’information en matière de durabilité [article en anglais] en juillet 2023. La première phase des normes initiales non fondées sur des secteurs doit entrer en vigueur le 1er janvier 2024. Les entités européennes et non européennes soumises au nouveau règlement devront publier des énoncés en matière de durabilité, comprenant des renseignements sur diverses questions environnementales, sociales et de gouvernance. En octobre 2023, l’Union européenne a annoncé que la mise en œuvre des normes sectorielles était reportée à juin 2024.
Entre-temps, la Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis a pris des mesures pour modifier les règles applicables aux sociétés d’investissement afin de renforcer les exigences en matière de dénomination des fonds d’investissement pour faire en sorte qu’au moins 80 % du portefeuille d’un fonds corresponde aux actifs annoncés par son nom.
En revanche, d’autres États américains adoptent des lois anti-ESG. Plus précisément, la Floride, le Montana, le Kentucky et le Texas [PDF en anglais] ont adopté des lois exigeant que les régimes de retraite publics (i) s’abstiennent de prendre en compte les facteurs ESG dans leur stratégie d’investissement ou (ii) se dessaisissent des titres de sociétés et de fonds privés qui prennent en compte les facteurs ESG dans leur stratégie d’investissement et cessent de faire affaire avec elles. La mouvance anti-ESG dans certaines parties des États-Unis entraîne des risques juridiques, financiers et fonctionnels [en anglais] pour les fonds qui intègrent une stratégie d’investissement ESG.
Les organismes de réglementation canadiens travaillent eux aussi à faire en sorte que l’information relative au climat communiquée par les sociétés soit plus complète et de meilleure qualité. En octobre 2021, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont publié pour commentaires le Règlement 51-107 sur l’information liée aux questions climatiques (Règlement 51-107), qui propose des obligations d’information relative au climat qui concordent pour l’essentiel avec le cadre du Task Force on Climate-Related Financial Disclosures (Groupe de travail sur l’information financière relative au climat). Par la suite, en octobre 2022, les ACVM ont suspendu la proposition et ont indiqué qu’elles « suivent de près les travaux menés à l’international » et leur incidence sur le projet de Règlement 51-107.
En juin 2023, l’International Sustainability Standards Board (ISSB) [en anglais], organisme de normalisation établi par l’International Financial Reporting Standards Foundation, a publié ses premières normes d’information financière fondée sur le développement durable et liée au climat, les normes IFRS S1 et IFRS S2, qui devraient entrer en vigueur en janvier 2024. Ces normes sont volontaires, mais des obligations de communication d’information seront aussi imposées. Les ACVM ont indiqué qu’elles accueillaient favorablement les normes de l’ISSB et l’ont félicité d’avoir « élaboré un cadre mondial d’information centré sur les investisseurs qui répond à la demande du marché pour une plus grande cohérence et comparabilité de l’information ».
Nombre d’observateurs guettent maintenant la publication par la SEC de sa proposition de règle révisée largement attendue sur la divulgation de renseignements relatifs au climat et la publication par les ACVM d’une version révisée du règlement 51-107. Il est probable que cette dernière soit en bonne partie inspirée des normes de l’ISSB.
Même en l’absence de changement législatif, les organismes de réglementation sont restés actifs. En janvier 2022, les ACVM ont publié des indications à l’intention des fonds d’investissement concernant la publication d’information sur les considérations entourant les facteurs ESG, soulignant les risques et les conséquences de l’écoblanchiment. De même, le Bureau du surintendant des institutions financières a publié la Ligne directrice B-15 : Gestion des risques climatiques, qui exigera des institutions financières fédérales qu’elles rendent compte de la gestion de risque liée au climat et de la communication d’information à partir de l’exercice 2024.
Il semble évident que les gouvernements n’ont pas fini de mettre en place de nouvelles initiatives politiques et réglementaires relatives au changement climatique, et que des différences subsisteront quant à la nature et à l’étendue des approches adoptées. Pour s’adapter à l’évolution de l’environnement juridique et réglementaire, les entreprises doivent s’assurer qu’elles ont pris en compte non seulement les effets physiques potentiels du changement climatique sur leurs activités, mais aussi les risques climatiques associés au nombre croissant de litiges et de contraintes réglementaires. Les entreprises devront s’assurer qu’elles ont mis en place des systèmes solides pour suivre les nouveaux développements, évaluer les lacunes potentielles en matière de conformité et être en mesure de prouver qu’elles ont adéquatement tenu compte des questions climatiques lors de la prise de décisions.