Auteurs(trice)
Vice-président, Ouest canadien, Calgary
Associé, Affaires réglementaires, Autochtones et environnement, Calgary
Dans ce bulletin Actualités
Le 5 avril 2017, le Comité d’experts pour l’examen des processus d’évaluation environnementale au Canada a publié son rapport définitif, intitulé : Bâtir un terrain d’entente : une nouvelle vision pour l’évaluation des impacts au Canada. Ce bulletin Actualités présente les recommandations du Comité d’experts et leur éventuel impact sur les évaluations environnementales et sur le processus réglementaire. Il examine aussi l’incidence des recommandations sur la compétitivité du secteur des ressources naturelles du Canada.
Contexte
Le 15 août 2016, la ministre de l’Environnement et du Changement climatique a mis en place un comité d’experts (le Comité) pour effectuer un examen des processus d’évaluation environnementale au Canada. Cet examen était fondé sur le fait que le gouvernement libéral croyait que le public canadien ne faisait plus confiance au processus d’évaluation environnementale aux termes de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) (LCEE 2012). Le Comité avait notamment été chargé d’envisager les façons de rétablir la confiance du public à l’égard des évaluations environnementales.
Le Comité était formé de quatre personnes : Johanne Gélinas, consultante en environnement et ex-commissaire à l’environnement et au développement durable du Canada; Doug Horswill, ex-dirigeant à Teck Resources Ltd.; Rod Northey, juriste spécialiste des questions d’environnement chez Gowling WLG; et Renée Pelletier, directrice associée chez Olthuis Kleer, Townshend LLP, cabinet d’avocats bien connu pour sa représentation de groupes autochtones au Canada.
Entre les mois d’août 2016 et avril 2017, le Comité a visité 21 villes du Canada, reçu 520 mémoires, tenu des ateliers et des séances de dialogue avec 1 035 participants en personne et assisté à 397 présentations en personne. Il a publié son rapport intitulé Bâtir un terrain d’entente : une nouvelle vision pour l’évaluation des impacts au Canada, le 5 avril 2017. Le public est invité à présenter ses commentaires sur le rapport du Comité d’ici le 5 mai 2017.
Recommandations du Comité
Même si le Comité ne croit pas « proposer de créer quelque chose de complètement nouveau », il a proposé des changements fondamentaux à la manière dont les évaluations environnementales sont réalisées au Canada. Le Comité a notamment recommandé des changements à ce qui suit :
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le but et la portée d’une évaluation environnementale (que le Comité voudrait renommer « évaluation des impacts » afin de tenir compte de tous les impacts positifs et négatifs des aménagements proposés sur le bien-être des Canadiens);
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le processus d’évaluation (qui, d’après le Comité, devrait débuter tôt, au cours de l’élaboration d’un projet, avant que les décisions les plus importantes n’aient été prises, et qui devrait comporter la participation de multiples comités de parties prenantes coopératives cherchant à en venir à un consensus sur toutes les questions opérationnelles et importantes qui surgissent pendant l’évaluation);
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les personnes autorisées à participer à l’évaluation (essentiellement, toute personne qui exprime son intérêt à l’égard du projet);
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les personnes qui réalisent l’évaluation (une nouvelle « Commission d’évaluation des impacts » [la Commission]);
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la personne qui prend la décision finale quant au projet (la nouvelle Commission, avec un droit d’appel auprès du Gouverneur en conseil);
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les critères à respecter pour qu’un projet puisse aller de l’avant (au lieu du critère actuel de « l’importance », le Comité propose qu’un projet soit évalué en fonction de « critères de durabilité » afin d’assurer que le projet apporte un « bénéfice net », en matière de durabilité).
À notre avis, un bon nombre des recommandations précises du Comité sont judicieuses et amélioreraient les évaluations environnementales. Ce sont notamment :
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l’accroissement de la capacité des organismes fédéraux afin d’assurer qu’ils participent de façon significative aux évaluations environnementales;
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l’augmentation des options informelles afin que le public puisse participer aux évaluations environnementales, par exemple, par des journées portes ouvertes et des ateliers;
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l’exigence que toute l’information produite pendant une évaluation environnementale soit accessible au public au moyen d’un registre en ligne, et que toutes les données de surveillance et de suivi soient versées au registre public;
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que l’autorité responsable ait le pouvoir d’obliger les scientifiques fédéraux à fournir leur expertise et de faire appel à des scientifiques de l’extérieur pour obtenir leur expertise technique;
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l’exigence que toutes les décisions prises en matière d’évaluation environnementale soient étayées de raisons clairement établies, afin que tous les membres du public puissent comprendre la justification de ces décisions;
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l’incitation à une plus grande collaboration entre le promoteur, les gouvernements et les parties intéressées, au moyen de comités coopératifs composés de multiples parties prenantes;
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la révision de la législation afin de permettre la modification des déclarations de décision;
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l’incitation à un plus grand recours aux évaluations environnementales régionales et stratégiques, ce qui pourrait contribuer à cibler les évaluations particulières à un projet sur les impacts précis du projet envisagé.
Mais certaines des autres recommandations du Comité sont impraticables, à notre avis, et apporteraient de grandes incertitudes au processus réglementaire. Il s’agit des recommandations suivantes :
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Changer le critère d’approbation ultime pour le faire passer de l’« importance » à la « durabilité », et transférer la responsabilité de la prise de décision du gouvernement à des commissaires indépendants; cela entraînerait de grandes incertitudes quant aux résultats du processus d’évaluation environnementale. Comme le fait remarquer le Comité, la « durabilité » est un terme qui a des significations différentes pour différentes personnes.Par exemple, la Commission d’examen conjoint pour le projet du Bas-Churchill a interprété la durabilité comme le fait que le projet engendre des retombées positives nettes sur les plans environnemental, social et économique.[1] Pour la plupart des projets, il s’agit d’une norme impossible à respecter, car il y a des compromis entre les impacts environnementaux et les avantages sociaux et économiques. En fait, selon le concept de la durabilité énoncé pour la première fois dans Notre avenir à tous,[2] la durabilité était un équilibre entre les intérêts sociaux, économiques et environnementaux. Le Comité recommande qu’un critère de durabilité « objectif » soit établi pour chacun des projets, en tenant compte de questions comme celle-ci : « Les avantages et les coûts sont-ils répartis équitablement? » À notre avis, ce genre de question est fondamentalement subjectif. Plus particulièrement, étant donné que les promoteurs du projet ignoreront qui prendra la décision finale quant à leurs projets, ou les critères particuliers qui seront pris en compte, l’adoption d’un critère de « durabilité » créerait beaucoup d’incertitude relativement aux résultats de toute évaluation environnementale.
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Le Comité appuie l’objectif courant qui est : « un projet – une évaluation », mais recommande de déterminer l’approche particulière de la collaboration fédérale-provinciale au cas par cas, dans le cadre du processus de planification de chaque projet. De plus, même si le Comité recommande de garder la « substitution » d’un processus d’examen provincial comme option de collaboration, il suggère de renforcer les exigences relatives à la substitution afin d’assurer que les principes du gouvernement fédéral sont confirmés (et que les organismes de réglementation fédéraux y prennent part), et que les groupes autochtones participent activement à toutes les décisions concernant la substitution. Cette approche rendrait plus difficile de prévoir la nature et l’étendue du processus d’évaluation environnementale avant l’élaboration d’un projet.
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Même si le Comité reconnaît l’importance de la prescription de délais pour imposer une discipline dans le processus d’évaluation environnementale et pour procurer une certitude aux promoteurs, il recommande que les délais particuliers à un projet soient fixés pour chacune des étapes du processus d’examen du projet, en fonction de la situation particulière de chaque projet. Cette approche rendrait plus difficile de prévoir le calendrier de l’évaluation environnementale avant l’élaboration d’un projet.
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Le Comité fait largement état de la Déclaration des Nations-Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) et recommande que pour tenir compte de la DNUDPA, tous les peuples autochtones touchés par un projet aient le droit de donner ou de refuser de donner leur consentement. Si le consentement est refusé, une commission d’examen déterminera si la décision était « raisonnable ». Si un groupe autochtone refuse de donner son consentement et qu’une commission d’examen conclut que la décision était raisonnable, le projet ne pourra pas aller de l’avant.
Cette recommandation est incompatible avec la loi canadienne, selon laquelle les groupes autochtones n’ont pas droit de veto à l’égard de l’élaboration d’un projet.[3] Même si les promoteurs et les gouvernements devraient consulter les groupes autochtones en ayant pour objectif le consentement du groupe, les groupes autochtones ne devraient pas avoir le pouvoir d’opposer leur veto à des projets qui sont dans l’intérêt public global du Canada. L’adoption de cette recommandation s’accompagnerait de beaucoup d’incertitude quant à l’aménagement des ressources au Canada, particulièrement dans le cadre de projets linéaires qui pourraient toucher des centaines de groupes autochtones (comme de grands pipelines et des lignes de transport d’électricité). De plus, le résultat pratique de cette recommandation serait d’augmenter de façon importante et disproportionnée la puissance des groupes autochtones dans la négociation des ententes sur les répercussions et les avantages.
Même si le consensus absolu est un objectif que les parties devraient viser, le défaut d’atteindre le consensus ne devrait pas signifier qu’un projet ne peut pas aller de l’avant, s’il est dans l’intérêt public du Canada.
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L’autre problème que posent les recommandations du Comité du point de vue du droit des Autochtones est la recommandation du Comité selon laquelle le commissaire devrait être un mandataire de la Couronne responsable d’importantes consultations et d’accommodements auprès des groupes autochtones. Par ailleurs, le Comité recommande que la Commission soit un tribunal quasi judiciaire. Ces deux fonctions semblent incompatibles. En tant que tribunal quasi judiciaire, la Commission serait tenue de traiter toutes les parties de façon juste et impartiale, et elle devrait s’assurer de se conformer à toutes les exigences en matière d’équité procédurale. En conformité avec l’affaire Taku River,[4] le processus réglementaire pourrait être suffisant, dans certains cas, pour satisfaire à l’obligation de consulter. Mais, dans la mesure où la Commission est également responsable de tenir des consultations directes auprès des groupes autochtones, elle pourrait avoir une obligation de fiduciaire envers eux, et devoir leur réserver un traitement différent que ce qu’elle accorde aux autres parties prenantes. À notre avis, il serait probablement impossible, pour la Commission, de remplir adéquatement ces deux rôles différents.
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Le Comité recommande de transférer du promoteur de projet à la Commission la responsabilité de préparer une étude d’impact environnemental. Même si le Comité note que cela réduirait la perception de partialité à l’égard des évaluations environnementales, cela ajouterait encore de l’incertitude à ce processus, du point de vue des promoteurs de projet. Aujourd’hui, le promoteur exerce un contrôle à l’égard du calendrier des études environnementales et peut s’assurer que le consultant qu’il sélectionne dispose des capacités, des ressources et des compétences pour mener les travaux à bien. Aux termes de la proposition du Comité, il perdrait ce contrôle. De plus, l’approche du Comité ne fonctionnerait que si la Commission disposait de suffisamment de ressources, ce qui exigerait un important financement du gouvernement fédéral. Si ce financement devait subir une réduction, à l’avenir, ou si les coûts réels de la Commission devaient dépasser le niveau de financement accordé, la Commission serait dans l’incapacité d’exercer ses fonctions, et tous les projets assujettis à une évaluation environnementale seraient en péril.
- Le Comité recommande la suppression du « critère lié au droit de participation » dans la LCEE 2012, car il croit que le fait d’exclure des personnes ou des groupes du processus d’évaluation porte atteinte à l’image de justice et d’équité. C’est là l’une des critiques les plus souvent formulées à l’égard de la LCEE 2012, et sans doute l’une des principales raisons pour lesquelles des membres du public ne font plus confiance au processus d’évaluation environnementale. Toutefois, à notre avis, le fait d’étendre les occasions de participation aux évaluations environnementales ne nécessite pas la suppression du critère lié au droit de participation. Par exemple, le Comité suggère d’incorporer de nouveaux processus aux premières phases d’une évaluation environnementale, tels que des journées portes ouvertes. Toutes les personnes désireuses d’y prendre part y seraient invitées. Cependant, si une audience est requise à la fin du processus (étant donné que le Comité examine toutes les questions qui ne peuvent pas être décidées par un consensus des parties), une certaine forme de critère lié au droit de participation est nécessaire pour que l’audience soit réalisable. Par exemple, si les 15 000 personnes qui ont présenté des lettres de commentaires à l’audience sur le Projet d’expansion de la mine Jackpine de Shell (certaines provenant d’aussi loin que la Belgique) avaient été autorisées à contre-interroger les témoins de Shell et à présenter des regroupements de témoins, l’audience ne serait pas encore terminée. De tels résultats ne sont pas acceptables, et ne sont pas dans l’intérêt public des Canadiens. De plus, les parties ayant un intérêt véritable dans un projet ne devraient pas être noyées au milieu d’une audience où est autorisée la participation d’un trop grand nombre de parties qui n’ont pas d’intérêt véritable dans le projet. À notre avis, il doit y avoir une certaine forme de critère lié au droit de participation dans les audiences afin que le processus puisse se dérouler comme prévu.
Les recommandations du Comité sont fondées sur une interprétation erronée de l’évaluation environnementale
Le processus réglementaire du Canada, y compris les évaluations environnementales, doit tenir compte de l’objectif de réglementation, plutôt que de l’interdiction quant à la mise en valeur des ressources. La mise en valeur des ressources est tout à fait licite dans ce pays, et il s’agit d’une partie importante de l’économie canadienne. Avant que la plupart des projets de mise en valeur des ressources puissent être élaborés, les promoteurs de projets doivent acquérir des droits miniers auprès du gouvernement (ce qui représente souvent une dépense importante). C’est un principe de common law bien établi qu’un droit relatif aux mines et aux minéraux comprend le droit de faire tout ce qui est nécessaire pour exploiter et extraire ces minéraux. [1] Par conséquent, une fois que les droits miniers sont acquis, le promoteur s’attend à juste titre à être autorisé à exploiter les ressources. De même, tous les Canadiens devraient s’attendre à ce qu’une fois les droits miniers accordés, la ressource soit mise en valeur à leur profit. Cela ne signifie pas que les droits miniers peuvent être exercés quelles qu’en soient les conséquences, mais en l’absence de circonstances extraordinaires, le processus réglementaire devrait être concentré sur la façon dont les ressources sont mises en valeur, et non sur le fait qu’elles devraient, ou non, être mises en valeur. De même, l’évaluation environnementale devrait porter sur la prise de décisions éclairées à la suite d’une bonne réglementation.
L’approche du Comité à l’égard de la prise de décision fondée sur le consensus et de l’évaluation de projets par rapport aux critères de durabilité ne tient pas véritablement compte des attentes légitimes des titulaires de droits miniers (et de celles du public canadien) ni du but de l’évaluation environnementale.
Incidence des recommandations du Comité sur la compétitivité du Canada
D’après notre expérience, de nombreuses entreprises qui projettent de mettre des ressources en valeur au Canada ont également des occasions d’investissements dans des pays étrangers et doivent mettre en balance leurs projets au Canada et ces occasions d’investissements à l’étranger. Pour ce faire, elles doivent comprendre les « règles du jeu » dans chaque territoire de compétence pour connaître les exigences et les délais d’obtention des autorisations réglementaires, ainsi que le risque ultime que ces autorisations soient refusées à la fin du processus. Le Canada doit s’assurer que son processus d’évaluation environnementale est robuste et que le public canadien peut s’y fier. Mais, toute réforme devrait également tenir compte des impacts de la compétitivité du secteur des ressources du Canada, qui constitue une partie importante de l’économie canadienne. Omettre de tenir compte de la composante économique de la durabilité n’aide pas à la prise de décisions éclairées.
À notre avis, un bon nombre des recommandations précises du Comité sont judicieuses et amélioreraient le processus courant d’évaluation environnementale. Cependant, certaines autres recommandations créent un risque inacceptable en raison du degré d’incertitude qu’elles apportent à un processus que l’on croit déjà réparti entre des marchés internationaux.
[1] Rapport de la commission d’examen conjoint – Projet de centrale hydroélectrique dans la partie inférieure du fleuve Churchill (août 2011) p. xxxiii.
[2] Brundtland et al., Notre avenir à tous, rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement (Oxford University Press : Oxford, 1987).
[3] Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, art. 48.
[4] Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie-Britannique (Directeur d’évaluation de projet), [2004] 3 RCS 550
[5] Borys v. Canadian Pacific Railway, [1953] C.A. 217 (C.P.).