Taxe internationale : Loblaw obtient gain de cause devant la Cour d’appel fédérale

6 Mai 2020 8 MIN DE LECTURE

Dans une décision rendue le 23 avril 2020, la Cour d'appel fédérale (la CAF) a accueilli à l'unanimité l'appel de Loblaw d'une décision rendue en 2018 par la Cour canadienne de l'impôt (la Cour fiscale).

La CAF a conclu que le revenu gagné par une filiale de la Barbade de Loblaw Financial Holdings Inc. (Loblaw) n'était pas un revenu étranger accumulé, tiré de biens (REATB) et n'était donc pas imposable au Canada.

La décision fournit de rares indications d’un tribunal d'appel sur l'interprétation correcte d'éléments importants des règles complexes relatives aux filiales étrangères dans la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi fiscale). La décision est particulièrement importante pour les institutions financières canadiennes ayant des filiales qui exercent des activités bancaires et autres activités financières à l'étranger. L'appel souligne également l'importance de planifier à l’avance pour les litiges factuels qui peuvent survenir des années – ou des décennies – après les années en question.

Contexte

Loblaw est une filiale canadienne de Loblaw Companies Limited. L'Agence du revenu du Canada (ARC) a affirmé que Loblaw était imposable au Canada sur environ 475 millions de dollars de revenus gagnés à l'étranger par sa filiale résidant à la Barbade, Glenhuron Bank Limited (Glenhuron), entre 2001 et 2010. L'ARC a fait valoir que Glenhuron exploitait une « entreprise de placement », telle que définie au paragraphe 95(1) de la Loi fiscale, et que son revenu était donc un REATB et non un revenu provenant d'une entreprise exploitée activement. En outre, l'ARC a tenté d'invoquer la règle générale anti-évitement de l'article 245 de la Loi fiscale (la RGAE).

Selon Loblaw, les revenus de Glenhuron provenaient d'une entreprise active, puisqu'il s'agissait d'une banque étrangère réglementée exerçant ses activités principalement avec des personnes sans lien de dépendance et nécessitant plus de cinq employés à temps plein. L'entreprise remplissait donc les conditions requises pour bénéficier de l'exception « institution financière » de la catégorie des entreprises de placement du REATB. Loblaw a également nié que la RGAE puisse s'appliquer.

Une perte étroite pour le contribuable au procès

Après un procès de quatre semaines impliquant 14 témoins, de nombreuses preuves documentaires et de nombreux points litigieux, la Cour fiscale a conclu que Glenhuron remplissait toutes les conditions nécessaires pour bénéficier de l'exception en faveur des institutions financières, sauf une.

Plus précisément, la Cour fiscale a conclu que Glenhuron était une « banque étrangère » au sens de la Loi fiscale, qu'elle était régie comme une banque étrangère en vertu des lois de la Barbade et qu'elle employait le nombre requis d'employés à temps plein dans la conduite active de ses activités. La Cour a également conclu, en obiter, que la RGAE ne s'appliquait pas parce qu'il n'y avait pas d'opérations d'évitement.

Toutefois, la Cour fiscale a condamné Loblaw au motif que Glenhuron n'exerçait pas ses activités de banque étrangère principalement avec des personnes sans lien de dépendance (un point qui n'a pas fait l'objet d'observations détaillées au procès).

La Cour fiscale a déterminé qu'une interprétation correcte du critère de pleine concurrence dans un contexte bancaire nécessite un examen à la fois de la réception et de l'utilisation des fonds. Cette décision se fondait sur l'opinion de la Cour selon laquelle l'activité d'une banque comporte nécessairement deux éléments, la réception de fonds et l'utilisation des fonds. La Cour a fondé cette conclusion sur sa compréhension d'une « activité bancaire » dans l'abstrait, ainsi que sur la définition d'une « activité bancaire internationale » dans la législation pertinente de la Barbade en vertu de laquelle Glenhuron a été autorisée à opérer.

La Cour fiscale a estimé qu'une exigence de concurrence non exprimée dans la composante de pleine concurrence de l'exception relative aux institutions financières était pertinente pour sa conclusion, et que cette exigence de concurrence justifiait de mettre l'accent sur le côté « recettes » de l'équation. La Cour a donc mis l'accent sur les sources de capitaux de Glenhuron ayant un lien de dépendance, notamment les capitaux propres reçus de son actionnaire.

En outre, la Cour fiscale s'est concentrée sur l'influence exercée par le groupe Loblaw du Canada en sa qualité d'actionnaire et a semblé, à certains moments, ignorer l'existence juridique distincte de Glenhuron.

Le succès du contribuable en appel : motifs et points importants à retenir

En accueillant l'appel de Loblaw, la CAF a constaté plusieurs erreurs juridiques dans la décision de la Cour fiscale.

La CAF a expliqué que la loi canadienne exigeait une approche institutionnelle formelle pour définir une activité bancaire. Selon cette approche, l'application du critère de pleine concurrence n'exige pas de prendre en compte à la fois les recettes et les utilisations de l'entreprise.

Appliquant le sens ordinaire de l'expression « affaires menées … avec », la CAF a estimé que l'accent devait être mis sur les relations d'affaires. La détermination de la conduite « principale » d'une entreprise nécessite une analyse factuelle qui se concentre sur les activités génératrices de revenus qui occupent le temps et l'attention des employés engagés dans la conduite de l'entreprise. C'est pourquoi la source du capital de Glenhuron ne devrait guère être prise en compte pour déterminer si ses activités commerciales ont été menées principalement avec des personnes sans lien de dépendance.

La CAF a également observé que cette conclusion était conforme à la distinction entre la réception de capitaux par une entreprise et les activités par lesquelles ces capitaux sont utilisés pour gagner des revenus. Les autres transactions avec des parties liées, qui peuvent donner lieu à des relations d'affaires selon les faits, doivent également être évaluées en fonction de leur importance pour l'ensemble des activités génératrices de revenus de l'entreprise.

La CAF a estimé que la Cour fiscale n'avait pas respecté l'existence juridique distincte d'une filiale de son actionnaire et avait considéré à tort que l'argent de Glenhuron appartenait à Loblaw.

En outre, la CAF a estimé que la Cour fiscale avait commis une erreur en interprétant une exigence non légiférée en matière de concurrence dans l'exception relative aux institutions financières. Citant la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Shell Canada Ltd. c. Canada, la CAF a fait observer que les tribunaux doivent être prudents avant de conclure à une intention législative non exprimée implicite dans des dispositions claires de la Loi fiscale. La CAF a également précisé que l'objet d'une disposition, tel que déterminé au cours de l'interprétation ordinaire d'une loi, ne doit pas être confondu avec la politique ou la justification sous-jacente de la disposition, telle que déterminée au cours de l'analyse de la RGAE. Il s'agit là d'exercices nettement différents.

En appliquant l'analyse correcte, la CAF a conclu que Glenhuron a mené ses activités principalement avec des personnes sans lien de dépendance, c'est-à-dire des personnes avec lesquelles Glenhuron traitait dans le cadre de l'acquisition de titres de créance à court terme et de la conclusion d'opérations sur produits dérivés connexes.

Enfin, si la CAF a pris acte de la crainte de Couronne que les revenus de Glenhuron soient exonérés d'impôt au Canada, elle a observé que cette crainte ne permet pas aux tribunaux de donner aux dispositions législatives une interprétation plus large qu'ils ne peuvent raisonnablement le supporter. Il appartient au Parlement de combler les lacunes éventuelles de la législation.

Le Parlement a, en fait, agi pour limiter la disponibilité de l'exception relative aux institutions financières. En vertu d'un amendement de 2014, cette exception n'est désormais généralement disponible que pour les filiales étrangères d'importantes institutions financières canadiennes. La décision de la CAF apporte une clarté opportune à ces contribuables, en confirmant que l'élément de pleine concurrence exige une analyse factuelle qui se concentre sur les relations d'affaires d'une société étrangère affiliée et sur le temps et l'attention nécessaires pour générer des revenus.

Sur le plan pratique, cet appel souligne non seulement la nécessité de créer et de préserver les preuves nécessaires pour établir les faits requis, mais aussi l'importance de réussir à établir ces éléments factuels au procès. Parmi les nombreuses leçons à tirer de cet appel, il est clair que plus les questions de preuve sont examinées tôt – de préférence au moment où la planification pertinente est entreprise – moins les contribuables risquent d'être confrontés à des difficultés ultérieures en cas de litige fiscal.

Osler a représenté Loblaw au cours du litige, avec une équipe comprenant les plaideurs fiscaux Al Meghji, Pooja Mihailovich, Mary Paterson et Mark Sheeley, ainsi que les spécialistes de la fiscalité internationale Drew Morier et Robert Raizenne.