Qui, quoi et comment : les questions au cœur de la gouvernance d’entreprise

11 Déc 2023 13 MIN DE LECTURE

L’année qui vient de s’écouler a vu un intérêt croissant porté à la question de la diversité allant au-delà de la parité des sexes et l’ajout de nouvelles règles à la liste des sujets que doit aborder le conseil d’administration. Une décision de justice encourageante rendue en 2023 permet de croire que, même si les avis divergent fortement sur la manière dont les conseils d’administration doivent traiter des questions vitales comme les changements climatiques, les administrateurs diligents seront protégés advenant la contestation de leurs décisions devant les tribunaux.

L’année qui vient de s’écouler a vu un intérêt croissant porté à la question de la diversité allant au-delà de la parité des sexes et l’ajout de nouvelles règles à la liste des sujets que doit aborder le conseil d’administration. Une décision de justice encourageante rendue en 2023 permet de croire que, même si les avis divergent fortement sur la manière dont les conseils d’administration doivent traiter des questions vitales comme les changements climatiques, les administrateurs diligents seront protégés advenant la contestation de leurs décisions devant les tribunaux.

Au cours de l’année à venir, les émetteurs canadiens seront soumis à une pression croissante les poussant à étendre leurs pratiques en matière de diversité, d’équité et d’inclusion afin d’envisager la diversité de manière plus large que la parité des sexes, en mettant plus particulièrement l’accent sur la diversité raciale ou ethnique. En outre, de nouvelles exigences législatives concernant le recours au travail forcé et au travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement, ainsi que la surveillance de la cybersécurité et la communication d’information connexe, accapareront davantage le temps et l’attention des conseils d’administration en 2024.

Au Royaume-Uni, l’importance accrue accordée à la surveillance par les conseils d’administration des questions visées par l’énoncé sur la résilience de l’émetteur, la politique d’audit et d’assurance de ce dernier ainsi que les principaux risques de fraude auxquels il est exposé et l’information sur les distributions effectuées par son entreprise pourrait être un signe avant-coureur d’autres domaines qui nécessiteront plus d’attention de la part des conseils d’administration. Bien que les désaccords entre les parties prenantes sur la pertinence des plans d’action climatique des émetteurs continuent de faire entrevoir la perspective de litiges relatifs à la surveillance des questions climatiques par les conseils d’administration, il y a lieu de croire que les tribunaux s’en remettront aux décisions éclairées prises de bonne foi par les conseils d’administration, si ces décisions sont contestées.

« Qui » : La diversité toujours à l’ordre du jour en 2024

Depuis quelque temps, les comités des candidatures des sociétés ouvertes subissent des pressions en faveur d’une plus grande diversité de compétences et d’origines des membres siégeant à leur conseil.

Cela fait maintenant neuf ans que la communication d’information sur la représentation des femmes est obligatoire. Comme le souligne notre rapport intitulé Pratiques de divulgation en matière de diversité 2023, la proportion globale d’administratrices continue d’augmenter à un rythme régulier, tandis que le taux d’ajout de femmes aux conseils d’administration en 2023 est plus élevé que jamais. Les femmes occupent désormais 29 % des sièges de l’ensemble des conseils d’administration des émetteurs cotés à la Bourse de Toronto.

Outre ces progrès, en 2023, l’attention s’est davantage portée sur la diversité allant au-delà de la parité des sexes, en particulier sur la diversité raciale ou ethnique. Depuis 2020, les sociétés régies par la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA) sont tenues de communiquer le nombre et le pourcentage d’administrateurs qui sont des femmes, des membres d’une minorité visible, des Autochtones et des personnes handicapées.

La diversité ethnique est depuis longtemps un élément central de l’information communiquée par les sociétés du Royaume-Uni. Les règles d’admission à la cote du Nasdaq imposent désormais à chaque émetteur inscrit d’avoir un administrateur issu de la diversité ou d’expliquer pourquoi il n’en a pas. D’ici la fin de l’année 2025, cette exigence sera portée à deux administrateurs issus de la diversité. Pour les émetteurs nationaux américains, au moins l’un d’entre eux devra appartenir à une minorité sous-représentée ou se désigner lui-même comme étant LGBTQ+. L’Institutional Investor Services a annoncé qu’à partir de 2024, il recommandera de s’abstenir de voter en faveur du président du comité des candidatures du conseil d’administration qui ne compte aucun membre issu de la diversité raciale ou ethnique.

Les émetteurs canadiens réagissent déjà, et la proportion d’administrateurs issus de minorités visibles a sensiblement augmenté en 2023, 10 % des administrateurs de sociétés régies par la LCSA étant issus d’une minorité visible.

Les organismes canadiens de réglementation des valeurs mobilières s’intéressent également à la diversité au-delà de la parité des sexes. Comme nous l’avons déjà mentionné dans notre bulletin d’actualités Osler, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont publié en avril 2023 un appel à commentaires proposant deux options s’agissant de la modification des obligations d’information en matière de diversité.

L’approche plus souple de la Version A laisse à l’émetteur le soin de définir les « groupes identifiés » (autres que les femmes) qui sont pertinents pour sa stratégie en matière de diversité et de déterminer son approche relativement à la diversité. Dans la Version A, le projet de modification prévoit la publication d’une information descriptive présentant les objectifs en matière de diversité de l’émetteur, les mécanismes qu’il a mis en place pour les atteindre et les politiques, procédures et cibles établies par le conseil d’administration relativement aux femmes et aux personnes membres des groupes identifiés. L’émetteur n’est tenu de publier des données sur le nombre et le pourcentage de membres du conseil d’administration et de la direction qui appartiennent aux groupes identifiés que s’il en recueille.

Le Version B reflète une approche plus prescriptive qui est semblable aux obligations d’information prévues par la LCSA. Elle impose la communication d’information concernant la représentation de « groupes désignés » et fixe certaines cibles en la matière. Tout comme dans la LCSA, les groupes désignés comprennent les femmes, les personnes racisées, les Autochtones et les personnes handicapées, mais la Version B inclut également les personnes de la communauté LGBTQ2SI+. Des données sur la représentation de chaque groupe désigné seraient exigées, mais l’information sur les cibles serait présentée séparément pour les femmes et collectivement pour les autres groupes désignés.

La même approche à deux options est suivie en ce qui concerne les modifications qu’il est proposé d’apporter à l’Instruction générale 58-201 relative à la gouvernance concernant l’approche de l’émetteur en matière de diversité. Les modifications de la Version A sont plus souples que celles de la Version B. Les autres modifications proposées concernent les responsabilités du comité des candidatures du conseil d’administration, l’adoption d’une politique écrite définissant la procédure de sélection des administrateurs et l’utilisation d’une grille de profils. Les modifications proposées aborderaient également la planification efficace de la relève et les mécanismes de renouvellement du conseil d’administration, dont la durée des mandats. Elles toucheraient aussi la politique écrite sur la diversité de l’émetteur et les cibles de représentation de la diversité au sein du conseil d’administration et parmi la haute direction.

Les propositions des ACVM ont suscité de vastes débats et de nombreux commentaires, et l’on ignore encore comment les ACVM tiendront compte des observations reçues. Toutefois, il ne fait aucun doute que les règles feront éventuellement l’objet de changements. La diversité au-delà de la parité des sexes restera un domaine d’intérêt, et la pression en faveur d’une représentation accrue de la diversité raciale ou ethnique au sein des conseils d’administration, en particulier, continuera de s’intensifier.

« Quoi » : élargissement de la responsabilité du conseil d’administration en matière de surveillance

En 2023, l’ordre du jour des conseils d’administration, déjà chargé, s’est enrichi de points qui nécessiteront une attention particulière à l’avenir.

Une nouvelle loi fédérale sur l’esclavage moderne a été ratifiée en 2023 et entrera en vigueur le 1er janvier 2024. Nous examinons ces exigences en détail dans notre article intitulé « Chaînes d’approvisionnement, « amilocalisation » et coopération avec les alliés ». Cette loi exige que le conseil d’administration approuve le rapport qui doit être soumis et qu’un administrateur le signe au nom du conseil d’administration. En conséquence, le conseil d’administration sera tenu de surveiller directement le respect des nouvelles obligations de faire rapport au sujet des chaînes d’approvisionnement de la société. La direction devra examiner et évaluer les risques relatifs au recours au travail forcé et au travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement de l’organisation ainsi que les mesures prises pour y remédier, et en faire rapport au conseil d’administration.

La surveillance et la communication des risques liés à la cybersécurité ont également suscité l’attention des organismes de réglementation cette année. La Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis a adopté des règles imposant désormais aux émetteurs de publier de l’information sur les incidents de cybersécurité importants et sur leur gestion des risques, leur stratégie et leur gouvernance liés à la cybersécurité. Ces règles s’appliquent aux émetteurs nationaux américains et aux émetteurs privés étrangers devant produire le formulaire 20-F, mais ne s’appliquent pas aux émetteurs régis par le régime d’information multinational. Nous examinons ces règles plus en détail dans notre bulletin d’actualités Osler.  

Les règles requièrent des émetteurs qu’ils déclarent les incidents liés à la cybersécurité dans les quatre jours ouvrables suivant la détermination de leur importance. Ils devront décrire les aspects importants de l’incident et son incidence (ou son incidence raisonnablement probable). De manière générale, ces exigences concordent avec celles des lois et des règlements canadiens sur les valeurs mobilières. Au Canada, cependant, un communiqué de presse doit être déposé et publié immédiatement après la détermination qu’un incident lié à la cybersécurité est important, et la communication ne bénéficie d’aucune protection particulière. Si les règles américaines parviennent à accroître la rapidité de l’information sur les incidents liés à la cybersécurité, les émetteurs canadiens et leurs conseils d’administration seront fortement incités à évaluer l’importance des incidents liés à la cybersécurité plus rapidement qu’ils ne le font actuellement.

La règle de la SEC exige également la publication annuelle des processus de l’émetteur pour l’évaluation, la détection et la gestion des risques importants liés aux menaces de cybersécurité, ainsi que l’incidence de ces risques sur la stratégie commerciale, les résultats d’exploitation ou la situation financière de l’émetteur. L’information présentée doit également comprendre un aperçu du rôle de la direction dans l’évaluation et la gestion de ces risques et de la surveillance exercée par le conseil d’administration sur les risques liés aux menaces de cybersécurité.

En adéquation avec ce thème, au Royaume-Uni, l’attention se concentre de plus en plus sur le conseil d’administration et son rôle de surveillance des questions visées par l’énoncé sur la résilience de l’émetteur, sa politique d’audit et d’assurance, les principaux risques de fraude auxquels il est exposé et l’information sur les distributions effectuées par son entreprise. Vu la possibilité que d’autres règlements soient adoptés ou que les attentes pesant sur les investisseurs à cet égard s’accroissent, ces tendances méritent d’être prises en considération par les conseils d’administration canadiens au cours de l’année à venir.

« Comment » : les changements climatiques frappent les tribunaux (qui font preuve de déférence envers les administrateurs)

Les parties prenantes ont des avis tranchés et variés sur la manière dont les émetteurs devraient prendre en compte le risque lié aux changements climatiques et faire les compromis nécessaires dans le cadre de leurs plans d’action climatique. Toutefois, une importante décision d’un tribunal du Royaume-Uni permet de penser que les tribunaux ne remettront pas en question la façon dont les administrateurs diligents s’acquittent de leurs fonctions en ce qui concerne les questions liées aux changements climatiques.

En 2023, les tribunaux britanniques ont rejeté à deux reprises une action dérivée intentée contre le conseil d’administration de Shell plc par ClientEarth, une ONG environnementale. La demanderesse alléguait que la stratégie climatique de Shell était déraisonnable, car ses cibles provisoires de réduction des émissions de gaz à effet de serre ne couvraient pas les émissions de portée 3. Elle soutenait que les administrateurs de Shell plc avaient manqué à leur obligation de promouvoir le succès de la société et d’agir avec un soin, une compétence et une diligence raisonnables parce qu’ils n’avaient pas adopté et mis en œuvre une stratégie climatique conforme à l’Accord de Paris sur les changements climatiques. Elle demandait également une injonction ordonnant au conseil d’administration d’adopter et de mettre en œuvre une stratégie de gestion du risque lié aux changements climatiques conformément aux obligations qui lui incombent en vertu de la loi. Le conseil d’administration aurait également été tenu de se conformer immédiatement à une ordonnance rendue par un tribunal néerlandais qui avait enjoint à Shell de réduire ses émissions de 45 % d’ici à 2030. On peut trouver de plus amples renseignements dans notre article « Un tourbillon de changements : les incidences des litiges et de la réglementation liés au climat ».

Dans sa décision rejetant l’action, le tribunal britannique a reconnu qu’un conseil d’administration était tiraillé entre des considérations contradictoires entre lesquelles il devait trouver un équilibre tout en gérant une entreprise vaste et complexe. Il a également reconnu que les tribunaux n’étaient pas bien placés pour se prononcer sur de telles décisions commerciales ou les remettre en question.

Le droit canadien autorise expressément les administrateurs à prendre en compte divers intérêts pour déterminer ce qui est au mieux des intérêts de leur société. En vertu de la règle de l’appréciation commerciale, les tribunaux canadiens font montre de déférence envers les décisions des administrateurs prises de bonne foi et en l’absence de conflit d’intérêts, à condition que les administrateurs aient procédé à des recherches et à un examen raisonnables sur les options possibles et que la décision se situe dans une gamme de solutions raisonnables.

Aucune action de ce genre n’a été intentée au Canada à ce jour, et la surveillance des questions liées au climat exercée par un conseil d’administration canadien pourrait être remise en question d’une autre façon qu’elle l’a été au Royaume-Uni. Les jugements des tribunaux britanniques permettent cependant de croire que les décisions des conseils d’administration canadiens devraient également pouvoir résister à une contestation si l’émetteur parvient à démontrer que le conseil d’administration prête aux changements climatiques l’attention qu’ils méritent, qu’il est informé des risques liés aux changements climatiques et de leurs conséquences et qu’il en tient dûment compte dans sa prise de décisions.