Nouvelle audience pour une contestation historique fondée sur la Charte et menée par des jeunes visant la Loi annulant le programme de plafonnement et d’échange de l’Ontario

19 Déc 2024 6 MIN DE LECTURE

Dans l’affaire Mathur c. Ontario, 2024 ONCA 762 (Mathur), la Cour d’appel de l’Ontario a relancé une requête déposée par de jeunes activistes qui soutiennent que les cibles d’émissions de gaz à effet de serre (GES) fixées dans le cadre de la Loi annulant le programme de plafonnement et d’échange de l’Ontario violent les droits que leur confèrent l’article 7 et l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »).

Comme nous l’avons exposé dans un bulletin d’actualités intitulé « Première réclamation liée aux changements climatiques à être considérée justiciable en Ontario – L’affaire Mathur v. Ontario », la Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu que la réclamation des requérants était justiciable, mais l’a rejetée sur le fond, concluant que toute privation du droit à la vie ou à la sécurité de la personne n’était pas contraire aux principes de justice fondamentale en vertu de l’article 7 de la Charte et que l’article 15 n’imposait pas au gouvernement provincial l’obligation positive de prendre des mesures précises pour lutter contre les changements climatiques.

Le 17 octobre 2024, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu à l’unanimité qu’en promulguant la Loi annulant le programme de plafonnement et d’échange, le gouvernement de l’Ontario a volontairement assumé une obligation légale positive de lutter contre le changement climatique d’une manière conforme à la Charte. La Cour d’appel a autorisé l’appel, mais a refusé de statuer sur la requête, renvoyant l’affaire au juge de première instance pour qu’il la réentende sur le fond.

Contexte

En 2016, le gouvernement de l’Ontario a promulgué la Loi de 2016 sur l’atténuation du changement climatique et une économie sobre en carbone (Loi sur le changement climatique), qui a établi un système de plafonnement et d’échange de tarification du carbone et fixé un objectif de réduction des émissions de GES de 37 % par rapport aux niveaux de 2005 d’ici 2030. En 2018, cette loi a été abrogée par la Loi annulant le programme de plafonnement et d’échange, qui impose au ministre de l’Environnement de fixer des objectifs de réduction des émissions. La cible du ministre, définie dans le plan environnemental de 2018 [PDF], est moins onéreuse que celle de la Loi sur le changement climatique et vise à réduire les émissions de GES de 30 % par rapport aux niveaux de 2005 d’ici 2030.

Dans cette affaire, les requérants sont sept jeunes de l’Ontario qui soutiennent que la cible est trop accommodante pour prévenir les conséquences néfastes du changement climatique sur l’environnement et la santé, violant ainsi leurs droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne en vertu de l’article 7 de la Charte. Ils soutiennent également que l’impact disproportionné du changement climatique sur les jeunes est discriminatoire, violant leurs droits à l’égalité garantis par l’article 15 de la Charte.

En novembre 2020, les requérants ont obtenu le rejet d’une requête en radiation de l’affaire selon laquelle la réclamation n’était pas justiciable. La Cour supérieure de justice de l’Ontario a en effet estimé qu’il n’était pas évident que la Loi annulant le programme de plafonnement et d’échange et le retour en appel ne pourraient pas être contrôlés par un tribunal, et a donc procédé à l’audition de l’action sur le fond.

En avril 2023, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a confirmé que les questions relatives à la Charte soulevées par les requérants étaient généralement justiciables parce qu’elles concernaient des mesures et des lois particulières de l’État, mais elle a rejeté les réclamations des requérants fondées sur la Charte. Le juge de première instance a estimé que les requérants tentaient d’établir un droit positif et a jugé que la Charte ne pouvait pas imposer au gouvernement une obligation autonome d’atténuer le changement climatique. Les requérants ont alors fait appel.

Décision de la Cour d’appel de l’Ontario

La Cour d’appel de l’Ontario n’était pas d’accord et a estimé que les requérants ne cherchaient pas à obtenir une ordonnance enjoignant à l’Ontario de prendre des mesures précises pour lutter contre le changement climatique. Au contraire, les requérants soutenaient seulement que la cible fixée par le ministre en vertu de la Loi annulant le programme de plafonnement et d’échange engage l’Ontario à atteindre des niveaux d’émissions de gaz à effet de serre qui violent leurs droits garantis par la Charte. Selon la Cour d’appel, le juge de première instance aurait pu examiner si l’objectif en matière d’émissions était conforme à la Charte, compte tenu de l’obligation légale positive de lutter contre le changement climatique que l’Ontario avait volontairement assumé. La Cour d’appel a également rejeté l’argument de l’Ontario selon lequel les tribunaux ne pouvaient pas superviser l’action du gouvernement en matière de changement climatique, estimant qu’il existe des normes internationales claires fondées sur un consensus scientifique accepté qui peuvent indiquer ce que devrait être un objectif d’émission conforme à la Constitution.

Étant donné l’absence d’un dossier de preuve complet et l’émergence de nouvelles questions juridiques, notamment celle de savoir si la politique climatique de l’Ontario violait les droits des Autochtones en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, la Cour d’appel de l’Ontario a refusé de déterminer si les droits des requérants en vertu de la Charte avaient fait l’objet d’une atteinte injustifiée. Au lieu de cela, la Cour d’appel a renvoyé la requête à la Cour supérieure de justice de l’Ontario pour un examen plus approfondi.

Points à retenir

L’affaire Mathur représente une évolution importante dans les litiges relatifs aux changements climatiques au Canada, car elle ouvre la possibilité qu’un tribunal puisse estimer avoir le pouvoir d’ordonner à un gouvernement de fixer des objectifs d’émissions conformes aux normes internationales ou à d’autres normes établies par des experts. Un litige parallèle alléguant que la politique climatique du gouvernement fédéral viole la Charte est en cours devant les tribunaux après que la Cour d’appel fédérale a rejeté la requête du gouvernement visant la radiation de l’affaire La Rose c. Canada, 2023 CAF 241.

Osler suivra de près l’évolution de l’affaire Mathur.