Auteurs(trice)
Associé, Droit du travail et de l’emploi, Toronto
Le 17 août 2021, le médecin hygiéniste en chef a publié une directive en vertu de l’article 77.7 de la Loi sur la protection et la promotion de la santé (la directive sur la vaccination). La directive sur la vaccination oblige les hôpitaux et les « organisations visées », notamment les fournisseurs de services de soins à domicile et dans les milieux communautaires[1] à établir une politique de vaccination visant leurs employés, membres du personnel, entrepreneurs, étudiants et bénévoles, à compter du 7 septembre 2021.[2]
Conformément à la directive, les politiques de vaccination adoptées doivent exiger, au minimum, que les personnes fournissent une preuve de vaccination complète, une raison médicale pour ne pas être vaccinée ou la preuve que la personne a suivi une séance de formation sur la vaccination[3]. La directive sur la vaccination n’exige pas que les travailleurs de la santé soient vaccinés afin de se trouver sur les lieux sans raison médicale, mais exige que les personnes non vaccinées se soumettent à des tests antigéniques, au moins une fois tous les sept jours.[4]
La directive sur la vaccination est analogue à la directive publiée en vertu de l’article 174.1 de la Loi sur les foyers de soins de longue durée le 1er juillet 2021.[5] Les organisations assujetties à la directive sur la vaccination devront également divulguer des renseignements statistiques au ministère de la Santé relativement à la mise en œuvre de leurs politiques de vaccination.
Lors de la mise à jour ou de l’adoption de nouvelles politiques de vaccination, afin de s’assurer que celles-ci rendent au moins compte des exigences minimales de la directive sur la vaccination, et pour déterminer s’il est nécessaire d’établir des mesures allant au-delà de la directive sur la vaccination, les employeurs du secteur des soins de santé, leurs conseils d’administration et leurs dirigeants doivent être au fait de certaines obligations spécifiques prescrites par la common law, contractuelles et légales, qui sont décrites ci– après et faire un examen approprié de toutes les questions applicables. Lorsqu’ils évaluent ce qui est raisonnable dans les circonstances, les employeurs doivent prendre en considération les risques relatifs de la mise en œuvre des politiques de vaccination, l’incidence de leur décision sur les principales parties prenantes concernées, les circonstances entourant la COVID-19 à ce moment et les mesures et politiques adoptées par d’autres employeurs et organisations de soins de santé.
L’Ontario Medical Association, l’Association des infirmières et infirmiers autorisés de l’Ontario, et SEIU Healthcare ont tous annoncé publiquement leur soutien à la vaccination contre la COVID-19 obligatoire pour les travailleurs de la santé de la province[6].
Dans le passé, des syndicats représentant les travailleurs de la santé ont contesté avec succès les vaccins contre la grippe obligatoires, invoquant qu’ils constituaient un exercice déraisonnable des droits de la direction. Cependant, compte tenu de l’étendue du risque découlant de la COVID-19 et des différents états d’urgence et autres mesures législatives établies en réponse à la pandémie, nous pensons que l’analyse qui s’est appliquée à ces contextes antérieurs pourrait ne pas être applicable à l’évaluation du caractère raisonnable et exécutoire d’une politique de vaccination contre la COVID-19 obligatoire. En outre, nous notons que certains syndicats ont demandé que les employeurs recueillent des données sur la vaccination contre la COVID-19 auprès des employés et ont même appuyé l’idée de politiques de vaccination obligatoire.
Obligations prévues par la LSST
En vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail[7] (LSST), les conseils d’administration doivent s’assurer que les employeurs se conforment à leur devoir général de prendre « toute précaution raisonnable dans les circonstances » pour la protection d’une travailleuse ou d’un travailleur.[8] La LSST énonce expressément que ses dispositions « l’emportent » sur les dispositions d’autres lois générales ou spéciales de l’Ontario, et la directive sur la vaccination précise que les organisations sont tenues de se conformer à la LSST et à ses règlements.[9]
En outre, le règlement Établissements d’hébergement et de soins de santé de la LSST[10] énonce une obligation légale spécifique exigeant des employeurs qu’ils élaborent, établissent et mettent en œuvre des mesures et des procédures visant à protéger la santé et la sécurité des travailleurs, et prévoit précisément que les mesures et les procédures qu’un employeur met par écrit puissent traiter de l’immunisation et de la vaccination contre les maladies infectieuses.[11] Il y a une exigence permanente d’examiner et de réviser ces mesures et ces politiques,[12] qui réitère l’importance pour les organisations de soins de santé de demeurer vigilantes et de réagir rapidement aux changements de circonstances.
Dans le contexte décrit précédemment, la détermination de ce qui est « raisonnable dans les circonstances » n’est pas une décision statique, mais elle doit être évaluée en permanence en consultation avec les parties prenantes internes et externes de l’employeur en tenant compte de tous les renseignements pertinents à ce moment précis.
Obligations de la LHP applicables aux hôpitaux
Il y a d’autres considérations spécifiques applicables aux hôpitaux publics, dont celle en vertu du Règlement sur la gestion hospitalière[13] de la Loi sur les hôpitaux publics [14](LHP), selon laquelle le conseil d’administration de chaque hôpital public de l’Ontario doit veiller à ce que la direction élabore des plans pour faire face aux situations d’urgence qui pourraient faire augmenter la demande habituelle de services fournis par l’hôpital ou perturber la routine de travail à l’hôpital (p. ex. la COVID-19) et aux situations où des personnes ne fournissent pas les services qu’elles devraient normalement fournir à l’hôpital.[15]
Ainsi, les conseils d’administration et la direction d’un hôpital devront peser différentes questions liées à la capacité de l’hôpital de poursuivre ses activités, et les prendre en considération. Ces considérations peuvent consister à évaluer si le fait d’exiger que l’ensemble des membres du personnel soient vaccinés pour se trouver sur les lieux du travail (avec certaines exceptions limitées pour tenir compte des préoccupations relatives aux droits de la personne) pourrait avoir une incidence négative sur la fidélisation ou le moral par rapport à une éclosion causée ou exacerbée par des membres du personnel non vaccinés qui pourraient entraîner une pénurie du personnel nécessaire pour fournir les services de l’hôpital. Ces considérations varieront selon la taille de l’hôpital et de sa collectivité.
Obligation de prendre des précautions accrues : principe de la prudence
À la suite de la flambée épidémique de SRAS, le rapport final de la Commission sur le SRAS a établi que les hôpitaux sont censés s’acquitter d’une obligation de prendre des précautions accrues, conformément au [traduction] « principe de la prudence », ce qui signifie qu’il n’est pas nécessaire d’obtenir la preuve scientifique d’un risque particulier avant de prendre des mesures de précaution contre ce risque potentiel[16]. Le principe de la prudence demeure pertinent et applicable lorsqu’on examine le contenu de la politique de vaccination.
Les hôpitaux ont une obligation de diligence en vertu du droit privé
Comme nous l’avons vu dans notre précédent bulletin d’actualités Osler Enseignements tirés de l’épidémie de SRAS — Un guide pour les hôpitaux et les employeurs, les litiges ayant suivi la flambée épidémique de SRAS survenue en 2003 (collectivement, les litiges relatifs au SRAS)[17] ont démontré que ce sont les hôpitaux et les employeurs, et non le gouvernement, qui ont une obligation de diligence envers les patients et le personnel en vertu du droit privé. Dans le cadre des litiges relatifs au SRAS, la Cour a également souligné que les établissements de soins de santé et les professionnels qui y travaillent ont fait preuve de [traduction] « négligence sur le plan opérationnel ».
Dans le but de protéger les parties contre la responsabilité associée à la COVID-19 lorsqu’elles font des efforts de bonne foi pour se conformer aux directives de la santé publique, l’Ontario a adopté la Loi visant à soutenir la relance en Ontario.[18] Cependant, la protection contre la responsabilité prévue par la Loi visant à soutenir la relance en Ontario ne s’applique pas à « [toute] cause d’action qu’a un particulier à l’égard d’une exposition ou infection réelle ou éventuelle au coronavirus (COVID-19) qui serait survenue au cours ou par suite de l’emploi auprès d’une personne ou de l’exécution d’un travail pour une personne ou de la fourniture de services à une personne ».[19] Cette limitation est conforme aux principes de la LSST, selon lesquels l’établissement de la protection des travailleurs contre les préjudices est une obligation primordiale de l’employeur, du conseil d’administration et des dirigeants lors de l’élaboration de politiques de vaccination.
Ces considérations sont particulièrement pertinentes étant donné que les litiges relatifs au SRAS ont mis en évidence le fait que les hôpitaux et les établissements du secteur des soins de santé (et potentiellement leurs dirigeants, administrateurs superviseurs ou autres membres du personnel) peuvent être juridiquement responsables des manquements en matière de protection des patients et du personnel contre les préjudices, même s’ils se sont inspirés des directives et des documents d’orientation des gouvernements fédéral et provinciaux ainsi que des autorités municipales.[20]
À la lumière de ce qui précède, lorsqu’ils formulent une décision quant aux précisions, mesures et procédures spécifiques devant être incluses dans toute politique de vaccination, les organisations de soins de santé et les conseils d’administration doivent examiner attentivement leurs obligations légales, tout en tenant compte de leur obligation de diligence en vertu du droit privé. Les conseils d’administration doivent également exercer leur jugement afin d’approuver la politique de vaccination de l’organisation de manière éclairée et indépendante, après une enquête et une analyse raisonnables de la situation, et en s’appuyant sur des fondements raisonnables de croire que leurs actions sont dans l’intérêt supérieur de l’organisation.
[1] Les « organisations visées » comprennent les hôpitaux publics au sens de la Loi sur les hôpitaux publics, les fournisseurs de services en vertu de la Loi de 1994 sur les services à domicile et les services communautaires, en ce qui concerne leur prestation de services communautaires auxquels cette loi s’applique, des réseaux locaux d’intégration des services de santé au sens de la Loi de 2006 sur l’intégration du système de santé local, fonctionnant comme des services de soutien à domicile et en milieu communautaire pour ce qui est de la prestation de services communautaires et de services de soins à domicile et de placement dans les foyers de soins de longue durée, et des services d’ambulance au sens de la Loi sur les ambulances, pour ce qui est des ambulanciers paramédicaux.
[2] Médecin hygiéniste en chef, Directive no 6 sur la politique de vaccination contre la COVID-19 dans les milieux de soins de santé (17 août 2021), ministère de la Santé de l’Ontario, accessible ici [Directive]; salle de presse – Ontario, « L’Ontario rend obligatoires les politiques de vaccination contre la COVID-19 dans les milieux à risque élevé » (17 août 2021), gouvernement de l’Ontario, accessible ici.
[3] La séance de formation approuvée mentionnée précédemment doit, au minimum, traiter des points suivants : le fonctionnement des vaccins contre la COVID-19; la sécurité liée à la fabrication des vaccins contre la COVID-19; les avantages de la vaccination contre la COVID-19; les risques de ne pas être vacciné contre la COVID-19 et les effets secondaires possibles de la vaccination contre la COVID-19.
[4] Le document d’orientation de la province de l’Ontario sur les programmes de dépistage des antigènes énonce ce qui suit : « Les tests antigéniques rapides étant moins sensibles et moins spécifiques que les tests par RCP en laboratoire, les résultats ne sont pas aussi précis… Les résultats doivent donc être interprétés avec prudence et il convient de rappeler aux employés que le résultat du test peut être inexact. » Les résultats positifs de tests antigéniques doivent être interprétés comme un résultat positif préliminaire qui doit être confirmé par un test par PCR en laboratoire le plus tôt possible.
[5] Ministre des Soins de longue durée, « Directive ministérielle : politique d’immunisation contre la COVID-19 dans les foyers de soins de longue durée » (1er juillet 2021), gouvernement de l’Ontario, disponible à l’adresse : https://www.ontario.ca/fr/page/directive-ministerielle-politique-dimmunisation-contre-la-covid-19-dans-les-foyers-de-soins-de
[6] Association des infirmières et infirmiers autorisés de l’Ontario, « Open Letter to Ontario’s Premier Hon. Doug Ford » (20 juillet 2021), accessible à l’adresse suivante : https://rnao.ca/sites/default/files/2021-07/RNAO%27s_Open_Letter_to_Premier_Hon._Doug_Ford_re_Mandatory_Vaccination_for_HCW_July_20%2C_2021.pdf [PDF]; McKenzie-Sutter, Holly, « Ontario health worker groups want mandatory COVID shots for health-care workers » (16 juillet 2021), accessible à l’adresse suivante : https://www.thestar.com/news/gta/2021/07/16/ontario-health-worker-groups-want-mandatory-covid-shots-for-health-care-workers.html; « SIUE Healthcare Supports Mandatory Vaccinations » (19 août 2021), accessible à l’adresse suivante : https://www.newswire.ca/news-releases/seiu-healthcare-supports-mandatory-vaccinations-818331687.html.
[7] L.R.O. 1990, chap. O.1 [LSST].
[8] LSST, article 25, paragraphe (2) alinéa h).
[9] LSST, article 2, paragraphe (2); Directive.
[10] Règl. de l’Ont. 67/93 : Établissements d’hébergement et de soins de santé. [règl. de la LSST]
[11] Règl. de la LSST, art 9, paragraphe (1), alinéa 5).
[12] Règl. de la LSST, art 9, paragraphe (4).
[13] R.R.O 1990, Règl. 965 : Gestion hospitalière. [Règl. Gestion hospitalière]
[14] L.R.O. 1990, c P 40 [LHP]
[15] Règl. Gestion hospitalière, article 2, paragraphe (3), alinéa e).
[16] 2003-2007, Commission chargée d’enquêter sur l’introduction et la propagation du SRAS en Ontario, « The SARS Commission, Final Report » (décembre 2006), disponible à l’adresse : http://www.archives.gov.on.ca/en/e_records/sars/report/index.html. [Rapport de la Commission sur le SRAS] Comme l’a déclaré l’honorable juge Archie Campbell dans le rapport de la Commission sur le SRAS : [traduction] « ce n’est pas une question de science, mais de sécurité… Nous devrions être guidés par le principe de la prudence selon lequel l’attente d’une certitude scientifique ne devrait pas empêcher la mise en place de mesures raisonnables visant à réduire le risque. »
[17] Williams c. Canada (Procureur général), 2005 CarswellOnt 3785 (CS ON) [Williams no 1]; Succession de Jamal c. Scarborough Hospital – Grace Division, [2005] OJ No 3506 (CS ON); Succession de Henry (fiduciaire de) c. Scarborough Hospital, 2005 CarswellOnt 3758 (CS ON); Abarquez c. Ontario, 2005 CarswellOnt 3782 (CS ON); Laroza c. Ontario, 2005 CarswellOnt 3784 (CS ON).
[18] Loi visant à soutenir la relance en Ontario, 2020, L.O. 2020, chap. 26, annexe 1.
[19] Loi visant à soutenir la relance en Ontario, article 4(2) paragraphe 3.
[20] Ministère de la Santé, « COVID-19 : Document d’orientation sur la priorisation des travailleurs de la santé en matière de vaccination contre la COVID-19 » (17 mars 2021), gouvernement de l’Ontario, disponible à l’adresse : https://www.health.gov.on.ca/fr/pro/programs/publichealth/coronavirus/docs/Guidance_for_Prioritizing_HCW_covid19_vaccination_2020-01-08-fr.pdf [PDF]. [Document d’orientation sur la vaccination des TS contre la COVID-19]