Auteurs(trice)
Associé directeur national, Toronto
Associé, Droit des sociétés, Toronto
Dans une décision très attendue qui suit l’entrée en vigueur d’un nouveau régime canadien d’offres publiques d’achat plus tôt cette année, les organismes canadiens de réglementation des valeurs mobilières ont refusé de prononcer une interdiction d’opérations sur valeurs (IOV) à l’encontre d’un placement privé d’actions par une société cible mis en œuvre à la suite de l’annonce d’une offre publique d’achat non sollicitée. Comme le sujet des tactiques de défense n’avait pas encore été abordé dans le nouveau régime d’offres publiques d’achat, cette décision (et, plus important encore, les motifs détaillés qui suivront) revêt un très grand intérêt pour les participants au marché qui lorgnent le paysage canadien des offres publiques d’achat.
Dans ce qui est la première opération contestée aux termes du nouveau régime d’offres publiques d’achat, Hecla Mining Company a annoncé, le 27 juin 2016, son intention d’acquérir la totalité des actions de Dolly Varden Silver Corporation, qu’elle ne détenait pas et a par la suite lancé officiellement une offre publique d’achat le 8 juillet 2016. L’offre était de 0,69 $ CA par action, ce qui représentait une prime de 55 % par rapport au cours de clôture des actions ordinaires de Dolly Varden juste avant l’annonce du 27 juin. Hecla détenait à ce moment-là environ 15,7 % des actions ordinaires entièrement diluées de Dolly Varden.
Le 5 juillet 2016, Dolly Varden a annoncé son intention de réaliser un placement privé dans le but de mobiliser un produit brut allant jusqu’à 6 millions de dollars par la vente d’actions ordinaires à 0,62 $ l’action et d’actions ordinaires « accréditives » à 0,70 $ CA l’action, dont la date de clôture était prévue pour le 15 juillet 2016, ce qui représentait une dilution potentielle allant jusqu’à 43 % du capital-actions entièrement dilué existant de Dolly Varden (sans compter une option en cas d’attribution excédentaire qui faisait partie du placement privé proposé et qui pourrait entraîner une dilution supplémentaire). Le placement privé proposé n’exigeait pas l’approbation des actionnaires selon les règles applicables du TSX-V. Hecla a par la suite déposé des demandes d’IOV auprès de la British Columbia Securities Commission (BCSC) et de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) à l’égard des actions devant être émises dans le cadre du placement privé proposé ou, comme solution de rechange, à l’égard du placement privé lui-même, tant et aussi longtemps que Dolly Varden ne l’aurait pas fait approuver par ses actionnaires lors d’une assemblée des actionnaires dûment convoquée.
Fait rare, des audiences simultanées ont eu lieu à la BCSC et à la CVMO les 20 et 21 juillet 2016. Les deux commissions ont rendu des ordonnances distinctes le 25 juillet, rejetant la demande d’IOV à l’encontre du placement privé proposé déposée par Hecla. L’ordonnance de la CVMO a également 1) interdit les opérations sur valeurs dans le cadre de l’offre publique d’achat de Hecla visant Dolly Varden jusqu’à l’obtention et l’inclusion d’une évaluation officielle conformément au paragraphe 2.3 du Règlement 61-101, mesure correctrice qu’avait demandée Dolly Varden dans le cadre sa procédure; et 2) ordonné à Hecla de prolonger son offre, à moins qu’elle ne soit résiliée plus tôt, de x) 35 jours suivant la modification de son offre pour y inclure une évaluation officielle des actions ordinaires de Dolly Varden, ou y) jusqu’à la date d’échéance initiale de son offre, selon la plus tardive de ces dates.
L’intérêt principal de cette opération somme toute petite (la valeur initiale de l’offre de Hecla était de 12 millions de dollars canadiens) est qu’elle a semblé poser carrément la question de savoir si les placements privés pouvaient jouer un rôle tactique accru comme moyen de défense dans le cadre du nouveau régime canadien d’offres publiques d’achat, étant donné que les régimes de droits des actionnaires sont appelés à ne plus jouer un rôle tactique comme dans le passé.
Les motifs de la décision, qui suivront à une date ultérieure, intéresseront grandement les participants au marché canadien, car le sujet des tactiques de défense n’avait pas encore été abordé dans le nouveau régime d’offres publiques d’achat. Pour l’instant, nous pouvons ajouter cette décision à d’autres qui ont été rendues par des organismes canadiens de réglementation des valeurs mobilières, comme la décision Red Eagle de la BCSC en 2015 et la décision Re ARC Equity Management de l’Alberta Securities Commission, rendu en 2009, à titre d’exemples de placements privés contestés qui ont été autorisés dans le contexte d’opérations de fusion et d’acquisition. Les décisions dans ce domaine tendent à dépendre fortement des faits propres à chaque cause, et l’on trouve d’autres exemples (notamment la décision Fibrek au Québec et la décision Re Inmet Mining Corporation de la BCSC en 2012) où des placements privés ont été frappés d’une IOV par des organismes de réglementation. La présentation d’éléments probants convaincants sur le besoin de financement légitime à court terme de la société cible semble avoir été un dénominateur commun important dans les décisions qui ont autorisé des placements privés; autrement dit, les commissions des valeurs mobilières paraissent plus réticentes à prononcer une IOV lorsque le financement semble poursuivre un objectif commercial légitime, même lorsque la nature tactique du placement privé est également évidente.
Un autre bulletin Actualités d’Osler suivra au moment de la publication des motifs de la décision Re Dolly Varden par les deux organismes de réglementation des valeurs mobilières.