Les éternels litiges de la Colombie-Britannique : d’abord le tabac, puis les opioïdes, et maintenant les « produits chimiques éternels »

27 Juin 2024 7 MIN DE LECTURE

Le 21 juin 2024, le gouvernement de la Colombie-Britannique a déposé devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique une action collective nationale envisagée contre les fabricants de substances perfluoroalkyliques et polyfluoroalkyliques (SPFA), communément appelées « produits chimiques éternels ».

Fidèle à sa tendance à lancer des poursuites à l’échelle des secteurs d’activité (le gouvernement de la Colombie-Britannique a poursuivi les grandes sociétés de tabac il y a 20 ans, puis les fabricants et distributeurs d’opioïdes il y a six ans au nom de toutes les administrations publiques du Canada[1]), la province a maintenant ciblé le secteur des SPFA et cherche à représenter un groupe comprenant non seulement les provinces et les territoires, mais aussi un nombre indéterminé de municipalités, de régions et d’autres entités partout au pays.

La poursuite constitue la première instance du genre qu’une administration publique canadienne introduit en vue de recouvrer les coûts associés à la détection et à l’enlèvement de produits chimiques éternels dans les réseaux de distribution d’eau potable. Elle fait suite à une action en justice similaire intentée aux États-Unis qui visait un grand nombre des mêmes défendeurs que ceux cités dans l’action en justice de la Colombie-Britannique (et d’autres) relativement à la contamination alléguée par les SPFA aux États-Unis.

L’action collective envisagée en Colombie-Britannique désigne 3M, DuPont, Tyco et BASF en tant que fabricants, commerçants, distributeurs et vendeurs de produits contenant des produits chimiques éternels. Ces produits comprennent les mousses à formation de pellicule aqueuse (mousses AFFF), qui sont utilisées pour combattre les incendies.

Historique des SPFA

Comme nous l’expliquions en détail dans notre bulletin intitulé Réglementation des « produits chimiques éternels » (SPFA) au Canada, les SPFA sont constitués de plus de 4 700 produits chimiques synthétiques d’origine anthropique et possèdent de nombreuses propriétés bénéfiques (notamment une résistance thermique élevée). Ces caractéristiques font que les SPFA sont largement utilisées dans les produits de consommation et dans les applications industrielles. Les produits contenant des SPFA comprennent les ustensiles de cuisine antiadhésifs, les cosmétiques, les textiles, les produits de soins personnels, les peintures, les scellants, les vernis et les mousses AFFF.

Bien qu’elles présentent des caractéristiques souhaitables, les substances SPFA sont également considéréeses comme des substances bioaccumulables et persistantes dans l’environnement, ce qui signifie qu’elles ne se dégradent pas facilement dans des conditions normales (et pour cette raison, elles ont été étiquetées de « produits chimiques éternels »). Des substances SPFA ont été détectées dans la faune et les milieux environnementaux et chez l’homme.

Litiges antérieurs aux États-Unis

Comme cela se produit souvent avant que des actions analogues ne soient intentées au Canada, d’importantes actions en justice portant sur la contamination des réseaux de distribution d’eau potable par des SPFA l’ont été aux États-Unis. En 2018, des services d’eau américains ont intenté contre 3M une action collective au motif que les mousses extinctrices de 3M contenant des SPFA avaient contaminé l’eau potable. En juin 2023, juste avant le début du procès, 3M et les services d’eau sont arrivés à un règlement de 12,5 milliards de dollars à verser sur 13 ans. Quelques semaines plus tôt, dans le cadre d’une autre action, Chemours, DuPont et Corteva et des services d’eau américains ont réglé pour 1,185 milliards de dollars.

Allégations du gouvernement de la Colombie-Britannique

Dans son avis de poursuite civile, le gouvernement de la Colombie-Britannique allègue que les défendeurs ont fabriqué, commercialisé, distribué et vendu des produits contenant des SPFA « pendant des dizaines d’années » (for decades). Le gouvernement poursuit en affirmant : [traduction libre] « Au moment où les défendeurs tiraient profit de la fourniture de ces [produits], ils savaient que, lorsque ces [produits] étaient utilisés conformément aux instructions, des SPFA toxiques seraient libérés, contamineraient l’environnement pendant des siècles et poseraient de graves dangers pour la santé humaine. »

Au cœur de l’affaire est la théorie selon laquelle les défendeurs n’ont pas averti le public des dommages que pourraient causer ces produits ni pris aucune mesure pour modifier ou retirer leurs produits afin d’éviter ces dommages. Comme l’a déclaré la procureure générale de la Colombie-Britannique, Niki Sharma : [traduction libre] « La Colombie-Britannique poursuit les défendeurs cités dans la poursuite pour avoir fait preuve de négligence dans la conception de produits défectueux, pour avoir négligé d’avertir le public des risques associés à leurs produits, pour avoir enfreint la Loi sur la concurrence et pour avoir participé à un complot civil[2]. » En outre, le gouvernement de la Colombie-Britannique a allégué que la contamination par les SPFA – causée par les défendeurs – constituait une nuisance publique et privée.

Les allégations portent notamment sur le fait que les défendeurs [traduction libre] « ont dissimulé et contredit de manière affirmative les dangers connus dans des déclarations publiques et des campagnes de marketing destinées à les enrichir aux dépens du public ». L’avis de poursuite civile allègue également que les défendeurs ont conspiré entre eux ou ont agi selon un plan commun pour promouvoir des produits contenant des SPFA.

Le gouvernement de la Colombie-Britannique plaide qu’il cherche à récupérer les coûts nécessaires pour [traduction libre] a) « examiner de fond en comble, assainir, traiter, évaluer et remettre en état les terres, les eaux, les sédiments et les autres ressources naturelles des membres du groupe et b) surveiller et traiter la contamination par les SPFA de l’eau potable, des eaux usées, des rejets d’eaux pluviales et des biosolides ». Il demande des dommages matériels, des dommages économiques, des dommages-intérêts punitifs et la restitution des profits des défendeurs.

Il importe de noter que la poursuite a été intentée au nom (i) de tous les gouvernements provinciaux et territoriaux du Canada qui ont encouru des coûts liés à la contamination des ressources en eau par les SPFA et (ii) de l’ensemble des municipalités, districts régionaux et autres autorités de gouvernance et autres personnes au Canada qui étaient responsables d’un réseau de distribution d’eau potable. Elle cherche à recouvrer les coûts encourus par les membres putatifs du groupe depuis le 18 février 1970 jusqu’à ce que la poursuite soit résolue.

Conclusion

Cette action collective introduite par la Colombie-Britannique à l’égard des SPFA constitue le troisième épisode de sa saga visant à récupérer des milliards de dollars auprès des entreprises. Le gouvernement a poursuivi les grandes sociétés de tabac en 1998, les fabricants et les distributeurs d’opioïdes en 2018[3] et a maintenant dirigé son attention sur le secteur des SPFA. Bien que la Colombie-Britannique ait récemment suspendu un projet de loi qui lui aurait permis de poursuivre de nombreux autres secteurs, il reste à voir si sa stratégie en matière de litiges est une stratégie qui pourrait bien durer éternellement.


[1]      Le gouvernement de la Colombie-Britannique a également tenté d’adopter une loi (mais l’a mise en suspens) qui lui aurait permis de poursuivre des entreprises dans une variété d’autres secteurs d’activité pour des « torts liés à la santé » (health related wrongs), tels que les médias sociaux, les jeux d’argent, les jeux de hasard, les produits de santé et de beauté, les produits pour la maison, les aliments et les boissons, et les produits de conditionnement physique.

[2]      https://news.gov.bc.ca/releases/2024AG0033-000978

[3]      Osler a représenté certains défendeurs dans le cadre du litige sur le tabac et représente actuellement certains défendeurs dans le cadre du litige sur les opioïdes.