Les dispenses pour occasions d’affaires font leur chemin au Canada : incidences pour les investisseurs en capital-investissement et en capital-risque

8 Fév 2023 8 MIN DE LECTURE
Auteurs(trice)
Brian Gray

Associé, Droit des sociétés, Toronto

Craig Spurn

Associé, Droit des sociétés, Calgary

Kelsey Armstrong

Associée, Droit des sociétés, Calgary

Mike Proudfoot

Associé, droit des sociétés, Calgary

Les modifications apportées à la loi de l’Alberta intitulée Business Corporations Act (BCAA) qui sont entrées en vigueur le 31 mai 2022 (les modifications de la BCAA) permettent désormais aux sociétés de l’Alberta d’inclure une dispense pour occasion d’affaires dans leurs statuts ou leur convention unanime des actionnaires, de sorte que l’Alberta est devenue le premier territoire du Canada à autoriser de telles dispenses. L’introduction d’une dispense pour occasion d’affaires devrait, entre autres, réduire au minimum le risque de litige et améliorer la rapidité des transactions pour les investisseurs en capital-investissement et en capital-risque qui sont actifs en Alberta.

Nous avons présenté un résumé des modifications de la BCAA dans le bulletin d’actualités Osler intitulé « Efforts pour attirer les entreprises : l’Alberta modifie sa Business Corporations Act », paru le 16 juin 2022. Dans le présent bulletin, nous nous penchons sur la dispense pour occasion d’affaires en mettant l’accent sur la façon dont une telle dispense pourrait se répercuter sur les investisseurs en capital-investissement et en capital-risque en Alberta, ainsi que sur la façon dont les fonds de capital-investissement et de capital-risque peuvent envisager les dispenses pour occasions d’affaires dans d’autres territoires du Canada.

La doctrine de l’occasion d’affaires est une manifestation de l’obligation de loyauté, qui est depuis longtemps reconnue par la common law et inscrite dans la plupart des lois sur les sociétés au Canada. Selon la doctrine de l’occasion d’affaires, il est interdit aux administrateurs et aux dirigeants de profiter personnellement des occasions qui appartiennent à la société ou de les usurper au profit d’une autre personne ou société. La façon la plus claire pour un administrateur ou un dirigeant d’éviter d’être tenu responsable de l’appropriation d’une occasion d’affaires est de donner à la société les premiers droits sur l’occasion en question et de permettre à la société de renoncer officiellement à cette occasion. En effet, la doctrine de l’occasion d’affaires procure à la société un droit implicite de premier refus à l’égard de toute occasion provenant de ses fiduciaires ou attribuée à ceux-ci.

Cela peut particulièrement causer un problème pour les représentants d’investisseurs en capital-investissement ou en capital-risque qui siègent au conseil des sociétés de portefeuille de ces investisseurs. Le gestionnaire d’un fonds de capital-investissement ou un investisseur en capital-risque qui obtient des droits de sélection de candidats aux postes d’administrateur en échange d’un investissement dans une société de portefeuille donnée peut être actif dans le même secteur ou même marché vertical que cette société. Il est donc de plus en plus probable que les représentants de son conseil d’administration soient pressentis relativement à des occasions d’investissement supplémentaires, ou que les occasions du fonds soient imputées à ses représentants en raison de leur relation d’emploi et de leur fonction auprès du fonds lui-même. Dans un tel scénario, pour s’acquitter de son devoir de loyauté, le représentant du conseil du fonds devrait d’abord soumettre pour examen chaque occasion au conseil d’administration de cette société de portefeuille et, le cas échéant, pour que le conseil renonce formellement à chacune de ces occasions avant que le fonds puisse les saisir sans que le représentant du conseil du fonds prenne un risque personnel. Non seulement cela retarde le moment où le fonds peut se saisir de cette occasion, ou l’empêche complètement de la saisir, mais cela pose également un risque particulier pour le représentant du conseil, qui doit choisir entre poursuivre l’occasion en question ou risquer de violer son devoir fiduciaire envers la société de portefeuille. La rapidité d’exécution, l’une des nombreuses caractéristiques qui font l’attrait du capital-investissement ou du capital-risque, ne se prête pas à un examen constant de la part des conseils d’administration des sociétés.

L’État du Delaware, dans sa loi intitulée Delaware General Corporation Law (DGCL), a répondu à cette préoccupation en accordant expressément aux sociétés du Delaware le pouvoir d’inclure une dispense pour occasion d’affaires dans leur certificat de constitution ou d’accorder une telle dispense par voie de résolution du conseil d’administration. Dès lors, il est devenu courant pour les fonds de capital-investissement ou de capital-risque des États-Unis d’inclure une telle dispense dans les documents constitutifs d’une société de portefeuille (ou d’un courtier-fournisseur), souvent comme condition de leur investissement, y compris dans les documents constitutifs de sociétés canadiennes, en Alberta et ailleurs, même avant les modifications de la BCAA.

Aux termes d’une dispense pour occasion d’affaires, une société renonce expressément à tout droit ou à toute attente à l’égard de la possibilité de participer à une occasion d’affaires qui est présentée à ses dirigeants, administrateurs ou actionnaires. De manière générale, dans le contexte du capital-investissement et du capital-risque, une dispense pour occasion d’affaires reconnaît qu’un fonds (y compris les membres de son groupe et ses représentants) participe à une entreprise ou à un secteur particulier et que rien n’empêche un tel investisseur de faire des investissements ou de nommer des représentants au conseil d’administration d’autres sociétés du secteur. Surtout, elle prévoit également que la société et ses actionnaires renoncent complètement et inconditionnellement à toute réclamation que la société pourrait avoir à l’égard de certaines occasions d’affaires du fonds (y compris les membres de son groupe et ses représentants).

Les modifications de la BCAA ressemblent beaucoup aux dispositions correspondantes de la DGCL, car toutes deux exigent que la dispense pour occasion d’affaires s’applique à une occasion d’affaires précise ou à des catégories précises d’occasions d’affaires. Bien qu’il reste à voir comment et dans quelle mesure les sociétés de l’Alberta testeront les limites de la dispense pour occasion d’affaires, nous pensons que les tribunaux de l’Alberta suivront probablement la jurisprudence du Delaware pour interpréter la portée admissible de la dispense d’une société. Par exemple, selon la jurisprudence du Delaware, les dispenses de nature générale pourraient remettre en question la validité de la dispense pour occasion d’affaires d’une société. Les modifications de la BCAA suggèrent que les règlements susceptibles d’être pris en vertu de la BCAA à l’avenir pourraient restreindre le recours aux dispenses pour occasions d’affaires, mais aucun tel règlement n’a été promulgué à ce jour.

Nous nous attendons clairement à ce que la loi de l’Alberta évolue à mesure qu’augmentera le nombre de sociétés qui incluent pareille dispense dans leurs documents constitutifs. De plus, comme il est de plus en plus courant de voir des dispenses pour occasions d’affaires et, dans certains cas, des renonciations aux obligations fiduciaires envers des actionnaires autres que le fonds et les membres de son groupe, nous nous attendons à ce que d’autres provinces canadiennes commencent à envisager à autoriser les dispenses pour occasions d’affaires dans leurs lois sur les sociétés. Les sociétés de l’extérieur de l’Alberta à qui l’on demande d’envisager d’inclure une dispense pour occasion d’affaires dans leurs documents constitutifs, de même que leurs actionnaires, doivent garder à l’esprit que, même si une telle dispense n’est pas autorisée par la loi, son inclusion dans les documents constitutifs constitue presque certainement une preuve de la dynamique et de la relation entre les actionnaires, et peut fournir des éléments d’information à un tribunal saisi d’un éventuel conflit entre actionnaires (c.-à-d. comment les actionnaires percevaient leur relation commerciale au moment de la rédaction des documents constitutifs).

La dispense pour occasion d’affaires offre une certitude accrue aux administrateurs et aux dirigeants qui représentent des fonds d’investissement que leurs actions ne violeront pas les obligations qu’ils auraient autrement envers la société en vertu de la common law; elle sert également à augmenter la vitesse d’exécution et à réduire le risque de litige pour les représentants du conseil et de la direction nommés par les fonds. Ainsi, l’Alberta devrait devenir un territoire plus avantageux pour les investisseurs en capital-investissement et en capital-risque. Il reste à voir si d’autres lois canadiennes sur les sociétés suivront l’exemple, mais même dans les territoires où elles ne sont pas encore autorisées par la loi, les dispenses pour occasions d’affaires peuvent toujours servir à encadrer la relation entre actionnaires.