Le registraire des marques de commerce engagera des procédures de radiation à l’encontre d’enregistrements choisis au hasard

2 Jan 2025 11 MIN DE LECTURE

L’un des principes au cœur du droit des marques de commerce est le principe de l’emploi sous peine de radiation. Ainsi, le propriétaire d’un enregistrement qui a cessé d’employer la marque de commerce inscrite au registre depuis trois ans ou plus s’expose à la procédure de radiation prévue à l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C., 1985, ch. T-13 (la Loi).

En janvier 2025, la Commission des oppositions des marques de commerce (la COMC) lancera un projet pilote dans le cadre duquel, de sa propre initiative, le registraire des marques de commerce (le registraire) engagera des procédures de radiation à l’encontre d’enregistrements choisis au hasard, dans le but de favoriser la concurrence loyale et de préserver l’intégrité du système des marques de commerce du Canada[1].

Dans le passé, la procédure prévue à l’article 45 était engagée par d’éventuels inscrivants cherchant à faire radier l’enregistrement d’une marque de commerce qu’eux-mêmes souhaitaient employer ou qui, après examen, était considérée comme un obstacle à leur demande d’enregistrement. Toutefois, le registraire a le droit d’engager cette procédure de sa propre initiative et le projet pilote fera usage de ce droit à partir du début de 2025. Le registraire visera 100 enregistrements en janvier 2025 et 50 enregistrements en février et en mars.

À la lumière de ce projet pilote, les propriétaires de marques de commerce devraient revoir leurs portefeuilles de marques de commerce et, pour faire face à ce risque accru de radiation, envisager de prendre certaines mesures, comme employer plus tôt que prévu les marques de commerce récemment inscrites au registre et redynamiser celles qui sont tombées en désuétude mais qui restent néanmoins essentielles à l’image de marque.

Dans le présent bulletin, nous examinons la structure proposée pour le projet pilote, y compris les protocoles procéduraux qui ont été fournis dans le projet d’énoncé de pratique de la COMC[2]. De nombreux éléments du projet d’énoncé reflètent les pratiques actuellement en vigueur pour la procédure prévue à l’article 45, mais il y a quelques aspects uniques et nouveaux pour les procédures engagées à l’initiative du registraire. Il s’agit notamment d’une phase d’examen préliminaire devant être menée par le registraire avant la présentation des observations écrites et de l’introduction de méthodes adaptées pour l’obtention des abandons. Il est important de noter que l’énoncé de pratique décrit également les catégories de marques de commerce qui constitueront le bassin de marques susceptibles d’être choisies pour le nouveau projet pilote.  

Quelle est la procédure prévue à l’article 45?

L’article 45 de la Loi prévoit un moyen rapide de retirer du registre des marques de commerce les marques qui ne sont plus employées en association avec les produits et services énumérés dans l’enregistrement, ce que l’on appelle souvent le « bois mort ». Cette procédure, qui est sommaire par nature, vise à établir un équilibre entre le droit des inscrivants de continuer à jouir de leurs droits exclusifs et l’interdiction de monopoliser des marques qui ne sont pas employées.

Sur demande écrite présentée par une personne qui verse les droits prescrits (ci-après, la « partie requérante »), le registraire donne l’avis prévu à l’article 45 au propriétaire d’une marque de commerce inscrite au registre depuis trois ans ou plus. Une fois que l’avis lui a été signifié, le propriétaire de la marque de commerce déposée doit, dans les trois mois, fournir une preuve indiquant si la marque de commerce a été employée au Canada au cours des trois ans précédant la date de l’avis ou les circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi.

Si le propriétaire inscrit ne s’acquitte pas du fardeau de présentation, le registraire peut radier l’ensemble de l’enregistrement ou ordonner la radiation des produits et services pour lesquels l’emploi n’a pas été démontré[3].

Le projet pilote annoncé

Dans le cadre du projet pilote annoncé, le registraire commencera, de sa propre initiative, à envoyer des avis au titre de l’article 45 à l’encontre de certains enregistrements de marques de commerce.

Le projet pilote a principalement pour but de donner à la COMC un aperçu du nombre de marques de commerce déposées qui sont réellement employées afin de faire en sorte que le registre soit exact. Il s’agit d’une priorité pour la COMC, car un registre exact encourage l’utilisation efficace des ressources, favorise la concurrence loyale et préserve l’intégrité du système.

Le projet pilote sera réalisé en deux phases.

Au cours de la phase 1, le registraire enverra chaque mois des lots d’avis visés à l’article 45 à l’encontre d’enregistrements choisis au hasard[4], dans les proportions suivantes :

  1. janvier 2025 : 100 avis
  2. février 2025 : 50 avis
  3. mars 2025 : 50 avis

Les données relatives à la phase 1 seront publiées tous les mois. Ces données comprendront l’issue des procédures engagées par le registraire, le pourcentage d’enregistrements radiés en raison d’un défaut de réponse à un avis, le nombre de procédures abandonnées et le nombre d’enregistrements maintenus[5]. Ces données seront comparées à celles recueillies pour les procédures engagées par des tiers au cours de la même période.

Au cours de la phase 2, la COMC organisera des consultations pour recueillir des avis sur le projet pilote, notamment sur la nécessité ou non de le poursuivre.

Il sera important pour les propriétaires de marques de commerce de suivre l’évolution du projet afin de savoir si leurs enregistrements relèvent d’une catégorie que le registraire a l’intention de cibler à l’avenir. Ils pourraient également avoir l’occasion de participer à des consultations et de faire part de leurs préoccupations concernant le projet.

Étapes d’une procédure de radiation engagée par le registraire

Les étapes d’une procédure engagée par le registraire sont similaires à celles d’une procédure « normale » prévue à l’article 45. Toutefois, il existe certaines différences que les propriétaires inscrits doivent connaître. Elles se rapportent notamment au choix des enregistrements, à la procédure d’examen préliminaire du registraire et à l’incapacité du registraire de produire des observations écrites ou de participer à une audience en qualité de tiers.

Vous trouverez ci-dessous une vue d’ensemble des étapes d’une procédure prévue à l’article 45 engagée par le registraire. La COMC a publié un projet d’énoncé de pratique décrivant en détail les aspects procéduraux du projet[6].

Choix des enregistrements

Le projet d’énoncé indique que les enregistrements retenus pour la réalisation du projet pilote seront choisis au hasard dans les catégories suivantes[7] :

  1. les enregistrements basés sur l’emploi au Canada;
  2. les enregistrements basés sur l’emploi projeté au Canada pour lequel une déclaration d’emploi a été produite;
  3. les enregistrements basés sur l’emploi et l’enregistrement à l’étranger;
  4. les enregistrements qui incluent plusieurs bases (de production);
  5. les autres enregistrements enregistrés depuis plus de trois ans.

Le registraire peut refuser d’envoyer l’avis prévu à l’article 45 à l’encontre d’un enregistrement choisi au hasard si, selon lui, il existe des raisons valables de ne pas l’envoyer[8], par exemple si[9] :

  • l’enregistrement de la marque de commerce est déjà l’objet d’une procédure prévue à l’article 45 ou en appel;
  • la date courante se situe dans les trois années suivant la date d’envoi d’un avis prévu à l’article 45 antérieur, dans les cas où la procédure a donné lieu à une décision finale à l’égard de la marque de commerce;
  • le registraire estime que d’envoyer un avis en vertu de l’article 45 serait frivole.

Preuve

Une fois que le registraire a décidé d’inclure une certaine marque de commerce dans le projet, il envoie un avis à l’adresse du propriétaire inscrit au dossier, avec une copie à l’agent de marques de commerce au Canada inscrit au dossier[10]. Il est essentiel que les propriétaires inscrits prennent le temps de vérifier leurs adresses au dossier et d’informer le registraire de tout changement[11].

Le propriétaire inscrit doit fournir la preuve d’emploi dans les trois mois après la date où l’avis a été donné[12]. Le Guide pour la préparation d’un affidavit ou d’une déclaration solennelle dans la procédure prévue à l’article 45 et le Modèle d’affidavit pour la procédure prévue à l’article 45 de la COMC peuvent être utiles aux propriétaires inscrits qui doivent répondre à un avis.

Comme dans d’autres procédures de radiation, le jalon pour prolongations de délai est de deux mois en ce qui concerne la preuve du propriétaire inscrit[13].

Examen du registraire

Le registraire se forge un avis préliminaire sur l’emploi après avoir reçu la preuve du propriétaire[14]. S’il est convaincu que l’emploi a été démontré, il demandera le consentement du propriétaire pour mettre fin à la procédure[15]. Toutefois, si l’emploi n’a été démontré que pour une partie des produits et services, le propriétaire aura le choix entre soumettre une demande de suppression des descriptions superflues et consentir à l’abandon de la procédure, ou poursuivre la procédure[16]. Les propriétaires qui invoquent des circonstances particulières pour justifier le défaut d’emploi ne peuvent pas demander l’abandon de la procédure[17].

Observations écrites

Si la procédure n’est pas abandonnée, le propriétaire inscrit peut présenter des observations écrites dans les deux mois suivant la date où l’avis a été donné[18]. L’article 45 n’exige pas que les propriétaires soumettent des observations écrites, mais le projet d’énoncé de pratique les encourage à le faire dans les cas où le nombre de produits et de services est grand ou la preuve est volumineuse[19]. Le registraire ne produira pas d’observations écrites.

Audiences

Dans le cadre d’une procédure prévue à l’article 45, le propriétaire qui désire se faire entendre lors d’une audience doit produire une demande en ce sens dans un délai d’un mois après la date à laquelle il a présenté ses observations écrites (ou une déclaration énonçant son désir de ne pas en présenter)[20]. Le propriétaire peut s’attendre à être avisé des détails entourant son audience environ 90 jours avant sa tenue[21]. Une fois qu’il a pris sa décision finale, le registraire en envoie une copie au propriétaire et agit en conformité avec sa décision si aucun appel n’est interjeté [22].

Appels

Comme pour les autres procédures engagées au titre de l’article 45, appel de la décision du registraire de maintenir, de modifier ou de radier l’enregistrement peut être interjeté devant la Cour fédérale[23].

Conclusion

Les propriétaires de marques de commerce déposées doivent se préparer à l’éventualité que leurs marques soient choisies pour faire partie du projet pilote sur la procédure prévue à l’article 45 engagée par le registraire que la COMC lancera en janvier 2025. Ce projet entraînera des conséquences financières pour les propriétaires, car ceux-ci pourraient devoir engager des frais pour se défendre dans le cadre d’une procédure – désormais engagée à l’initiative du registraire (et non plus de tiers) – ou risquer de perdre un bien de propriété intellectuelle de grande valeur.

Bien que la portée initiale du projet soit limitée, elle pourrait être étendue si la COMC estime que le projet permet d’améliorer l’efficacité des poursuites en matière de marques de commerce au Canada. Les propriétaires de marques de commerce déposées et leurs conseillers devraient donc suivre de près l’évolution du projet pilote. Pour plus de précisions sur la meilleure façon de se préparer à ces changements et de gérer toute procédure engagée au titre de l’article 45, veuillez communiquer avec un membre du groupe du droit de la propriété intellectuelle d’Osler.


[1]      Commission des oppositions des marques de commerce, « Projet pilote sur la procédure de radiation prévue à l’article 45 engagée par le registraire » (16 décembre 2024) [Annonce relative au projet pilote].

[2]      Commission des oppositions des marques de commerce, « Énoncé de pratique concernant le projet pilote sur la procédure de radiation prévue à l’article 45 engagée par le registraire » (12 décembre 2024) [Projet d’énoncé].

[3]      Loi sur les marques de commerce, L.R.C., 1985, ch. T-13 [Loi sur les marques de commerce], par. 45(3).

[4]      Annonce relative au projet pilote.

[5]      Annonce relative au projet pilote.

[6]      Projet d’énoncé.

[7]      Projet d’énoncé.

[8]      Projet d’énoncé.

[9]      Projet d’énoncé.

[10]    Projet d’énoncé.

[11]    Règlement sur les marques de commerce, DORS/2018-227 [Règlement sur les marques de commerce], par. 6(2).

[12]    Loi sur les marques de commerce, par. 45(1).

[13]    Projet d’énoncé.

[14]    Projet d’énoncé.

[15]    Projet d’énoncé.

[16]    Projet d’énoncé.

[17]    Projet d’énoncé.

[18]    Règlement sur les marques de commerce, par. 73(2).

[19]    Projet d’énoncé.

[20]    Règlement sur les marques de commerce, alinéa 74(2)a).

[21]    Projet d’énoncé.

[22]    Projet d’énoncé.

[23]    Loi sur les marques de commerce, par. 56(1).