Auteurs(trice)
Associé, Services financiers, Montréal
Associée, Services financiers, Toronto
Associé, Litiges, Montréal
Stagiaire en droit, Montréal
Le 12 septembre 2024, le ministre de la Justice du Québec a présenté le projet de loi 72, Loi protégeant les consommateurs contre les pratiques commerciales abusives et offrant une meilleure transparence en matière de prix et de crédit (projet de loi 72) qui, s’il est adopté, apportera des modifications importantes à la Loi sur la protection du consommateur du Québec (la LPCQ) ainsi qu’au Règlement d’application de la Loi sur la protection du consommateur (le Règlement).
Aperçu général
Le projet de loi 72 propose des modifications à la LPCQ concernant le prix des produits alimentaires, les pratiques en matière de pourboires, les contrats de crédit, les contrats de louage à long terme et la responsabilité en cas de fraude ou d’utilisation non autorisée du compte de dépôt à vue d’un consommateur. Dans le présent bulletin d’actualités, nous résumons les principales modifications proposées par ce projet de loi, en précisons l’intention et explorons les répercussions qu’il aura sur les commerçants qui font des affaires au Québec.
Prix des produits alimentaires destinés à la consommation humaine
Le projet de loi 72 comprend une série de dispositions visant à garantir que les consommateurs sont bien informés et protégés contre les pratiques tarifaires déloyales. À cet effet, il comporte notamment les dispositions suivantes :
- Il impose d’indiquer clairement, à côté du prix du produit alimentaire, si la TPS et la TVQ seront ajoutées au prix lors du passage à la caisse, afin que le consommateur soit conscient du coût total, taxes incluses, qu’il devra payer;
- Il oblige les commerçants à afficher les prix par unité de mesure (p. ex., le coût pour 100 g) et à utiliser la même unité de mesure pour tous les produits de même nature, afin de permettre au consommateur de comparer les prix facilement et en toute connaissance de cause;
- Il remédie à la disparité des prix pour le consommateur qui ne participe pas à un programme de fidélisation en stipulant qu’un commerçant qui propose au consommateur ayant adhéré à un programme de fidélisation un prix de vente pour un produit alimentaire différent de celui proposé aux autres consommateurs doit clairement indiquer ces prix l’un à côté de l’autre;
- Il fait passer de 10 $ à 15 $ l’indemnité maximale due au consommateur en cas de différence entre le prix annoncé et le prix pratiqué à la caisse, notamment en cas d’utilisation de la technologie du lecteur optique. Lorsque l’écart porte sur un bien dont le prix est inférieur ou égal à 15 $, ce bien doit être remis gratuitement au consommateur et, si le prix du bien en question est supérieur à 15 $, une réduction de 15 $ doit être appliquée.
Pratiques liées aux pourboires
Le projet de loi 72 encadre également certaines pratiques liées aux pourboires. Si le projet de loi est adopté, les pourboires proposés devront être établis en fonction du prix d’un bien ou d’un service excluant la TPS et la TVQ. De plus, le consommateur doit pouvoir déterminer le montant du pourboire qu’il souhaite donner. Enfin, si plusieurs options de pourboire sont proposées au consommateur, elles devront toutes être mises en évidence de la même manière. Ces nouvelles exigences auront des répercussions non seulement sur les commerçants, mais aussi, et peut-être surtout, sur les entreprises qui développent des technologies de terminaux de paiement.
Prêteurs et locateurs
Plusieurs modifications de la LPCQ proposées par le projet de loi 72 auront un impact important sur les émetteurs de cartes de crédit, les fournisseurs de crédit ouvert et les locateurs dans le cadre de contrats de louage de biens à long terme.
Modifications ayant une incidence sur les prêteurs et les locateurs
Permis : Le projet de loi impose à tous les commerçants qui concluent des contrats de crédit ouvert et des contrats de louage à long terme à coût élevé d’être titulaires d’un permis. Jusqu’à présent, la LPCQ exige des commerçants qui concluent des contrats de prêt d’argent ou des contrats de crédit à coût élevé qu’ils obtiennent un permis, mais les fournisseurs de crédit ouvert sont exemptés de cette exigence. Si le projet de loi est adopté dans sa forme actuelle, tous les commerçants qui concluent des contrats de prêt d’argent, des contrats de crédit ouvert, des contrats de crédit à coût élevé ou des contrats de louage à long terme à coût élevé devront être titulaires d’un permis délivré par l’Office de la protection du consommateur.
Il est important de noter que les exemptions pour les banques et autres institutions de dépôt, les compagnies d’assurance, ainsi que les prêteurs hypothécaires, prévues à l’article 18 du Règlement, n’ont pas été modifiées, ce qui signifie que si ces entités offrent des crédits ouverts ou des contrats de louage à long terme, elles seront tenues d’obtenir un permis. Il est difficile de savoir s’il s’agit d’une intention ou d’une simple omission rédactionnelle qui sera corrigée dans un projet ultérieur.
Le taux seuil permettant de déterminer si un contrat de louage est « à coût élevé » doit être défini dans les règlements, mais, à ce jour, aucun seuil n’a été fixé. Étant donné que les nouvelles dispositions relatives aux contrats de louage à long terme reprennent en grande partie les dispositions relatives au crédit prévues par la LPCQ, il est probable que le taux seuil pour ces contrats reprendra le taux du crédit à coût élevé.
Le non-respect de l’obligation d’obtenir un permis peut entraîner la nullité du contrat ou la suppression des frais de crédit ou des frais de crédit implicites et la restitution de la partie des frais de crédit ou des frais de crédit implicites déjà payée.
Modifications : Le projet de loi 72 restreint de façon importante la capacité des commerçants de modifier unilatéralement les contrats de crédit et de louage à long terme. Ainsi, une modification ayant pour effet d’augmenter le taux de crédit ou les frais de crédit dans un contrat de crédit ou le taux de crédit implicite ou les frais de crédit implicites dans un contrat de louage à long terme ne peut être apportée qu’à la demande du consommateur. En outre, si une telle modification est énoncée dans un avenant (et non dans un nouveau contrat) le prêteur ou le locateur doit obtenir le consentement exprès du consommateur à cette modification.
Dette antérieure : Le projet de loi 72 précise les conditions dans lesquelles un commerçant peut transférer les sommes dues dans le cadre d’une opération de reprise à un nouveau contrat de vente à tempérament ou à un contrat de louage à long terme. Parmi ces conditions, citons :
- obtenir le consentement du consommateur;
- informer le consommateur, de la manière prescrite par règlement, du fait que le capital net (ou, dans le cas d’un contrat de louage, l’obligation nette) du contrat contient le solde de la dette antérieure;
- mentionner le solde de la dette dans le contrat.
Concessionnaires de véhicules automobiles : Le projet de loi 72 interdit aux concessionnaires et aux recycleurs de véhicules automobiles de subordonner l’achat d’un véhicule routier à la conclusion par le consommateur d’un contrat de crédit ou d’un contrat de location à long terme.
Commerçants itinérants : Le projet de loi 72 restreint la possibilité de financer les biens vendus par un commerçant itinérant (p. ex., les vendeurs de porte-à-porte ou les vendeurs dans les kiosques de vente d’un centre commercial). De façon générale, le projet de loi interdit au commerçant itinérant de conclure un contrat de crédit, un contrat de louage de biens à long terme ou un contrat interdit par règlement (c.-à-d. les contrats concernant les appareils de chauffage ou de climatisation, les services de décontamination ou les services d’isolation). De plus, un commerçant itinérant ne peut aider ou encourager un consommateur à conclure un tel contrat ou solliciter un consommateur en vue de conclure un tel contrat.Toutefois, cette nouvelle restriction permet des exceptions limitées prévues dans le Règlement.
Modifications ayant une incidence sur les prêteurs :
Limites de crédit : En vertu du projet de loi 72, toutes les demandes de crédit ouvert doivent comporter un champ permettant au consommateur d’indiquer la limite de crédit qu’il souhaite. Il est interdit aux commerçants de consentir une limite de crédit supérieure à celle que le consommateur a demandée initialement, et tout formulaire de demande qui ne précise pas de limite de crédit doit être refusé. En outre, le formulaire de demande de carte de crédit ou les documents qui l’accompagnent doivent préciser le versement périodique minimum ou le mode de calcul de ce versement pour chaque période.
Frais d’adhésion ou de renouvellement : Le projet de loi 72 stipule que les frais liés à l’adhésion ou au renouvellement d’un contrat de carte de crédit peuvent être exclus du calcul du taux de crédit uniquement s’ils sont facturés une fois par année. Même si la plupart des émetteurs facturent ces frais annuellement, les émetteurs qui préfèrent répartir le coût en frais payés plus fréquemment (c’est-à-dire mensuellement) devront prendre en compte cette proposition de modification et envisager soit de passer à un cycle de facturation annuel, soit de déterminer comment inclure ces frais dans le calcul du taux de crédit.
Imputation des versements : Le projet de loi 72 prescrit un ordre précis dans lequel les versements du consommateur doivent être imputés sur son solde de crédit pour tous les crédits en cours. Le commerçant doit d’abord imputer tout versement sur la dette portant le taux de crédit le plus élevé, puis sur les autres dettes par ordre décroissant de taux de crédit. Si l’une des dettes doit être acquittée par versements, ceux-ci doivent être imputés en priorité au versement minimum requis par le contrat de carte de crédit, puis au versement requis par la dette acquittée par versements, et enfin à toutes les autres dettes conformément à l’ordre de priorité établi dans la phrase précédente. Ce type de disposition est plus pertinent pour les contrats de carte de crédit, et non pour le crédit ouvert en général. Cependant, ce concept sera peut-être affiné dans une nouvelle version du projet de loi.
Nous notons également que les prêteurs non bancaires qui exercent leurs activités à l’extérieur du Québec disposent généralement d’une plus grande latitude en ce qui concerne l’imputation des versements effectués en remboursement de la dette de carte de crédit. Pour les banques, la Loi sur les banques permet de choisir entre deux méthodes d’imputation. La première est semblable à la méthode proposée dans le projet de loi 72, tandis que la deuxième permet aux banques d’imputer un versement de façon proportionnelle. Si le projet de loi 72 est adopté, cela pourrait avoir pour effet d’éliminer effectivement la deuxième option pour les banques, compte tenu des difficultés que poserait le fait de coder les systèmes nationaux en fonction de chaque province.
Résiliation du contrat d’assurance : Dans le cas où un consommateur résilie un contrat d’assurance auquel il a souscrit à l’occasion d’un contrat de crédit, le projet de loi 72 oblige le commerçant à modifier ce dernier, dans un délai de 10 jours, pour supprimer la prime d’assurance. Dans le cas d’un contrat de prêt d’argent ou d’un contrat assorti d’un crédit, le commerçant doit réduire les versements ou le terme, au choix du consommateur. Si le consommateur ne fait pas de choix, le commerçant doit réduire le montant du versement dû en vertu du contrat de crédit. De plus, le commerçant doit remettre au consommateur un nouveau contrat ou un nouvel avenant contenant les renseignements visés à l’article 98 de la LPCQ (dans sa version modifiée), et ce, même si le taux de crédit ou les frais de crédit s’en trouvent diminués.
Alertes de dépassement de limite :Le projet de loi 72 propose de modifier les dispositions relatives au dépassement de la limite de crédit. À l’heure actuelle, un prêteur ne peut permettre à un consommateur d’effectuer des opérations dépassant sa limite de crédit, sauf s’il envoie au consommateur un avis après coup et qu’il ne lui impose aucuns frais pour le dépassement de la limite de crédit. Le projet de loi 72, qui s’inspire quelque peu du cadre fédéral de protection des consommateurs, exigera que le prêteur envoie un avis à l’adresse technologique fournie par le consommateur à cette fin, l’informant que son crédit disponible est inférieur à 100 $ si le prêteur souhaite autoriser des opérations dépassant la limite de crédit. Un avis postérieur à l’opération ne sera autorisé que si le consommateur ne fournit pas son adresse technologique. Les frais de dépassement de limite continuent d’être interdits en vertu du projet de loi 72.
Caractérisation de certains frais : Les prêteurs bénéficient d’un allégement limité. Si le projet de loi est adopté dans sa version actuelle, les prêteurs seront expressément autorisés à facturer certains frais pour insuffisance de fonds en plus des frais de crédit. Le commerçant peut réclamer du consommateur les seuls frais déboursés par suite du refus d’acceptation, par une institution financière, d’un chèque ou autre effet de paiement émis par le consommateur en paiement des sommes dues (ou en cas d’impossibilité à exécuter un virement de fonds, sauf si l’impossibilité découle du fait du commerçant).
Malgré le fait que les frais pour insuffisance de fonds n’étaient pas interdits, il y avait une certaine incertitude quant à savoir s’ils faisaient partie des frais de crédit et devaient de ce fait être inclus dans le calcul du taux de crédit. Comme il était impossible de prévoir si et quand un emprunteur encourrait des frais pour insuffisance de fonds avant de conclure un contrat de crédit, les prêteurs n’étaient pas en mesure de divulguer un taux de crédit précis incluant les conséquences des frais pour insuffisance de fonds, ce qui explique qu’à l’heure actuelle, les prêteurs ne facturent généralement pas de frais pour insuffisance de fonds au Québec.
Le projet de loi modifie également la caractérisation des frais d’inscription des sûretés. Actuellement, les frais d’inscription sont exclus des frais de crédit. Le projet de loi 72 précise que tous les frais liés aux sûretés seront inclus dans les frais de crédit. Toutefois, les frais d’inscription ou de consultation d’un registre de la publicité des droits continueront d’être exclus du calcul du taux de crédit.
Modifications ayant une incidence sur les locateurs
Contrairement à de nombreuses autres provinces, le Québec ne réglemente actuellement que légèrement les activités de louage à long terme du point de vue de la divulgation du coût du crédit, à l’exception des contrats de louage à valeur résiduelle garantie, qui sont moins courants dans le secteur. Cette situation est appelée à changer, car le projet de loi 72 apporte une série de mesures importantes visant à exiger des locateurs qu’ils accordent aux locataires la protection des consommateurs analogue à celle exigée dans les opérations de crédit, et qu’ils tirent parti des dispositions en matière de crédit à cette fin.
Par exemple, au lieu de fixer un taux annuel en pourcentage propre au contrat de louage, le projet de loi 72 propose d’utiliser la même formule pour calculer les frais de crédit implicites et le taux de crédit implicite. Le projet de loi établit une liste d’informations qui doivent être incluses dans un contrat de louage à long terme, qui sera familière, au moins en partie, aux locateurs en activité dans d’autres territoires de compétence canadiens. Comme pour les contrats de crédit, les locataires disposeront d’un délai de réflexion de deux jours pendant lequel ils pourront résilier le contrat de louage sans frais ni pénalité, sauf s’il s’agit d’un contrat de louage à long terme à coût élevé, auquel cas le délai de réflexion sera de dix jours.
Le projet de loi 72 impose des restrictions supplémentaires sur les frais d’usure excessive, notamment en précisant quand et dans quelles conditions ces frais peuvent être imposés. À l’exception des frais d’usure excessive et de tout versement en retard, aucuns frais ne peuvent être imposés à un consommateur à la fin de la période de louage.
Enfin, le projet de loi aborde également la question des publicités concernant les louages à long terme. Si le projet de loi 72 est adopté, les éléments suivants seront interdits :
- faire référence à un taux de crédit implicite sans divulguer ce taux;
- divulguer un taux relatif au crédit implicite, à moins de divulguer également le taux de crédit implicite calculé conformément à la LPCQ et de faire ressortir ce dernier d’une façon aussi évidente.
- Augmentation de la responsabilité du commerçant en cas de fraude ou d’utilisation non autorisée du compte de dépôt à vue d’un consommateur
Le projet de loi 72 oblige le commerçant auprès duquel un consommateur détient un compte de dépôt à vue à lui rembourser toute somme débitée de ce compte sans son autorisation ou celle d’une personne autorisée à y effectuer des opérations. De même, le commerçant doit rembourser toute somme débitée avec l’autorisation du consommateur dans le cas où celui-ci est victime de fraude, lorsque le commerçant a débité cette somme sans prendre les précautions nécessaires pour prévenir la fraude, malgré la présence d’indices probants permettant de la soupçonner. La responsabilité du consommateur est limitée à un maximum de 50 $.
Le remboursement doit être effectué dans les cinq jours ouvrables suivant une demande du consommateur à cet effet.
Toutefois, le consommateur est tenu responsable des pertes subies par le commerçant lorsque ce dernier établit que le consommateur a commis une faute lourde dans la protection de son numéro d’identification personnel.
Il convient de noter que ni la LPCQ ni le Règlement ne donnent de définition d’un compte de dépôt à vue. Il subsiste donc une incertitude quant à la signification de ce terme et à la portée prévue des dispositions du projet de loi à cet égard.
Conclusion
Comme le projet de loi 72 n’a été présenté que récemment et qu’il est actuellement étudié en détail par l’Assemblée nationale du Québec, nous continuerons de suivre son évolution et les modifications qui pourraient y être apportées avant son adoption. Si vous croyez que les modifications proposées peuvent avoir des incidences sur vos activités commerciales au Québec, n’hésitez pas à communiquer avec nous.