Auteurs(trice)
Associé, Affaires réglementaires, Autochtones et environnement, Calgary
Associé, Litiges, Calgary
Le 18 janvier 2024, le Canada, le Nunavut et Nunavut Tunngavik Inc. (la NTI) (collectivement, les parties) ont signé l’Entente sur le transfert des responsabilités liées aux terres et aux ressources du Nunavut (l’Entente). L’Entente aura pour effet de transférer au Nunavut le contrôle des terres publiques situées sur son territoire le 1er avril 2027 (la date du transfert). L’Entente représente le transfert définitif du pouvoir décisionnel concernant les terres, les eaux, les mines et les ressources minérales situées dans les territoires du Nord du Canada et l’aboutissement du transfert de l’autorité sur le Nunavut qui a commencé en 1993 avec l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut (l’Accord du Nunavut).
La NTI est l’entité représentative qui coordonne et gère les droits et les responsabilités des peuples inuits du Nunavut en vertu de l’Accord du Nunavut. Elle est également chargée, en vertu de l’Entente, de mettre en œuvre les activités de transfert des responsabilités entre janvier 2024 et avril 2027.
Dans le présent bulletin, nous examinons brièvement l’historique du transfert des responsabilités dans les territoires du Nord du Canada, passons en revue les principales modalités de l’Entente et présentons nos prévisions quant aux conséquences possibles de l’Entente sur l’exploitation des ressources au Nunavut.
Transfert de responsabilités aux territoires du Canada
Le transfert de responsabilités consiste ici à transférer ou à déléguer à un gouvernement territorial certains pouvoirs et responsabilités revenant au gouvernement fédéral. Alors que les responsabilités liées à d’autres aspects d’une administration publique, comme les soins de santé et l’éducation, ont été progressivement transférées aux gouvernements des territoires du Nord depuis les années 1960, le transfert des responsabilités liées aux terres et aux ressources territoriales est quelque chose d’assez récent. Le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest (T.N.-O.) ont obtenu la responsabilité et le contrôle des terres et des ressources de leur territoire en 2003 et en 2013, respectivement, après avoir signé des ententes de transfert des responsabilités similaires avec le gouvernement fédéral.
Le processus de transfert de responsabilités au Nunavut a débuté en 2014, après plusieurs années de négociations entre les parties. Les parties ont signé une entente de principe non contraignante en août 2019, ce qui a déclenché un délai de cinq ans pour la négociation de l’Entente.
L’Entente
À la date du transfert, le Nunavut prendra en charge l’administration et le contrôle des terres et des eaux infracôtières situées à l’intérieur de ses frontières, telles qu’elles sont précisées dans la Loi sur le Nunavut. Le transfert de responsabilités sera mis en œuvre par le biais d’une série de modifications apportées aux lois fédérales et territoriales qui entreront en vigueur à la date du transfert.
Outre les modifications mentionnées ci-dessous, l’Entente nécessitera la modification de plusieurs lois fédérales, notamment la Loi fédérale sur les hydrocarbures, la Loi sur les opérations pétrolières au Canada et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie. En vertu de l’Entente, le Nunavut est tenu d’adopter des lois territoriales qui reflètent en grande partie ces lois avant le 1er avril 2027.
Évaluations d’impact
Après la date du transfert, la Commission du Nunavut chargée de l’examen des répercussions (la CNER), composée de huit membres et établie en vertu de l’Accord du Nunavut, continuera d’évaluer les répercussions éventuelles des projets qui lui sont proposés conformément à la Loi sur l’aménagement du territoire et l’évaluation des projets au Nunavut (LATEPN), sous réserve des modifications devant porter sur ce qui suit :
- la composition de la CNER, en vue d’accroître les pouvoirs décisionnels du Nunavut
- le mode de nomination de la Commission d’aménagement du Nunavut et de l’Office des eaux du Nunavut, en vue de renforcer les pouvoirs du Nunavut à cet égard
- le transfert à un ministre territorial des fonctions du ministre fédéral responsable en vertu de la LATEPN
La Régie canadienne de l’énergie (la Régie) conservera les mêmes fonctions d’ordre réglementaire au Nunavut que celles qu’elle exerce actuellement dans toutes les provinces et tous les autres territoires après la date du transfert. Elle sera également le principal organisme de réglementation des ressources pétrolières au Nunavut pendant les cinq années suivant la date du transfert. Par la suite, le Nunavut aura la possibilité d’établir un autre organisme de réglementation des ressources pétrolières ou de prolonger le mandat de la Régie pour des périodes ultérieures de cinq ans.
L’Entente prévoit que les parties concluront une entente distincte sur la gestion, le processus décisionnel et le partage des recettes de l’exploitation des ressources pétrolières dans les zones extracôtières, qui sont réservées au Canada en vertu de l’Entente.
Droits et intérêts existants
L’Entente n’aura aucune incidence sur les droits ou intérêts sur des terres et des eaux existant immédiatement avant le 1er avril 2027, y compris ceux qui existent aux termes d’une ordonnance d’accès, d’un permis, d’une licence ou autre autorisation, d’un bail ou d’un contrat de location ou de vente, ou ceux qui en renouvellement ou en remplacent.
Les futures lois territoriales ne peuvent prévoir l’annulation, la suspension ou la restriction d’un droit ou d’un intérêt existant que dans les cas suivants : i) lorsque, avant le 1er avril 2027, le droit ou l’intérêt aurait pu être annulé, suspendu ou restreint dans des circonstances identiques ou ii) lorsque l’annulation, la suspension ou la restriction est en raison du défaut de se conformer à une condition à l’égard de l’exercice du droit ou de l’intérêt.
Consultation, titres et droits des populations autochtones
L’Entente aura une incidence sur le fonctionnement de l’obligation de consulter au Nunavut. L’obligation de consulter s’applique lorsque des activités envisagées par la Couronne (y compris la décision d’approuver un projet) sont susceptibles de porter atteinte à un droit ou à un titre ancestral. À la suite du transfert des responsabilités, les décisions relatives à l’aménagement du territoire seront prises par le gouvernement territorial du Nunavut, et non plus par le gouvernement fédéral, ce qui signifie que le gouvernement territorial sera chargé de l’obligation de consulter lorsqu’une telle obligation se présentera.
L’Entente énonce des exigences particulières en matière de consultation qui diffèrent selon que la NTI ou une autre partie est consultée. Toutefois, les exigences (telles que de donner avis « sous une forme et avec des renseignements suffisants », de fournir un « délai raisonnable » pendant lequel une partie peut préparer son point de vue sur une question, et d’examiner « de manière exhaustive et équitable […] toute opinion » présentée par la partie) sont définies de manière imprécise. Tous ces éléments nécessiteront probablement une interprétation judiciaire.
L’Entente précise qu’elle ne portera pas atteinte i) aux traités modernes existants, aux accords sur des revendications territoriales ou aux accords sur l’autonomie gouvernementale, ou ii) aux droits ancestraux ou issus de traités. De même, le gouvernement fédéral conservera le droit d’administrer ou de contrôler les terres et les droits à l’égard des eaux lorsque cela est nécessaire pour i) le règlement ou la mise en œuvre de revendications territoriales autochtones, d’accords de règlement, de traités ou d’accords sur l’autonomie gouvernementale ou pour ii) l’exécution d’obligations relatives à des droits ancestraux ou issus de traités.
Recettes de l’exploitation des ressources
L’Entente ne précise pas comment les parties se partageront les recettes tirées de l’exploitation des ressources. Les négociations en vue d’une entente de partage des recettes commenceront lorsque le Nunavut en fera la demande. L’Entente prévoit que le Nunavut peut imposer une taxe spécifique sur l’exploration, la production et l’exploitation des ressources minérales, distincte de l’impôt sur le revenu des sociétés et s’y ajoutant, ainsi que des redevances, des licences, des loyers ou d’autres frais liés à l’exploration, la production et l’exploitation des ressources minérales sur le territoire.
Conséquences
Le transfert des responsabilités liées aux terres et aux ressources du Nunavut aura des conséquences sur l’exploitation des ressources sur le territoire. Le Nunavut sera responsable de l’aménagement du territoire (avec la NTI) et pourra prendre des décisions conformes à ses objectifs et priorités pour le territoire. Au fur et à mesure que le Nunavut élaborera ses lois sur l’aménagement du territoire, les conséquences du transfert des responsabilités sur l’exploitation des ressources deviendront plus claires.
Le transfert des responsabilités pourrait entraîner une hausse des investissements dans le secteur des ressources au Nunavut, comme cela a été le cas dans d’autres territoires. Par exemple, deux ans à peine après la signature de l’entente de transfert des responsabilités des T.N.-O., les dépenses d’investissement du secteur privé dans le territoire ont augmenté de 25,9 % d’une année sur l’autre, en grande partie grâce à une hausse de 40 % des dépenses dans le secteur des mines et celui du pétrole et du gaz. La mine de diamants Gahcho Kué (qui, au moment de sa construction, était la plus grande mine de diamants au monde) a été un moteur important de cette croissance, sa construction ayant été achevée entre 2013 et 2016. De même, au Yukon, les dépenses d’exploration ont fortement augmenté dans les années qui ont suivi le transfert des responsabilités (passant de 6,9 millions de dollars en 2002 à 140 millions de dollars en 2007) et les dépenses d’exploitation ont connu une augmentation correspondante (passant de 32,5 millions de dollars en 2002 à 200 millions de dollars en 2009). Des occasions similaires pourraient se présenter au Nunavut au cours des prochaines années, puisque le gouvernement territorial cherchera à stimuler son économie au moyen d’ententes de partage des recettes tirées de l’exploitation des ressources.