Le mouvement vers le paiement rapide atteint le secteur de la construction et des infrastructures au Canada

13 Déc 2019 10 MIN DE LECTURE

Des lois relatives au paiement rapide et à l’arbitrage obligatoire sont adoptées à l’échelle du Canada en vue de réduire les délais de paiement dans le processus descendant de la pyramide de construction. L’adoption d’une telle loi en Ontario en 2019 au moyen des modifications à la Loi sur la construction (auparavant, la Loi sur le privilège dans l’industrie de la construction) a été un moment décisif. L’industrie de l’aménagement en Ontario est accaparée par la révision des processus internes et la reformulation des contrats pour tenir compte des nouvelles règles et elle sera aux prises avec les problèmes croissants inévitables causés par la nouvelle loi pendant un certain temps. Entre-temps, un certain nombre d’autres territoires de compétence au Canada, y compris le gouvernement fédéral, suivent l’exemple de l’Ontario.

Ce qui a changé le 1er octobre 2019 en Ontario

Paiement rapide obligatoire

Le régime de paiement rapide introduit des échéances de paiement rapide qui sont inspirées de réformes semblables introduites il y a plus de 20 ans au Royaume-Uni. Le compte à rebours commence lorsque le propriétaire reçoit une « facture en bonne et due forme » de son entrepreneur général, une fois par mois ou selon ce qui a autrement été convenu dans le contrat. Le propriétaire doit effectuer le paiement dans les 28 jours civils (figure 1) ou le contester dans les 14 jours civils en décrivant les raisons du non-paiement (figure 2). À son tour, l’entrepreneur doit payer ses sous-traitants dans les sept jours civils de la réception du paiement (figure 1) ou envoyer des avis de contestation dans les sept jours civils (figure 2).

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La figure 2 illustre la cascade d’avis de non-paiement en commençant par le propriétaire à l’entrepreneur, puis aux sous-traitants dans le processus descendant de la pyramide de la construction.

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Les propriétaires, en particulier, doivent harmoniser leurs processus internes de consultation, d’achèvement et d’expression des résultats à l’égard de leur examen des factures dans les 14 jours suivant la réception. Cela s’explique par le fait que tout défaut du propriétaire de contester la facture en émettant un avis de non-paiement à l’entrepreneur au cours de cette période entraînera l’obligation pour le propriétaire de payer à l’entrepreneur la totalité de cette facture en bonne et due forme dans les 28 jours prescrits malgré toute contestation ultérieure. Afin d’éviter cette situation fâcheuse, les propriétaires devraient également exiger de leurs conseillers externes qu’ils raccourcissent leurs délais d’examen des factures et négocier des modifications appropriées à tout accord de crédit ou de financement afin d’atténuer les obstacles à la contestation ou au financement dans ces délais.

Les entrepreneurs doivent également être au courant de l’application des dispositions de jonction en aval ou en. Par exemple, les entrepreneurs impayés qui émettent un avis de non-paiement à un sous-traitant doivent également inclure l’engagement de l’entrepreneur de renvoyer l’affaire à l’arbitrage dans les 21 jours civils suivant l’émission de l’avis de non-paiement. Si l’entrepreneur n’avait pas déjà l’intention de le faire, cette disposition oblige donc l’entrepreneur à entreprendre un arbitrage contre le propriétaire dans ce délai, comme nous le verrons ci-dessous.

Arbitrage obligatoire

Introduit par la Loi sur la construction, l’arbitrage est un mode intérimaire de règlement rapide des différends dans le cadre d’un projet de construction. Un arbitrage doit commencer avant l’achèvement du contrat ou du contrat de sous-traitance, à moins que les parties n’en aient décidé autrement.

Toute partie à un contrat ou à un contrat de sous-traitance peut soumettre un différend à l’arbitrage, moyennant la remise d’un avis écrit de renvoi à l’arbitrage à l’autre partie au différend. L’avis d’arbitrage amorce le processus et un échéancier extrêmement serré s’ensuit, culminant avec la décision de l’arbitre. Le régime d’arbitrage en Ontario sera administré et supervisé par une nouvelle entité appelée l’Ontario Dispute Adjudication for Construction Contracts (ODACC) (« Règlement des différends en matière de contrats de construction de l’Ontario »).

Les parties peuvent convenir du choix d’un arbitre ou demander que l’ODACC en nomme un. Si l’arbitre choisi par les parties ne consent pas à arbitrer l’affaire dans les quatre jours civils suivant la remise d’un avis d’arbitrage, la partie qui renvoie à l’arbitrage est tenue de demander à l’ODACC d’en nommer un. Étonnamment, la Loi sur la construction et les règlements ne prescrivent pas de délai pour faire cette demande, bien qu’on puisse présumer que la partie qui fait la demande de renvoi à l’arbitrage ait intérêt à ce que cela se fasse le plus rapidement possible. À la réception d’une demande de nomination de la partie qui renvoie à l’arbitrage, l’ODACC doit nommer un arbitre dans les sept jours qui suivent.

L’ODACC a préparé quatre processus d’arbitrage préétablis qui s’accompagnent de frais d’arbitrage nominaux allant de 800 $ à 3 000 $ pour aider les parties et l’arbitre à déterminer quel est le meilleur processus à l’égard d’un différend particulier. Fait intéressant, trois des quatre processus se font par écrit uniquement alors que le quatrième processus permet de présenter des observations orales. La présentation d’observations orales dans le cadre de ce processus sera menée par vidéoconférence ou par téléconférence, mais pas en personne. De plus, chaque présentation d’observations orales se limite à 30 minutes par partie. Chaque processus fixe également des limites à l’égard du nombre de pages d’observations des parties et de la décision de l’arbitre. Par ailleurs, l’arbitre a le pouvoir de mener l’arbitrage comme il le juge approprié. Cela permettra de faire preuve de souplesse pour les différends plus complexes.  

L’arbitre doit rendre sa décision dans les 30 jours suivant la réception des documents exigés. Si une partie omet d’effectuer un paiement dans les dix jours suivant la décision de l’arbitre, l’entrepreneur ou le sous-traitant, s’il est la partie ayant eu gain de cause, a le droit de suspendre les autres travaux aux termes du contrat ou du contrat de sous-traitance.

Autres modifications

L’Ontario est le seul territoire de compétence possédant un régime de paiement rapide et d’arbitrage s’ajoutant au régime existant en matière de privilèges dans l’industrie de la construction. Dans une large mesure, les chevauchements avec les privilèges ont été pris en compte. Les délais concernant les privilèges ont été prolongés pour permettre le règlement des différends avant d’avoir recours aux privilèges pour obtenir paiement. Par conséquent, à partir du 1er juillet 2018, l’échéance pour conserver un privilège est passée de 45 jours à 60 jours et l’échéance pour le rendre opposable est passée de 45 à 90 jours. Fait intéressant, la Loi sur la construction permet une prolongation de la période de conservation d’un privilège, si le problème faisant l’objet du privilège fait également l’objet d’un arbitrage; la situation pourrait mener à des résultats inattendus lorsque le propriétaire tente de déterminer quand les délais concernant les privilèges expirent.

Ce qui se passe ailleurs au Canada

Au niveau fédéral, la Loi fédérale sur le paiement rapide des travaux de construction, qui traite du non-paiement des entrepreneurs et des sous-traitants exécutant des travaux de construction à l’égard de projets de construction fédéraux, a été présentée et adoptée dans le cadre d’un projet de loi budgétaire plus large le 21 juin 2019. Elle n’est toutefois pas encore en vigueur. Une fois en vigueur, elle ne créera étonnamment aucun droit acquis concernant les contrats existants. Elle prévoit plutôt une période de report d’un an avant de s’appliquer aux contrats existants. À ce moment-là, on peut imaginer que l’application soudaine de la nouvelle loi aux contrats existants à mi-exécution rédigés avant l’entrée en vigueur de la loi pourrait être assez perturbante à l’égard de ces contrats. 

Comme nous l’avons décrit dans notre page sur les réformes de la législation sur les paiements rapides et la construction au Canada  sur le site osler.com, d’autres provinces, comme la Nouvelle-Écosse et la Saskatchewan, viennent d’adopter leur propre législation qui suit l’approche de l’Ontario. De la même façon que les modifications de la Loi sur la construction en Ontario, le Québec a adopté le projet de loi 108 en décembre 2017 qui autorise la mise en œuvre de projets pilotes pour tester des réformes en droit de la construction visant à faciliter le paiement des contrats du secteur public. En août 2018, le « Projet pilote visant à faciliter le paiement aux entreprises parties à des contrats publics de travaux de construction ainsi qu’aux sous-contrats publics qui y sont liés » a été mis en œuvre. Il établit un régime de paiement rapide et d’arbitrage qui ressemble à celui de l’Ontario, mais qui restreint son champ d’application au secteur public. Ce projet est mis en œuvre en deux phases : la première qui est en cours et qui touche les contrats de la Société québécoise des infrastructures et du ministère des Transports et la deuxième qui s’étendra aux contrats dans les secteurs de l’éducation, de la santé et des services sociaux.

De plus, d’autres provinces, à savoir le Nouveau-Brunswick, le Manitoba, l’Alberta et la Colombie-Britannique, mettent en œuvre d’autres initiatives relativement au paiement rapide ou envisagent la forme que le paiement rapide et l’arbitrage devraient prendre dans leurs provinces. Ces provinces ont des discussions intéressantes sur la question de savoir si le « modèle de l’Ontario » est adéquat pour elles.

Calcul des délais de paiement selon la Loi sur la construction de l’Ontario

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Quelles seront les incidences de la loi fédérale sur les projets de construction fédéraux ayant cours dans les provinces qui ont adopté leur propre législation sur le paiement rapide, comme l’Ontario, la Nouvelle-Écosse et la Saskatchewan, et celles qui ont l’intention de le faire à l’avenir? À l’heure actuelle, la question n’est pas claire et le gouvernement fédéral pourrait choisir d’exempter les projets fédéraux du régime fédéral que ce soit sur le plan individuel ou à l’échelle d’une province dans les cas où une législation provinciale équivalente a été adoptée. Toutefois, étant donné les questions constitutionnelles relatives aux champs de compétence, il sera intéressant de voir quelle approche le gouvernement fédéral choisira de prendre dans de telles situations.

Conclusion

À l’échelle du Canada, tous les acteurs de la pyramide de la construction s’ajustent à la nouvelle réalité du paiement rapide et de l’arbitrage. Dans les mois à venir, il sera intéressant de constater quelles sont les règles adoptées par les provinces à l’extérieur de l’Ontario et comment les nouveaux régimes seront en pratique mis en œuvre.