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Sociétaire, Fiscalité, Calgary
Le ministère des Finances a publié le 6 juin 2023 un document de consultation proposant de revoir les règles canadiennes en matière de prix de transfert. Le projet de modification intègre les concepts d’érosion de la base d’imposition et de transfert de bénéfices (BEPS) et introduit une « règle de cohérence » pour aligner les montants déterminés en vertu des dispositions nationales du Canada en matière de prix de transfert sur les Principes de l’OCDE en matière de prix de transfert (à moins que le contexte ne s’y oppose). Cette proposition s’écarte de l’approche actuelle du Canada en ce qui concerne les Principes, et des enseignements peuvent être tirés de l’expérience de l’Australie, qui a introduit une règle de cohérence similaire.
Le lien proposé renvoie à l’édition 2022 des Principes. Les éditions futures ne seront pas automatiquement intégrées, à moins qu’elles ne modifient la définition des « Principes applicables en matière de prix de transfert » de l’OCDE ou qu’elles n’introduisent de nouvelles réglementations. Ces règles s’harmoniseraient également à tout autre texte prescrit par règlement, de sorte que d’autres documents pourraient être intégrés.
L’article 247 a été adopté en 1997 afin d’harmoniser les règles canadiennes en matière de prix de transfert aux principes de pleine concurrence énoncés dans les Principes de 1995 (avant cela, les prix de transfert étaient régis par l’article 69). Les révisions ultérieures des Principes, telles que celles publiées en 2010 et 2017, n’ont pas donné lieu à des modifications de la Loi. Au contraire, l’ARC et le ministère des Finances ont déclaré que ces révisions étaient cohérentes avec les versions précédentes des principes et conformes à l’interprétation et à l’application du principe de pleine concurrence par l’ARC.
La « règle de cohérence » proposée diffère de l’approche actuelle des lignes directrices adoptée par les tribunaux canadiens. Dans l’arrêt Canada c. GlaxoSmithKline Inc (2012 CSC 52), la Cour suprême du Canada a fait remarquer que les Principes « n’ont cependant pas la même force contraignante qu’une loi canadienne » (au paragraphe 20). Ce raisonnement a été repris dans la décision McKesson Canada Corporation c. La Reine (2013 CCI 404), où la CCI a critiqué le fait de trop se fier aux Principes : « Les dispositions de la Loi en matière de prix de transfert sont celles qui régissent l’analyse et qui sont déterminantes et non pas une méthode ou un commentaire particulier tiré des Principes de l’OCDE ou de toute autre source que la Loi » (paragraphe 120). Malgré ces déclarations, les Principes restent pertinents et influencent l’interprétation des dispositions de la Loi relatives aux prix de transfert ; les tribunaux canadiens ont reconnu que les Principes peuvent être utiles pour interpréter l’article 247, malgré qu’ils ne soient pas contraignants.
L’approche actuelle du Canada est cohérente avec celle des décisions australiennes jugées avant l’introduction de la règle de cohérence. Voir notamment Commissioner of Taxation v. SNF (Australia) Pty. Ltd. ([2011] FCAFC 74) : [TRADUCTION] « Les Principes de 1995 ne dictent pas à la Cour une ou plusieurs méthodes appropriées, et ne sont que ce qu’elles prétendent être, c’est-à-dire des lignes directrices » (point 58). L’Australie a ensuite adopté une règle de cohérence dans son Income Tax Assessment Act 1997 (No. 38, 1997, tel que modifié), faisant initialement référence aux Principes de 2010. Cette disposition a ensuite été modifiée pour y intégrer les modifications apportées au BEPS de 2015, puis aux Principes de 2017 (article 815-135). L’Australie a également adopté une disposition dans l’Income Tax (Transitional Provisions) Act 1997 s’appliquant aux années d’imposition antérieures et faisant référence à la version des Principes modifiée en dernier lieu avant le début de l’année d’imposition (section 815-5). Cette dernière règle a été appliquée dans la décision Glencore Investment Pty. Ltd. v. Commissioner of Taxation ([2019] FCA 1432), dans laquelle la Cour d’appel fédérale australienne a rejeté la principale base établissant la cotisation établie par le commissaire fondée sur les Principes de 1995, qui était la version pertinente pour les années d’imposition en cause.
Le document de consultation suggère que les modifications s’appliqueraient de manière prospective. Cela signifie que l’Australie pourrait être saisie d’une affaire impliquant les conséquences des modifications apportées aux BEPS avant le Canada. Il reste à voir — dans l’un ou l’autre État — quel impact le renvoi spécifique de la Loi aux concepts BEPS et aux Principes de l’OCDE aura sur les litiges en matière de prix de transfert.
Publié pour la première fois en 2013 dans le bulletin Canadian Tax Focus (Volume 13; Numéro 3) de la Fondation canadienne de fiscalité.