Le gouvernement fédéral annonce le plafonnement des émissions du secteur pétrolier et gazier, ce qui est contestable sur le plan constitutionnel

8 Nov 2024 8 MIN DE LECTURE

Le gouvernement du Canada a annoncé un projet de règlement visant à plafonner les émissions de gaz à effet de serre (GES) du secteur pétrolier et gazier. Prévoyant un système de plafonnement et d’échange, le projet de Règlement sur les plafonds d’émissions de gaz à effet de serre du secteur pétrolier et gazier obligerait ce dernier à réduire ses émissions de 35 % par rapport aux émissions de 2019 d’ici 2030. Le gouvernement fédéral a déclaré que le plafonnement des émissions contribuerait à décarboner la production de pétrole et de gaz et à accroître l’efficience, tout en soutenant l’offre mondiale, afin de garantir que le secteur soit sur la voie de la carboneutralité d’ici 2050.

Le projet de règlement aura pour effet de réduire la production de pétrole et de gaz. Le gouvernement fédéral a estimé que la production subirait une réduction minime par rapport à la croissance prévue, tandis que les provinces et le secteur ont catégoriquement contesté ce point de vue, estimant que le plafonnement des émissions avait en réalité pour effet de plafonner la production. La province de l’Alberta a réagi [PDF; en anglais seulement] négativement au projet de plafonnement, en se basant sur des études réalisées par Deloitte et le Conference Board du Canada, qui indiquent des répercussions importantes sur la production de pétrole et de gaz, une réduction importante du PIB du Canada, une réduction significative des recettes des provinces, des pertes d’emplois et une diminution des investissements. La question se pose de savoir si le projet de plafonnement et le règlement connexe relèvent de la compétence du gouvernement fédéral selon la Constitution.

Systèmes de plafonnement et d’échange

Le projet de règlement prévoit un système de plafonnement et d’échange afin d’inciter les installations à réduire leurs émissions de GES. Dans le cadre d’un système de plafonnement et d’échange, un plafond d’émissions est établi et des allocations sont distribuées aux installations, qui peuvent les échanger, les vendre ou les économiser. Au besoin, les exploitants peuvent acquérir des attributions en achetant des allocations supplémentaires à d’autres installations capables de rester en deçà de leur plafond. Les installations, grandes ou petites, sont incitées à réduire leurs émissions de manière rentable afin de pouvoir vendre des allocations supplémentaires ou de réduire le nombre d’allocations supplémentaires qu’elles doivent acheter. Des systèmes de plafonnement et d’échange ont été mis en œuvre dans d’autres territoires, notamment brièvement en Ontario (avant d’être annulé) et dans l’Union européenne (qui dispose d’un système depuis 2005).

Champ d’application du système proposé

Le système de plafonnement et d’échange proposé fixerait une limite aux émissions sectorielles, en mettant l’accent sur les émissions sectorielles générées par les activités pétrolières et gazières en amont, la production et la valorisation des sables bitumineux, la production et le traitement du gaz naturel, et la production de gaz naturel liquéfié. Même si tous les exploitants de ces installations étaient tenus de s’enregistrer et de déclarer leurs émissions et leur production, les grands exploitants auraient des obligations de remise et devraient fournir une unité de conformité pouvant être remise par tonne de GES émise. Les allocations et des unités de conformité de certains autres types pourraient être achetées et vendues sur un marché d’échange de droits d’émission, ce qui permettrait de donner la priorité aux possibilités de réduction à moindre coût.

Les obligations de déclaration et de remise seront déterminées au cas par cas, une installation pouvant être considérée soit comme une grande installation émettrice, soit comme une installation réputée, afin de simplifier la gestion. Les installations émettant plus de 10 000 tonnes de CO2 seront considérées comme de grandes installations émettrices et les exploitants produisant au total plus de 365 000 barils d’équivalent pétrole léger par année seront considérés comme de grands exploitants. Le projet de règlement s’appliquerait aux exploitants d’installations du secteur pétrolier et gazier en amont, aux installations de production de gaz naturel liquéfié (GNL) et aux installations extracôtières. Il ne devrait pas s’appliquer aux raffineries, aux pipelines ou aux terminaux de distribution.

Le plafond proposé et la limite supérieure légale tiennent compte de ce que le gouvernement fédéral estime être des réductions d’émissions techniquement réalisables et des prévisions de la demande mondiale de pétrole et de gaz. Les émissions de 2019 étaient d’environ 171 millions de tonnes; le plafond d’émissions proposé, ou niveau d’allocations, devrait se situer entre 106 et 112 millions de tonnes, ce qui représente une réduction de 35 % par rapport aux émissions de 2019. Dans un premier temps, comme mesure de souplesse en matière de conformité, un volume supplémentaire de 25 millions de tonnes serait créé pour obtenir une limite supérieure légale de 131–137 millions de tonnes, ce qui permettrait d’acheter des allocations supplémentaires ne reflétant qu’une réduction de 20 % par rapport aux émissions de 2019. Le plafond d’émissions et la limite supérieure légale seront définitivement fixés en 2027, après que les données relatives aux émissions de 2026 auront été colligées. Au cours de la première période de conformité, les allocations seraient distribuées gratuitement au prorata du plafond d’émissions. Les allocations seraient distribuées selon la moyenne de la production historique pondérée sur trois ans et selon le taux de distribution applicable à l’activité ou au produit concerné prévu au règlement.

Conformité des installations et des exploitants

Le système sera mis en place progressivement entre 2026 et 2029. Une fois le système mis en place, les exploitants existants auront jusqu’au 1er janvier 2026 pour s’enregistrer conformément au règlement, les obligations de déclaration commençant en 2027 (pour les émissions de 2026) pour les grands exploitants et en 2029 (pour les émissions de 2028) pour les petits exploitants. La déclaration devra être produite chaque année au plus tard le 1er juin de l’année suivante. Il sera interdit à toutes les installations assujetties d’émettre des GES en raison d’une activité assujettie, à moins qu’elles ne se soient d’abord enregistrées dans le système. Une fois une installation enregistrée, le règlement lui interdirait d’émettre des GES sans remettre en échange un nombre suffisant d’unités de conformité.

Compte tenu du temps nécessaire à l’introduction de solutions de décarbonation dans le secteur, les mesures de souplesse en matière de conformité comprendraient des crédits compensatoires et des unités de décarbonation. Outre l’échange de droits d’émission, les périodes de conformité pluriannuelles et la mise en réserve de crédits pour une période pouvant aller jusqu’à six ans, les exploitants pourraient avoir la possibilité de remettre des crédits compensatoires canadiens ou de contribuer à un programme de financement de la décarbonation afin de couvrir une certaine partie de leurs émissions de GES. Malgré ces mesures, au moins 80 % des obligations de remise devraient être satisfaites au moyen des allocations distribuées.

Nouvelle consultation du secteur

Le projet de règlement sera publié dans la Gazette du Canada le 9 novembre 2024. Une période de consultation officielle supplémentaire est prévue à partir de cette date jusqu’au 8 janvier 2025. Des commentaires ont été demandés sur le projet de règlement et le projet de Méthodes de quantification pour le Règlement sur les plafonds d’émissions de gaz à effet de serre du secteur pétrolier et gazier. Le cadre de la consultation n’a pas encore été annoncé. La publication de la version définitive du règlement est prévue pour la fin de l’automne 2025, ce qui coïncidera avec la date la plus tardive des prochaines élections fédérales.

Point d’interrogation soulevé par la Constitution

Le projet de plafonnement et de règlement pourrait avoir une incidence importante sur le secteur pétrolier et gazier du Canada; il pourrait avoir notamment pour effet de réduite les investissements et la production. La réglementation des émissions de GES du secteur pétrolier et gazier de cette manière est, pour le gouvernement fédéral, un pas en avant qui pourrait être un pas de trop. Il est clair que la question se pose de savoir si, en vertu de la Constitution, le Parlement a la compétence requise pour réglementer les GES de cette manière. Le gouvernement de l’Alberta a déclaré [PDF; en anglais seulement] que le projet de plafonnement violerait l’article 92A de la Constitution et entraînerait des réductions et des fermetures dans le secteur de la production de pétrole et de gaz. La Loi constitutionnelle confère aux provinces une compétence générale et exclusive leur permettant de réglementer les questions liées à l’exploration et à l’exploitation des ressources pétrolières et gazières. La compétence du Parlement en la matière est beaucoup plus limitée et doit être fermement ancrée dans les pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi constitutionnelle.

Il sera important pour les acteurs du secteur pétrolier et gazier d’examiner et de suivre attentivement l’évolution du projet de règlement et d’envisager de participer au processus de consultation mentionné ci-dessus.