Auteurs(trice)
Associé, Affaires réglementaires, Autochtones et environnement, Toronto
Sociétaire, Litiges, Toronto
Associée, Litige; Affaires réglementaires, Autochtones et environnement, Toronto
Le 13 juin 2023, les dispositions législatives modifiant la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (LCPE), attendues depuis longtemps, ont été adoptées par le Sénat et ont reçu la sanction royale. Le projet de loi S‑5, la Loi sur le renforcement de la protection de l’environnement pour un Canada en santé, apporte les premières modifications fondamentales à la LCPE depuis 1999.
Le projet de loi S‑5 modifie la LCPE de deux manières importantes. Tout d’abord, la LCPE reconnaît désormais que les Canadiens et les Canadiennes ont « droit à un environnement sain, comme le prévoit cette loi ». Ensuite, le projet de loi S‑5 apporte des changements importants au processus d’évaluation des substances toxiques en vertu de la LCPE.
Contexte
La LCPE est le principal moyen dont dispose le gouvernement fédéral pour réglementer les substances toxiques. Elle lui confère le pouvoir de réglementer les produits chimiques qui répondent aux critères de l’article 77 et qui sont désignés comme substances à réglementer. Le gouvernement fédéral a récemment usé de ce pouvoir pour promulguer un règlement interdisant les plastiques à usage unique (dont nous avons parlé dans ce bulletin). Quiconque enfreint les dispositions de la LCPE relatives aux substances toxiques encourt une amende ou une peine d’emprisonnement.
Le processus de modification de la LCPE a débuté en 2016. En 2017, le comité de l’environnement de la Chambre des communes a convenu à l’unanimité que la LCPE devait être réformée, mais les projets de loi de modification sont morts au feuilleton lorsque les élections fédérales ont été déclenchées en 2019 et en 2021. Le projet de loi S‑5 a été présenté au Sénat le 9 février 2022 et adopté avec des modifications par la Chambre des communes le 30 mai 2023.
Reconnaissance d’un droit à un environnement sain
Les groupes de défense de l’environnement plaident depuis longtemps pour que le gouvernement canadien reconnaisse un droit à un environnement sain, tel qu’il figure dans certaines lois provinciales et territoriales, comme la Charte des droits environnementaux de l’Ontario et la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Par exemple, le préambule de la Charte des droits environnementaux de l’Ontario reconnaît que « [l]a population de l’Ontario a droit à un environnement sain ». Toutefois, la charte ne crée pas un droit fondamental autonome à un environnement sain ni ne prescrit une certaine norme de protection de l’environnement. Elle crée plutôt de nouveaux droits procéduraux qui prévoient la participation du public et la responsabilité du gouvernement dans le processus décisionnel en matière d’environnement. La Charte canadienne des droits et libertés ne prévoit pas de droit spécifique à un environnement sain.
Par suite de l’adoption du projet de loi S‑5, le préambule de la LCPE reconnaît désormais le « droit à un environnement sain, comme le prévoit cette loi ». Le projet de loi S‑5 modifie également le paragraphe 2(1) pour exiger du gouvernement qu’il protège ce droit « comme le prévoit la présente loi, sous réserve des limites raisonnables » et qu’il exerce ses pouvoirs de manière à « protéger l’environnement et la santé humaine, notamment celle des populations vulnérables », terme qui est défini pour la première fois dans la LCPE comme suit : « groupe de particuliers au sein de la population du Canada qui, en raison d’une plus grande sensibilité ou exposition, peut courir un risque accru d’effets nocifs sur la santé découlant de l’exposition à des substances ». Il s’agit là, sans doute, d’une reconnaissance de certains principes qui sous-tendent le concept de « justice environnementale ».
Le projet de loi S‑5 ajoute également un nouveau paragraphe 5.1(1) qui exigera des ministres fédéraux de l’Environnement et de la Santé qu’ils « élaborent un cadre de mise en œuvre […] afin de préciser la façon dont le droit à un environnement sain sera considéré dans l’exécution de la présente loi », qui précisera les éléments suivants :
- les principes à considérer dans l’exécution de la LCPE, « tels que le principe de non-régression, le principe de l’équité intergénérationnelle, selon lequel il importe de répondre aux besoins de la génération actuelle sans compromettre la possibilité pour les générations futures de satisfaire les leurs, et les principes de justice environnementale, l’un de ceux-ci étant la prévention des effets nocifs qui touchent de façon disproportionnée les populations vulnérables »;
- les recherches, études ou activités de surveillance visant à appuyer la protection du droit à un environnement sain;
- les « facteurs sociaux, sanitaires, scientifiques et économiques » pertinents à prendre en considération pour interpréter le droit à un environnement sain et pour en déterminer « les limites raisonnables »;
- les mécanismes visant à appuyer la protection de ce nouveau droit.
Cependant, l’incidence de la reconnaissance du droit à un environnement sain dans la LCPE n’est pas clair, et ce pour deux raisons.
Tout d’abord, le texte de la loi S‑5 est formulé en termes généraux, laisse un pouvoir discrétionnaire important à l’exécutif fédéral et ne prévoit aucun mécanisme d’application de la loi. Le préambule d’une loi ne fait qu’énoncer son objectif. En soi, il est inopposable. De plus, le droit reconnu au paragraphe 2(1) de la LCPE est assorti de « limites raisonnables », dont la définition est laissée à la discrétion de l’exécutif et à l’interprétation des tribunaux.
Ensuite, le projet de loi S‑5 ne prévoit pas de recours en cas de violation présumée de ce droit. Par exemple, le projet de loi S‑5 ne modifie pas l’article 22 (un pouvoir existant en vertu de la LCPE connu sous le nom d’« action en protection de l’environnement », qui permet aux particuliers d’intenter une action en justice dans des circonstances limitées pour demander réparation pour des infractions présumées à la LCPE), et ne fournit pas non plus d’autres recours pour faire respecter le nouveau droit reconnu à un environnement sain. Il est également évident qu’une violation présumée du droit, tel qu’il est exprimé dans le préambule de la LCPE, ne peut donner lieu à aucune mesure d’application de la loi.
Modification du processus d’évaluation des substances toxiques
Le projet de loi S‑5 apporte également plusieurs modifications au processus de désignation des substances à réglementer en vertu de la LCPE. Ce processus a été critiqué pour sa lenteur et son manque de réactivité, et sur les 4 300 substances désignées comme « substances d’intérêt prioritaire » à examiner par Santé Canada en 2006, 330 doivent encore être évaluées, ce qui ne devrait pas être fait avant 2024. Afin d’accélérer le processus d’examen, le projet de loi S‑5 crée un nouveau paragraphe 77(8) qui oblige les ministres de l’Environnement et de la Santé à fournir des explications écrites sur les délais de plus de deux ans.
Une fois qu’une substance a été évaluée par Santé Canada, elle est transmise au Cabinet, qui décide si elle doit être inscrite sur la liste des substances à réglementer en vertu de la LCPE. Avant le projet de loi S‑5, il existait deux listes de produits chimiques réglementés en vertu de la LCPE : l’annexe 1, la liste des substances toxiques, et la liste de quasi-élimination, réservée aux polluants les plus dangereux. Seules deux substances chimiques ont été inscrites sur la liste de quasi-élimination, l’une d’entre elles n’ayant jamais été utilisée au Canada. Parce que la liste de quasi-élimination était effectivement moribonde, le projet de loi S‑5 prévoit l’abrogation de cette liste et des pouvoirs réglementaires qui s’y rattachent.
Le projet de loi S‑5 supprime également le titre « Liste des substances toxiques » de l’annexe 1, à la demande de groupes industriels préoccupés par l’étiquetage de produits commerciaux d’usage courant comme étant « toxiques ». Le projet de loi S‑5 a modifié les critères d’inscription d’une substance à l’annexe 1, prévus au paragraphe 77(3), afin de tenir compte d’un éventail plus large d’effets nocifs potentiels, y compris le fait qu’elle est « cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction ». L’annexe 1 a également été divisée en deux parties :
- La partie 1 est réservée aux substances toxiques présentant le plus haut niveau de risque, la priorité devant être donnée à l’interdiction totale de leur utilisation. Le projet de loi S‑5 dresse la liste de 19 substances à réglementer dans la partie 1, comme le pesticide toxique DDT (dichlorodiphényltrichloroéthane).
- La partie 2 concerne les substances présentant un niveau de risque moindre, et les règlements donneront la priorité à la prévention de la pollution plutôt qu’à l’éradication. Le projet de loi S‑5 dresse la liste de 132 substances dans la partie 2, dont l’amiante, le plomb, le pétrole et les plastiques à usage unique.
Le projet de loi S‑5 vise également à rationaliser le processus d’évaluation des substances toxiques en modifiant la Loi sur les aliments et les drogues (LAD) afin de mettre en place un processus unique d’évaluation de la sécurité des médicaments et de leurs composants chimiques. Auparavant, l’évaluation des risques environnementaux des ingrédients des médicaments en vertu de la LCPE était distincte de l’examen de la santé et de la sécurité effectué en vertu de la LAD.
Si les modifications apportées au régime de contrôle des substances toxiques de la LCPE dans le projet de loi S‑5 peuvent accélérer le processus d’examen des produits chimiques en vue de leur réglementation, les pouvoirs réglementaires conférés par la loi sont en fin de compte laissés à l’appréciation du Cabinet. La question de savoir si le projet de loi S‑5 entraînera une réglementation plus ou moins stricte des substances toxiques dépendra en grande partie des inclinations du gouvernement en place.
Prochaines étapes
Il est trop tôt pour savoir quel sera l’incidence des modifications apportées à la LCPE. Beaucoup d’autres choses sont à venir. Il sera important de suivre la situation de près lorsque l’exécutif fédéral élaborera son plan de mise en œuvre précisant la manière dont le droit à un environnement sain sera pris en considération dans l’exécution de la LCPE et la manière dont il abordera l’examen et la réglementation des substances toxiques.