Le gouvernement fédéral canadien a révoqué un décret du cabinet qui avait été pris par le gouvernement conservateur précédent en juillet 2015, et qui avait pour but d’annuler une opération susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale du Canada. Le décret visant à annuler l’acquisition de la société montréalaise Technologies ITF Inc. (auparavant Avensys Inc.) (ITF) par la société de produits électroniques O-Net Communications (O-Net), établie à Hong Kong, avait été contesté par O-Net devant la Cour fédérale en 2015. Cette contestation s’est révélée fructueuse, car le décret a été annulé sur consentement, et un nouvel examen sera entrepris, une décision qui semble concorder avec les objectifs du gouvernement libéral de renforcer les relations commerciales avec la Chine et de stimuler les investissements étrangers en provenance de ce pays. La décision est également cohérente avec l’engagement du gouvernement envers une transparence accrue du régime d’examen relatif à la sécurité nationale en vertu de la Loi sur Investissement Canada (LIC).
Contexte
En juillet 2015, le gouvernement conservateur a pris un décret (le décret), qui avait pour but d’annuler l’acquisition d’ITF par O-Net, en raison du fait que l’opération de 5 millions de dollars était susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale du Canada. Les activités d’ITF incluent la fabrication et la distribution de composants et de modules optiques pour le marché des télécommunications, ainsi que la production d'appareils à haute puissance et de sous-ensembles pour les marchés industriels des télécommunications et de la transmission de données. Les produits d’ITF ont des applications dans différents secteurs, dont certains peuvent être considérés comme faisant partie des infrastructures essentielles du Canada, notamment les secteurs du domaine médical, du domaine scientifique, des télécommunications, de la transmission de données et de la défense/sécurité. Il a également été récemment dévoilé[1] qu’ITF avait précédemment entrepris des recherches de niveau universitaire à l’égard d’une technologie de messagerie à l’épreuve des pirates, en collaboration avec différentes branches de l’appareil de sécurité nationale du Canada, y compris le Centre de la sécurité des télécommunications et le Ministère de la Défense nationale (MDN). ITF semble également avoir conclu certaines ententes avec des entités gouvernementales, notamment concernant la vente d’équipement de pointe au MDN et l’obtention de financement pour la recherche et le développement de la part du Conseil national de recherches.
O-Net a demandé un contrôle judiciaire du décret, au motif qu’ITF avait été sous contrôle étranger depuis plus d’une décennie avant d’être acquise par O-Net au début de 2015 et qu’elle ne détenait aucune technologie qui n'était pas autrement facilement accessible sur le marché. La demande d’O-Net visait également à contester le décret au motif que ses [traduction] « droits à l’équité procédurale avaient été enfreints suite à… la prise de ce décret sans qu’aient été fournis à O-Net Communications des détails ou des renseignements substantiels concernant les préoccupations du ministre, ou sans que lui aient été fournis les fondements selon lesquels l’investissement pourrait porter atteinte à la sécurité nationale, et sans donner à O-Net Communications de possibilité concrète de réagir à cet égard. »
En novembre 2016, la Cour fédérale a annulé le décret et renvoyé la cause au Ministère de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique, afin qu’il entreprenne un nouvel examen de l’investissement. C’est la première fois qu’un décret pris aux termes d'un examen relatif à la sécurité nationale a été annulé, avec le consentement du gouvernement ou autrement. Cela étant dit, aucune décision finale n’a encore été rendue à l’égard du nouvel examen.
Conséquences
Selon le rapport annuel d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada publié en août 2016, il y a eu huit investissements qui ont fait l'objet d'examens relatifs à la sécurité nationale au Canada depuis l’implantation du régime en 2009. Parmi ces huit investissements, trois d’entre eux ont été ultimement interdits, deux ont exigé de l'investisseur qu'il se départisse de l'investissement et deux d’entre eux ont été permis sous conditions, sous réserve de la mise en œuvre de mesures destinées à réduire les risques pertinents relatifs à la sécurité nationale. Le dernier investissement a été retiré avant la conclusion de l’examen.
Même si les détails de la discussion entre O-Net et le gouvernement sont confidentiels, l’intention du gouvernement de renverser la décision initiale et d’entreprendre un nouvel examen illustre une souplesse nouvelle dans l’approche actuelle du gouvernement fédéral concernant l’examen des investissements pouvant soulever des préoccupations en matière de sécurité nationale.
Plus particulièrement, la décision de revoir avec un regard neuf l’examen O-Net-ITF pourrait signaler aux investisseurs chinois et aux autres investisseurs non canadiens que le Canada est de plus en plus ouvert à leurs investissements. Cette apparente ouverture est cohérente avec les lignes directrices sur la sécurité nationale publiées récemment (les lignes directrices) (abordées par Osler ici), dans lesquelles le pays d’origine de l’investisseur avait été omis de la liste (non exhaustive) de facteurs à considérer par le gouvernement lors de l’évaluation des risques relatifs à la sécurité nationale associés à un investissement. Même si les investisseurs provenant de pays en particulier ne seront pas automatiquement présumés être des menaces à la sécurité nationale, les lignes directrices énoncent que l’identité et les activités commerciales d’un investisseur demeurent des éléments pertinents pour les questions de sécurité nationale.
Les lignes directrices prévoient également que doit être prise en considération l'influence potentielle d'un tiers sur un investisseur (problème particulièrement pertinent dans le cas des investisseurs chinois); le lien possible entre le gouvernement chinois et un investisseur, ou l’influence éventuelle du gouvernement chinois sur un investisseur pouvant compliquer l’analyse relative à la sécurité nationale d'un investissement par ailleurs banal en apparence.
Bien que cette décision puisse être perçue comme étant une avancée positive, elle ne devrait pas laisser sous-entendre que les investisseurs chinois (et les autres investisseurs non canadiens) — et en particulier les investisseurs contrôlés par des sociétés d’État — seront exempts de surveillance aux termes du régime d’examen relatif à la sécurité nationale de la LIC. Elle laisse supposer, cependant, que l’engagement du gouvernement de stimuler les investissements de la Chine au Canada pourrait devenir une considération de plus en plus importante dans le cadre de l’application de la procédure d’examen relatif à la sécurité nationale. La récente nomination de John McCallum — un des ministres les plus expérimentés et respectés du premier ministre Trudeau — à titre d’ambassadeur du Canada en Chine constitue une preuve additionnelle de l’importance accordée par le gouvernement aux relations sino-canadiennes. Cette avancée arrive particulièrement au bon moment, compte tenu de l’hostilité envers la Chine exprimée par le président élu des États-Unis, M. Trump.
[1] Consultez le Globe and Mail en ligne au www.theglobeandmail.com/news/politics/montreal-firm-targeted-in-chinese-takeover-did-research-with-canadian-government/article33613518/.