Auteurs(trice)
Associé, Concurrence, commerce international et investissement étranger, Toronto
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Sociétaire, Concurrence, commerce et investissement étranger, Toronto
Associé, Fiscalité, Toronto
Sociétaire, Fiscalité, Toronto
Sociétaire, Droit de la concurrence, du commerce et de l’investissement étranger, Toronto
Sociétaire, Droit de la concurrence et investissement étranger, Toronto
Sociétaire, Concurrence, commerce international et investissement étranger, Toronto
Le 28 juin 2024, la Loi sur la taxe sur les services numériques du Canada (la Loi), présentée dans le cadre du projet de loi C-59, est entrée en vigueur. Comme nous l’indiquons dans le présent bulletin, la Loi pose des risques pour les exportateurs canadiens, car elle pourrait entraîner des tarifs douaniers de représailles ou d’autres mesures de la part des États-Unis.
Le contexte
La Loi et son règlement d’application imposent une taxe de 3 % sur le « revenu de services numériques », y compris le revenu canadien provenant de ce qui suit :
- les services de marché en ligne (revenu gagné relativement à un marché en ligne mettant en relation des acheteurs et des vendeurs de biens)
- les services de publicité en ligne (revenu provenant de services de placement de publicités en ligne ciblées)
- les services de médias sociaux (revenu gagné relativement à une plateforme de médias sociaux qui provient de la facilitation d’une interaction entre des utilisateurs)
- les données d’utilisateurs (si les données sont recueillies auprès des utilisateurs en ligne, revenu provenant de la vente des données ou de l’octroi de l’accès aux données)
Alors que la Loi définit le cadre législatif, son fonctionnement et ses détails techniques sont largement mis en œuvre par voie réglementaire. En particulier, et en plus de fixer le taux de la taxe à 3 %, le Règlement sur la taxe sur les services numériques stipule que la Loi s’applique à toute entité fournissant des « services numériques » dont le revenu global au cours de son dernier exercice est d’au moins 750 millions d’euros, et dont le revenu canadien de services numériques est supérieur à 20 millions de dollars canadiens. La TSN est effectivement rétroactive : la première année d’application est 2024, mais le premier paiement portera sur le revenu gagné entre le 1er janvier 2022 et la fin de 2024.
Pour plus de détails sur le fonctionnement technique de la Loi, veuillez consulter le Bulletin d’actualités Osler du 21 décembre 2021 (avant-projet de loi initial), celui du 10 août 2023 (avant-projet de loi modifié), celui du 4 décembre 2023 (version finale parue dans le projet de loi C-59, tel que celui-ci a été adopté le 20 juin 2024) et celui du 4 juillet 2024 (entrée en vigueur de la Loi).
En décidant de recourir principalement à la voie réglementaire pour ce qui est du fonctionnement du régime de la taxe sur les services numériques (TSN), le gouvernement laisse entendre qu’il s’attend à ce que la communauté internationale fasse pression pour qu’il le modifie, ce qui peut généralement être fait plus rapidement par cette voie que par la voie législative.
Taxes sur les services numériques en vigueur ailleurs dans le monde
Le Canada n’est pas le premier pays à mettre en œuvre des mesures visant à taxer les services numériques fournis par les « géants de la technologie » multinationaux. À l’heure actuelle, la France, le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne, l’Autriche, l’Australie et certains autres États membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont adopté des lois similaires. Ces TSN ont vu le jour dans le contexte des négociations entre les membres du Cadre inclusif de l’OCDE et du G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (le Cadre inclusif), qui vise à relever les défis fiscaux posés par la numérisation de l’économie. Le Cadre inclusif envisage une solution à deux piliers : le Pilier Un vise à accorder aux juridictions de marché de nouveaux droits d’imposition sur les plus grands groupes multinationaux, et le Pilier Deux introduit un impôt minimum mondial pour les groupes dont le chiffre d’affaires s’élève à au moins 750 millions d’euros. Le Canada a mis en œuvre le Pilier Deux par le biais de la Loi de l’impôt minimum mondial.[1]
Les seuils de la TSN canadienne ressemblent le plus à ceux de la TSN française, qui a été promulguée en 2019. Tout comme le Canada, la France impose une taxe de 3 % aux entreprises dont le revenu mondial est d’au moins 750 millions d’euros, dont le revenu français est d’au moins 25 millions d’euros et dont le revenu brut des services numériques provient de la « participation des utilisateurs ».
La TSN française a suscité une forte opposition de la part des États-Unis. En juillet 2020, à la suite d’un rapport du bureau du U.S. Trade Representative (l’USTR) selon lequel la TSN française constituait une mesure discriminatoire déraisonnable à l’égard d’entreprises américaines telles qu’Apple, Amazon, Google et Facebook, les États-Unis ont annoncé qu’ils imposeraient des tarifs douaniers de représailles de 25 % au titre de l’article 301 sur 1,3 milliard de dollars de produits français, notamment des cosmétiques, des sacs à main de luxe et des savons assortis, soit des produits qui représentaient environ 2,3 % des exportations de la France vers les États-Unis en 2019. L’annonce de juillet 2020 a suspendu l’application des tarifs douaniers au titre de l’article 301 jusqu’en janvier 2021.
En janvier 2021, les États-Unis ont prolongé la suspension de leurs tarifs douaniers au titre de l’article 301 à l’encontre de la France et ont ensuite conclu un accord, appelé le Unilateral Measures Compromise (le Compromis sur les mesures unilatérales), avec la France, l’Espagne, l’Autriche, l’Italie, le Royaume-Uni et, plus tard, la Turquie. Les parties à cet accord pouvaient maintenir leur TSN sans s’exposer à des mesures de représailles commerciales de la part des États-Unis jusqu’à la plus rapprochée des dates suivantes : la date de mise en œuvre du Pilier Un du Cadre inclusif ou le 30 juin 2024.
Le gouvernement du Canada a fait valoir que l’absence de progrès dans les négociations entourant le Cadre inclusif de l’OCDE justifiait sa TSN unilatérale. Alors que l’OCDE avait reporté au 30 juin 2024 la date limite pour parvenir à un accord sur le Pilier Un du Cadre inclusif, aucun accord n’a été conclu à cette date.
Réponse potentielle des États-Unis à la Loi du Canada
Comme l’USTR a déjà conclu que la TSN française constituait une mesure discriminatoire déraisonnable à l’égard des fournisseurs de services numériques américains, les États-Unis ont déjà exprimé leur opposition à la TSN canadienne. Par exemple, l’USTR a toujours exprimé son opposition à la mise en œuvre d’une TSN par le Canada depuis au moins 2021.[2] Le 20 juin 2024, la U.S. Chamber of Commerce (la USCoC) s’est [traduction libre] « fortement opposée à l’adoption de [la Loi] par le Parlement du Canada » et a affirmé que la Loi porterait un préjudice disproportionné aux entreprises technologiques américaines. Le 10 juin 2024, la Computer and Communications Industry Association a demandé à l’administration Biden d’engager des procédures de consultation officielles en vertu de l’Accord de libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique (l’ACEUM), étant donné que [traduction libre] « les principales caractéristiques de la TSN du Canada reflètent celles qui ont été jugées déraisonnables, lourdes et discriminatoires dans le cadre de l’enquête [de l’USTR] sur les TSN analogues de la France et d’autres pays ».
Plus récemment, le 11 juillet 2024, les Républicains du Ways and Means Committee de la Chambre des représentants ont écrit une lettre à l’USTR pour lui demander [traduction libre] « d’ouvrir immédiatement une enquête sur la [taxe sur les services numériques] du Canada en vertu de l’article 301 de la loi sur le commerce de 1974 ».
S’ils décidaient de le faire, les États-Unis pourraient contester la TSN canadienne en vertu des chapitres sur les services et le commerce numérique de l’ACEUM, ou auprès de l’Organisation mondiale du commerce en vertu de l’Accord général sur le commerce des services. Les États-Unis pourraient également ignorer les mécanismes de règlement des différends prévus par ces accords et imposer des tarifs douaniers de représailles au titre de l’article 301 sur les exportations canadiennes politiquement sensibles et substituables, comme ils l’ont fait avec la France. Ces tarifs douaniers de représailles seraient probablement contraires aux obligations conventionnelles des États-Unis, et le Canada pourrait les contester, y compris dans le cadre de l’ACEUM, mais entre-temps, les tarifs douaniers pourraient gravement perturber les secteurs ciblés. Le Canada pourrait également déclencher une riposte équivalente, comme il l’a fait lorsque l’administration Trump a imposé unilatéralement des tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium canadiens, ce qui perturberait encore davantage le commerce transfrontalier.
Conclusion
Compte tenu de la réaction des États-Unis à des régimes de TSN similaires dans le monde, de l’opposition et des commentaires continus d’acteurs privés et étatiques américains, et d’autres efforts visant à éliminer des mesures similaires à l’échelle mondiale, l’adoption par le Canada de son régime de TSN risque de provoquer des représailles commerciales de la part de son partenaire commercial le plus important.
Le groupe Droit du commerce international d’Osler suit de près cette affaire et évalue l’incidence qu’elle pourrait avoir sur les entreprises engagées dans le commerce transfrontalier. Si vous avez des questions, n’hésitez pas à communiquer avec l’un des membres de notre équipe.
[1] Pour plus de détails sur le Cadre inclusif, veuillez consulter le Bulletin d’actualités Osler du 12 octobre 2021. Pour plus de détails sur la Loi de l’impôt minimum mondial, veuillez consulter celui du 2 mai 2024.
[2] Voir par exemple les déclarations de l’USTR du 15 décembre 2021 et du 22 février 2022.