Les décisions de la Cour suprême dans les affaires Fairmont et Jean Coutu (PJC)
Le 9 décembre 2016, la Cour suprême du Canada a rendu deux décisions très attendues dans les affaires Fairmont [1] et PJC [2], qui clarifient la portée du recours en rectification au Canada, ce qui a une forte incidence sur la planification fiscale et sur les affaires commerciales.
La doctrine de rectification en equity, comme son équivalent en droit civil, vise à traiter les situations dans lesquelles les parties ont convenu de modalités contractuelles, mais que, par inadvertance, le contrat écrit ne tient pas compte de ces modalités. À l'origine, la doctrine de rectification ne s'appliquait que s'il y a avait une preuve manifeste du fait que les parties avaient convenu de modalités particulières qui n'étaient pas consignées dans un accord écrit.
Au cours des dernières années, on a constaté, dans les affaires fiscales canadiennes, une tendance à une approche plus flexible de la rectification, qui donne effet à l’intention ferme des parties. Plus particulièrement, la rectification a été accordée pour corriger une situation dans laquelle l’entente écrite des parties prenait acte des modalités envisagées d’une opération ou d’une série d’opérations, mais qu’elle ne produisait pas les résultats fiscaux escomptés par les parties. La rectification a été accordée parce que l’entente, telle que consignée, ne donnait pas suite à l’intention persistante des parties d’effectuer une opération sur un fondement fiscal particulier, même si elle faisait état, de façon exacte, des rapports juridiques envisagés par les parties.
Tant dans Fairmont que dans PJC, la majorité des juges de la Cour suprême (7 contre 2) a conclu qu’il n’y a rectification que dans les cas où un instrument écrit a consigné incorrectement les rapports juridiques entre les parties. La tendance jurisprudentielle à une approche plus vaste de la rectification a été écartée.
La doctrine de rectification en equity
Par le passé, la rectification, dans des ressorts de common law, était accordée dans des circonstances très précises, lorsque les parties avaient conclu une entente auparavant, mais que les documents faisant foi du contrat ne faisaient pas état de cette entente.[3] En 1953, le lord juge Denning statuait que « pour obtenir une rectification, il faut démontrer que les parties étaient parfaitement d’accord sur les stipulations du contrat, mais qu’elles ont fait une erreur lorsqu’elles les ont consignées par écrit. »[4]
En l'an 2000, les exigences, pour obtenir une rectification dans le contexte fiscal canadien, étaient interprétées d'une manière plus flexible.
L'approche Juliar
En droit fiscal canadien, les conséquences fiscales découlent généralement des effets juridiques des documents constitutifs. Les rapports juridiques ne font l'objet d'une nouvelle qualification à des fins fiscales que dans certaines situations précises.[5] Par conséquent, lorsqu'il y a une erreur dans un document juridique, cette erreur peut mener à des conséquences fiscales non intentionnelles, même si c'est contraire à l'intention des parties.
Les contribuables qui avaient des impôts imprévus à payer à la suite de certaines erreurs ont fait des demandes de rectification à titre de recours potentiel.
Juliar [6] a été la pierre angulaire des décisions fiscales canadiennes sur le plan de la rectification. Dans Juliar, la Cour supérieure de l'Ontario n'a pas exigé que la partie cherchant à obtenir une rectification ait déterminé avec précision les mécanismes ou les modalités selon lesquels la partie ne parviendrait pas aux résultats souhaités.[7] Il suffisait, dans Juliar, que les parties aient l'intention commune et persistante de réaliser un transfert de propriété, sans créer d'obligation fiscale relativement à ce transfert de propriété. Après que la Cour d'appel de l'Ontario eut confirmé cette décision, la Cour suprême a refusé l'autorisation de se pourvoir.
À la suite de la décision Juliar, certains tribunaux ont accordé la rectificatino dans des affaires relatives aux impôts, dans le cadre desquelles les parties avaient établi les rapports juridiques qu'elles avaient eu l'intention de créer, mais où les résultats fiscaux découlant des rapports juridiques étaient manifestement inattendus pour les parties.
Performance Industries et Shafron
Après avoir refusé d'entendre l'affaire Juliar en 2000, la Cour suprême a entendu deux affaires de rectification survenues dans un contexte non fiscal dans des provinces de common law. Dans Performance Industries (2002) [8] et Shafron (2009),[9], la Cour suprême s'est penchée sur le fait que les ententes écrites présentaient, ou non, les modalités exactes qui avaient été convenues par les parties.[10]
La décision dans l'affaire Fairmont dissipe les tensions entre l'approche dans Performance Industries et l'approche dans Juliar
Les courants jurisprudentiels de Juliar n'ont pas été suivis avec constance, particulièrement à l'extérieur de l'Ontario. Même si certains commentateurs ont laissé entendre que le concept de rectification de Juliar (appliqué dans la décision du tribunal d'instance inférieure dans l'affaire Fairmont) est d'une trop grande portée aux fins de rectification[11], d'autres ont considéré le cadre de Juliar comme étant approprié, et ont soutenu que les critiques négatives à l'égard de cette approche étaient exagérées et sans fondement.[12]
L'affaire Fairmont [13] est survenue dans ce contexte. Après avoir entendu la demande de rectification du demandeur, la Cour supérieure de l’Ontario et la Cour d’appel de l’Ontario ont suivi l’approche présentée dans l’affaire Juliar, et ont accordé la rectification, au motif que les parties avaient l’intention commune et persistante d’assurer une protection contre le risque de change, de façon neutre, sur le plan fiscal, et qu’elles avaient déterminé à l’origine qu’un rachat des actions irait à l’encontre de leur intention. Le rachat d’actions a toutefois eu lieu, erronément. Les tribunaux d’instance inférieure ont autorisé les parties à transformer en prêt le rachat des actions afin que Fairmont puisse atteindre son objectif de protection de façon neutre, sur le plan fiscal. Par contre, la Cour suprême a accueilli l’appel interjeté par le procureur général, et a convenu que la seule intention générale de réaliser des opérations « neutres, du point de vue fiscal », n’était pas suffisante pour que les parties aient droit à une rectification. Les juges majoritaires de la Cour suprême ont convenu que la Cour d’appel de l’Ontario avait commis une erreur en appliquant le seuil de l’affaire Juliar aux fins de rectification, et ont plutôt appliqué les critères plus élevés établis dans les décisions relatives aux affaires Performance Industries et Shafron.
Conclusions à tirer de l'affaire Fairmont
Il peut être encore possible de recourir à la rectification pour faire face à des obligations fiscales inattendues, à condition que les circonstances justifient une rectification, en vertu de la doctrine de rectification traditionnelle en equity. Les juges majoritaires dans l’affaire Fairmont ont proposé les lignes directrices suivantes quant aux circonstances où une rectification peut être accordée :
Lorsqu’on allègue que l’erreur découle d’une erreur commune à toutes les parties à l’entente, le tribunal peut accorder la rectification s’il est convaincu que, selon la prépondérance des probabilités, il y avait une entente antérieure dont les modalités sont déterminées et déterminables, que l’entente était toujours en vigueur au moment de la signature de l’instrument, que l’instrument ne consigne pas correctement l’entente et que l’instrument, s’il est rectifié, exécuterait l’entente antérieure des parties.[14]
De façon prospective, la décision de la Cour souligne l’importance d’une rédaction juridique soigneuse et motivée, documentant les intentions des parties. La décision souligne également l’importance d’une planification fiscale détaillée qui présente non seulement les résultats projetés, mais aussi les mesures juridiques concrètes et les relations nécessaires pour obtenir les résultats convenus par les parties.
De plus, les parties devraient songer à créer des registres permettant de consigner leurs intentions, tant ce qu’ils envisagent d’accomplir, que la façon dont ils prévoient y parvenir. Ces registres comporteraient l’ajout d’attendus plus détaillés aux principales ententes, et créeraient en outre de la documentation ponctuelle sur les intentions au moment où l’entente est conclue.
Rectification en droit civil : la décision dans PJC
La décision connexe au jugement dans l’affaire Fairmont, soit PJC, est une affaire de droit civil entendue au Québec. Même si le terme « rectification » est utilisé en droit civil au Québec, il n’existe, à strictement parler, aucune doctrine de rectification au Québec. La réparation prévue, en droit civil québécois, est énoncée à l’article 1425 du Code civil du Québec (CCQ), qui exige que « dans l’interprétation du contrat, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes utilisés », ce qui établit une distinction entre l’entente réelle conclue entre les deux parties et les moyens utilisés pour exprimer cette entente.
Contrairement à Fairmont, qui constituait la première décision de la Cour suprême sur la rectification dans un contexte fiscal, l’affaire PJC a été jugée à peine trois ans après que la Cour suprême eut rendu sa décision dans une affaire de rectification fiscale en droit civil : AES.[15] L’affaire AES avait trait à deux demandes de rectification en droit civil. Les deux demandes visaient à corriger des erreurs commises au cours de la mise en place de structures qui, n’eût été ces erreurs, n’auraient eu aucune incidence fiscale. Le juge LeBel a confirmé les corrections à l’égard des contribuables dans une décision unanime, en se fondant uniquement sur le CCQ, plutôt que d’importer la rectification en common law. Il a souligné qu’en droit civil, le droit des contrats repose sur le consensualisme, et que les parties sont libres de corriger des documents pour tenir compte de leur intention commune, sous réserve de droits de tiers. Cependant, il a déclaré que « le fisc ne possède pas de droit acquis au bénéfice d’une erreur que les parties à un contrat auraient commise, puis corrigée de consentement mutuel ».[16] À l’inverse, le juge LeBel a conclu qu’une intention commune de réduire ses obligations fiscales ne suffit pas en elle-même pour justifier la rectification. En fin de compte, dans les deux affaires, la preuve appuie l’intention commune de réaliser la planification fiscale établie dans les contrats rectifiés, mais le juge LeBel a strictement limité la valeur de précédent de sa décision au contexte du droit civil.
Dans le cas de PJC, il s’agissait d’une simple application des principes établis auparavant dans AES, même si contrairement à ce qui s’est produit dans AES, le contribuable dans PJC n’a pas eu gain de cause. La principale implication de la décision dans PJC est sa confirmation, également exprimée dans Fairmont, que la rectification en common law et en droit civil devrait produire des résultats constants. Malgré la différence dans la loi sous-jacente, ce principe signifie que les causes en common law devraient avoir un caractère persuasif au Québec, et vice versa. PJC fournit également un exemple utile d’une rectification qui a échoué et qui, avec AES, contribue à démontrer où l’on devrait, ou du moins, où l’on devra dorénavant, fixer la limite.
La décision intégrale dans Fairmont peut être consultée à l'adresse suivante : http://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/16281/index.do.
La décision intégrale dans PJC peut être consultée à l'adresse suivante : http://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/16280/index.do.
[1] Canada (Procureur général) c. Hôtels Fairmont Inc., 2016 CSC 56 (Fairmont).
[2] Groupe Jean Coutu (PJC) inc. c. Canada (Procureur général), 2016 CSC 55 (PJC).
[3] Dynamex Canada Inc. c. Miller (Dynamex), 78 A.C.W.S. (3d) 725, 1998 CarswellNfld 88, par. 23.
[4] Frederick E. Rose (London) Ltd. c. William H Pim Jnr. & Co. C.A, cité dans Dynamex, par. 17.
[5] Shell Canada Ltd v. R., [1999] 3 R.C.S. 622, 1999 CarswellNat 1808, par. 39.
[6] Juliar c. Canada (Attorney General), 1999 CarswellOnt 2970, confirmé par la Cour d'appel de l'Ontario, dans 50 O.R. (3d) 728, 8 B.L.R. (3d) 167; autorisation de pourvoi leave to appeal to SCC refused, [2000] SCCA No 621.
[7] Fairmont Hotels Inc. v. Canada (Attorney General), 2015 ONCA 441, 2015 CarswellOnt 8955, par. 10.
[8] Performance Industries Ltd. v. Sylvan Lake Golf & Tennis Club Ltd., 2002 CSC 19, [2002] 1 R.C.S. 678 (Performance Industries).
[9] Shafron c. KRG Insurance Brokers (Western) Inc., 2009 CSC 6, [2009] 1 R.C.S. 157 (Shafron).
[10] Voir, par exemple, Performance Industries, par. 40; Shafron, par. 57.
[11] Voir, par exemple, Bruce S. Russell et Karen D. Stilwell, Aspects of Fixing Mistakes in Tax Context: Rectification and Due Diligence, 2009 Atlantic Provinces Tax Conference (Halifax : Fondation canadienne de fiscalité, 2009) alinéa 6A :1-46.
[12] Voir, par exemple, Jeff Oldewening, Rachel A. Gold, et Chris Sheridan, Statutory Rectification dans Derek Alty et autres, éditeurs, Corporate Tax Planning (2016) 64:1, Revue fiscale canadienne, 293-325.
[13] 2014 ONSC 7302, 2014 CarswellOnt 17975.
[14] Fairmont, par. 38.
[15] Quebec (Agence du revenu) c. Services Environnementaux AES inc., [2013] 3 CSC 838, 2013 R.C.S. 65.
[16] Ibidem, par. 52.