Auteurs(trice)
Associé, Fiscalité, Montréal
Associée, Fiscalité, Calgary
Le 17 février 2022, la Cour d’appel du Québec a rendu sa décision dans l’affaire Agence du revenu du Québec vs. J.D. Irving Limited, rejetant le pourvoi de Revenu Québec contre la décision de la Cour du Québec.
Dans le cadre de l’appel, Revenu Québec remettait en cause la planification de consolidation interne de pertes entre la société contribuable et certaines entités liées. En bref, la consolidation des pertes s’opérait au moyen d’un transfert à Irving Pulp and Paper Limited (IPPL), une société du même groupe, de pièces d’équipement antipollution ensuite intégrées à son usine. En transférant la propriété de l’équipement au sein du groupe d’entités liées, la société contribuable, une entreprise profitable, était en mesure de réclamer des déductions pour amortissement du coût en capital de cet équipement, tandis que le revenu récupéré était réalisé par une société affiliée ayant subi des pertes. Alors que l’équipement appartenait à la société contribuable, celle-ci fournissait à IPPL des services de contrôle de la pollution à l’aune des normes applicables, en plus de lui confier en sous-traitance certains aspects du fonctionnement de l’équipement, le tout conformément aux « Operating and Services Agreements » intervenus entre les parties.
Revenu Québec a contesté les opérations en cherchant à appliquer à ces contrats les règles relatives aux biens sous prêt-bail, ce qui aurait pour effet de limiter les déductions pour amortissement du coût de l’équipement au montant des frais payés par IPPL pour les services de contrôle de la pollution, réduisant ainsi considérablement l’efficacité de la consolidation des pertes recherchée. Revenu Québec n’a pas plaidé qu’il s’agissait d’un trompe-l’œil ni invoqué la règle générale anti-évitement, soutenant plutôt, au procès comme en appel, que les contrats en cause devaient être requalifiés de prêts-baux.
Les « Operating and Services Agreements » étant régis par le droit du Nouveau-Brunswick, le juge Gatien Fournier a conclu, au procès, que les éléments essentiels du contrat de location en vertu de la common law, soit la jouissance paisible et la possession exclusive, n’étaient pas présents en l’espèce. Il était plutôt d’avis que les obligations prévues aux contrats en cause, et l’intention des parties en les concluant, dépassaient largement le cadre de la location.
En appel, Revenu Québec a cherché à remettre en cause cette conclusion en adoptant une position déclinée en plusieurs arguments connexes : selon l’agence, la Cour devait en faire abstraction des aspects de l’entente confiés en sous-traitance à IPPL, de sorte que seul le volet location subsisterait. Un des arguments mis de l’avant par Revenu Québec à cette fin était celui de la « doctrine of merger » de common law, ou confusion, qui découle de la règle prohibant la conclusion de contrat avec soi-même et qui éteint les obligations lorsqu’il y a réunion des qualités de débiteur et de créancier dans une même personne. La Cour d’appel a convenu avec la société contribuable que ce principe ne pouvait servir à annuler certains aspects d’un contrat les uns contre les autres pour ensuite attribuer une nouvelle qualification au reliquat.
La Cour d’appel du Québec a confirmé qu’il ne s’agissait pas ici d’un cas justifiant la requalification d’un contrat. Ce faisant, en réponse à un des arguments de Revenu Québec à ce sujet, elle a également confirmé que pour qu’une entente se qualifie de contrat de service, il n’est pas nécessaire que le prestataire de service fasse affaire dans ce domaine (en l’espèce, le contrôle de la pollution), l’entreprise pouvant exercer l’ensemble de ses activités par l’entremise de sous-traitants.
L’arrêt de la Cour d’appel du Québec constitue un rappel utile du principe de droit fiscal canadien voulant qu’en l’absence de trompe-l’œil, la qualification des opérations juridiques conclues par le contribuable doive être respectée, à moins que la désignation de celles-ci ne reflète pas convenablement leurs effets juridiques véritables. Dans cette affaire, tant le tribunal d’instance que la Cour d’appel ont confirmé que la qualification des opérations par la société contribuable était tout à fait conforme à leurs effets juridiques ainsi qu’à l’intention des parties. Cette décision constituera vraisemblablement un précédent utile pour les contribuables québécois qui, dans le cours normal de leurs activités, recourent à des opérations de consolidation de pertes, dont l’efficacité tient au respect de la forme juridique des opérations.
L’équipe d’Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l. qui a conseillé J.D. Irving dans ce dossier était composée de Louis Tassé, de Joanne Vandale, de Laura Scheim et de David Wilson.