La Cour d’appel du Québec harmonise le droit canadien en interdisant la communication préalable de documents avant l’obtention de l’autorisation d’exercer une action collective en valeurs mobilières

5 Fév 2018 5 MIN DE LECTURE

Dans son arrêt Amaya inc. c. Derome rendu le 31 janvier 2018, la Cour d’appel du Québec a infirmé une décision prononcée par la Cour supérieure du Québec. Selon la Cour supérieure, les parties demandant l’autorisation d’intenter une action pour informations fausses ou trompeuses relatives au marché secondaire fondée sur l’article 225.4 de la Loi sur les valeurs mobilières (LVM), avaient le droit de forcer un défendeur, émetteur assujetti, à divulguer des documents et de l’information aux fins de la procédure en autorisation. Harmonisant le régime du Québec avec celui des autres provinces canadiennes, la Cour d’appel a jugé qu’une telle communication préalable de documents allait à l’encontre de la politique législative derrière le mécanisme d’autorisation de la LVM, lequel vise à protéger les émetteurs publics contre des poursuites abusives.

Contexte

Le 23 mars 2016, l’Autorité des marchés financiers (l’AMF) a publié un communiqué de presse annonçant qu’elle avait déposé des accusations pénales à l’encontre, notamment, de David Baazov, alors président et chef de la direction, président du conseil d’administration et actionnaire de l’appelante, Amaya inc. (aujourd’hui « The Stars Group Inc. »). L’AMF accuse ces personnes d’avoir utilisé de l’information privilégiée au sujet d’Amaya, et de s’être concertées en vue de commettre des infractions en vertu de la LVM. Une action collective en vertu de l’article 574 du Code de procédure civile (CPC) et de l’article 225.4 de la LVM a immédiatement été intentée contre Amaya et certains de ses administrateurs. 

Avant l’audition à la fois de leur demande d’autorisation en vertu de la LVM et de leur demande d’autorisation d’exercer une action collective en vertu du CPC, les représentants de l’action collective ont déposé une requête préliminaire visant à forcer Amaya, l’AMF et la GRC à  divulguer des éléments de preuve documentaire. Dans leur requête, les représentants de l’action collective demandaient la production de documents, dont la majorité n’était pas accessible au public, afin de les aider à s’acquitter du fardeau de la preuve qui leur incombe au stade  de l’’autorisation de l’article 225.4 de la LVM.

La Cour supérieure a accueilli leur requête, estimant que les demandeurs  avaient le droit de forcer un émetteur assujetti à divulguer des documents et de l’information aux fins de la procédure d’autorisation de l’article 225.4, même dans des cas où une telle divulgation est interdite ailleurs au Canada. Dans ses motifs, le juge de première instance a invoqué, notamment, les différences entre les dispositions pertinentes des régimes législatifs et règles applicables au Québec et en Ontario. Amaya a interjeté appel de cette décision.

Motifs de la Cour d’appel

La Cour d’appel a infirmé la décision de la Cour supérieure, concluant que la divulgation d’éléments de preuve documentaire ne devrait pas être autorisée au stade de l’’autorisation parce que cela irait à l’encontre de la politique législative sous-tendant l’article 225.4 de la LVM, particulièrement en ce qui concerne l’objectif de protéger les émetteurs assujettis contre les procédures abusives.

La Cour d’appel a souscrit à la position d’Amaya, concluant que le régime du Québec devait s’harmoniser avec les régimes équivalents des autres provinces du Canada.

Bien que la Cour d’appel était d’accord avec le juge de première instance que les règles de l’Ontario et celles du Québec n’étaient pas identiques, elle a conclu que leurs différences n’avaient aucune incidence sur le fardeau que les membres de l’action collective devaient satisfaire au stade de l’autorisation. Au contraire, la Cour d’appel a jugé que le régime québécois, [traduction] « sur le plan du droit substantiel en matière de valeurs mobilières, traduit la même politique législative que celui de l’Ontario » [au paragraphe 95]. Étant donné que la communication préalable est interdite dans toutes les autres provinces canadiennes, rien ne justifie de faire exception à cette règle au Québec.

De plus, la Cour d’appel a conclu que le nouveau CPC, plus précisément l’article 20 (obligation de coopérer entre les parties), ne crée pas de droit autonome à la communication préalable de documents avant l’obtention de l’autorisation d’exercer une action collective, à tout le moins dans le cas d’un recours pour informations fausses ou trompeuses sur le marché secondaire.

Commentaire

L’arrêt de la Cour d’appel harmonise le droit des provinces canadiennes en ce qui concerne l’interdiction de la communication préalable de documents au stade de la demande d’autorisation d’exercer une action collective en valeurs mobilières. Ce faisant, elle élimine l’avantage éventuel et stratégique qu’un demandeur aurait pu avoir en instituant  au Québec une action collective pancanadienne pour des informations fausses ou trompeuses sur le marché secondaire.

Cet arrêt pourrait faire l’objet d’une demande d’autorisation d’appel devant la Cour suprême du Canada.


[1] Les auteurs de ce bulletin Actualités Osler ont représenté l’ensemble des défendeurs dans l’action collective envisagée, et ont comparu devant la Cour d’appel du Québec dans cette affaire.