La Cour d’appel de l’Ontario maintient la responsabilité pour délit d’atteinte intentionnelle aux rapports économiques

20 Mar 2016 6 MIN DE LECTURE

La Cour d'appel de l'Ontario a mis l'accent sur le fait que le délit d'atteinte intentionnelle aux rapports économiques est d'application restreinte, mais qu'il existe tout de même. Dans sa décision du 2 mars 2016 dans l'arrêt Grand Financial Management Inc. v. Solemio Transportation Inc., la Cour a examiné un dossier dans lequel une partie (Grand Financial) menaçait d'acculer à la faillite une autre partie (Solemio). Grand Financial a également tenté de nuire aux activités de Solemio en influençant les actions d'une tierce partie (Arnold Bros.) et en saisissant de façon illégitime des sûretés détenues par une autre tierce partie (RBC).

La décision a également soulevé de nombreuses questions au sujet des règles de pratique de la Cour d’appel (en anglais).

Contexte

La décision portait sur un conflit dans l'industrie du transport routier. Grand Financial, société d'affacturage, a mal réagi après que Solemio, société de camionnage, ait résilié son entente avec Grand Financial. Grand Financial a poursuivi Solemio, et le juge de première instance a accordé 200 000 $ à Grand Financial. La décision a été infirmée en appel parce que Grand Financial, dans son plaidoyer, ne s'appuyait pas sur le contrat dont le juge de première instance s'est servi pour déclarer l'obligation de verser la somme de 200 000 $.

Après que Solemio ait résilié le contrat, Grand Financial s’est prévalu d’une sûreté qu'elle détenait en vertu de la Loi sur les sûretés mobilières (la LSM) et a saisi 35 000 $ dans le compte que Solemio détenait auprès de RBC. Le représentant de Grand Financial (M. Rakhnayev) a menacé Solemio de l'acculer à la faillite. Il a dit à Arnold Bros. (une autre société de camionnage qui faisait des affaires avec Solemio) que quelqu'un allait payer la somme qu'on lui devait, peu importe qui, et qu'il s'en prendrait aux clients d'Arnold Bros. En réponse, Arnold Bros. a cessé immédiatement de faire des affaires avec Solemio, allant même jusqu'à interrompre des livraisons en cours. Solemio s'est servie de ces faits pour fonder sa demande reconventionnelle pour atteinte intentionnelle aux rapports économiques. Le juge de première instance a accordé 175 000 $ à Solemio à ce titre.

Une atteinte intentionnelle aux rapports économiques est établie

Le délit d'atteinte intentionnelle aux rapports économiques comporte trois volets :

  1. Le défendeur doit avoir eu l'intention de nuire aux intérêts économiques du demandeur.
  2. L'atteinte doit se faire par des moyens illégaux ou illégitimes.
  3. Il doit en résulter un préjudice ou une perte économique pour le demandeur.

Tout en soulignant que la preuve de ce délit est rarement établie, le juge Blair, au nom de la Cour d'appel unanime, a soutenu que Solemio avait réussi à s’acquitter du fardeau de la preuve dans cette affaire.

Tout d'abord, le juge de première instance a jugé que les actes de Grand Financial, comme le démontrent les menaces de M. Rakhnayev à l’endroit d’Arnold Bros., visaient directement à nuire aux intérêts commerciaux de Solemio et à s'enrichir.

La deuxième partie du critère est le principal terrain de bataille de l'appel. Le juge Blair était d'accord avec Grand Financial que l'arrêt A.I. Enterprises Ltd. c. Bram Enterprises Ltd., décision de 2014 de la Cour suprême du Canada, avait établi que « [l]e délit d’atteinte par un moyen illégal doit être circonscrit étroitement » et qu'il doit être considéré « comme étant un délit de portée étroite ». Plus particulièrement, le délit d'atteinte « réside essentiellement dans l’infliction intentionnelle par A (le défendeur) d’un préjudice économique à C (le demandeur) par des moyens illégaux contre B (le tiers) ». Par conséquent, le moyen illégal doit donner ouverture à une cause d’action au tiers. (Voir notre bulletin d'Actualités antérieur pour en savoir davantage.)

Il y eu une illégalité dans cette affaire, soit dans les actes posés par Grand Financial à l’égard de RBC et d’Arnold Bros. :

  • RBC pouvait à tout le moins faire valoir qu’on lui avait fait par négligence une déclaration fausse ou trompeuse. Grand Financial avait déclaré à RBC que la sûreté en vertu de la LSM était exécutoire. On pouvait raisonnablement s'attendre à ce que la banque se fie à cette déclaration et cette confiance aurait été raisonnable dans les circonstances. La déclaration était fausse et trompeuse et Grand Financial était à tout le moins négligente en la faisant. Si RBC en avait subi une perte, cette confiance lui aurait causé du tort.
  • Arnold Bros. avait été menacée par M. Rakhnayev. Cette menace avait mené directement à la dissolution de la relation entre Arnold Bros. et Solemio. Si Arnold Bros. en avait subi une perte, la perte aurait pu lui donner ouverture à une cause d’action pour déclaration fausse ou trompeuse ou délit d'intimidation.

Troisièmement, le préjudice économique subi par Solemio était évident. Une somme de 35 000 $ avait été indûment retirée de son compte bancaire auprès de la RBC et son importante relation d'affaires avec Arnold Bros.  avait été détruite.

Dommages-intérêts généraux accordés et droit de réserve

Solemio et Grand Financial ont toutes deux affirmé que le juge de première instance avait erré son approche de calcul des dommages-intérêts généraux découlant du délit. Solemio affirmait qu'ils auraient dû être plus élevés que la somme de 175 000 $ accordée, tandis que Grand Financial soutenait qu'ils ne devraient pas être accordés ou devraient être de 35 000 $ (la somme saisie).

En soulignant que les dommages-intérêts généraux ne peuvent être fixés de façon précise, le juge Blair a rejeté ces arguments. Le juge de première instance avait évalué l'objectif des dommages-intérêts généraux, y compris la compensation pour l'atteinte à la réputation et la vexation, la conduite, bonne et mauvaise, des parties, la nécessité de punir et le caractère opportun de condamner le recours abusif au processus juridique. En fin de compte, on doit faire preuve de déférence envers le juge de première instance :

 

[89]      […] les dommages-intérêts généraux sont une question d'impression et ne peuvent être calculés précisément. Il est difficile pour une cour d'appel d'affirmer que l'évaluation est tout simplement erronée dans ces circonstances : […]. Bien que je ne puisse pas affirmer que j'en serais venu au montant de 175 000 $, je ne peux pas dire que le juge de première instance a commis une erreur à ce sujet. Il a dûment tenu compte de tous les facteurs pertinents pour en arriver à sa conclusion.

 

Conclusion

Il est ardu de prouver l'atteinte intentionnelle aux rapports économiques. Cependant, comme le démontre l'affaire Grand Financial cela ne signifie pas que ce soit impossible. Cette affaire constitue une mise en garde pour les entreprises et un rappel que les tribunaux ne permettront pas à une partie de nuire illégalement aux affaires d'une autre partie.