La Cour d’appel de l’Ontario confirme la constitutionnalité du régime fédéral de tarification du carbone

15 Juil 2019 14 MIN DE LECTURE

Dans ce bulletin d’actualités

  • Le 28 juin 2019, la Cour d’appel de l’Ontario a statué, à la majorité, que la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre (LTPCGES) était constitutionnelle.
  • Le gouvernement de l’Ontario a indiqué qu’il portera la décision en appel devant la Cour suprême du Canada (CSC). Le gouvernement de la Saskatchewan a déjà interjeté appel de sa contestation déboutée de la LTPCGES, et la cause devrait être entendue en décembre.
  • Dans l’intervalle, le gouvernement de l’Ontario impose son propre régime de réduction des gaz à effet de serre (GES). Le 4 juillet, il a publié deux règlements afin de mettre en œuvre la nouvelle norme de rendement en matière d’émissions de l’Ontario.

Introduction

Le 28 juin 2019, la Cour d’appel de l’Ontario a rendu son avis consultatif sur la validité constitutionnelle de la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre (la LTPCGES), communément appelée la « taxe fédérale sur le carbone ». À quatre contre un, la majorité a voté pour la constitutionnalité de la LTPCGES. Le gouvernement de l’Ontario a déclaré qu’il interjetterait appel de la décision auprès de la Cour suprême du Canada (CSC).

C’est la deuxième fois qu’une Cour d’appel confirme la constitutionnalité du régime fédéral de tarification du carbone. En effet, le gouvernement de la Saskatchewan a déjà interjeté appel de la décision de la Cour d’appel de la Saskatchewan et prévoit que la cause sera entendue en décembre.[1] 

Malgré le poids important accordé aux décisions analogues rendues par les Cours d’appel en Saskatchewan et en Ontario, le débat concernant la constitutionnalité de la LTPCGES semble loin d’être clos. L’Alberta a soumis la question à sa Cour d’appel, et le Manitoba a demandé à la Cour fédérale un contrôle judiciaire de la décision afin d’imposer le filet de sécurité fédéral (défini ci-après). Le gouvernement du Nouveau-Brunswick a récemment annoncé qu’il renonçait à son plan de lancer une contestation de la LTPCGES devant les tribunaux.

Dans l’ombre d’une élection fédérale cet automne, ces procédures judiciaires sont importantes pour les entreprises canadiennes parce qu’elles sont susceptibles (i) de déterminer le sort du prix du carbone au Canada et dans chacune des provinces, (ii) d’influer sur la portée des pouvoirs fédéraux et provinciaux en matière de réglementation des questions environnementales et (iii) d’établir la jurisprudence sur l’imposition au Canada. La récente décision de la Cour d’appel de l’Ontario offre l’occasion de passer en revue les arguments constitutionnels qui sont susceptibles d’être pris en considération dans le cadre de procédures judiciaires futures.

Dans le présent Bulletin d’Actualités Osler, nous résumons les aspects les plus importants de la décision rendue par la Cour d’appel de l’Ontario et nous en analysons les incidences pratiques advenant le cas où la LTPCGES serait maintenue, en particulier si, entre-temps, le gouvernement de l’Ontario va de l’avant avec son propre régime de réduction des GES. Le 4 juillet, l’Ontario a publié deux règlements, intitulés Règl. de l’Ont. 241/19 et Règl. de l’Ont. 242/19, afin de mettre en œuvre sa nouvelle norme de rendement en matière d’émissions.

Contexte

La LTPCGES, qui est entrée en vigueur le 21 juin 2018, a établi un mécanisme fédéral de tarification des émissions de GES qui assure l’existence d’une tarification du carbone partout au Canada sous la forme (i) d’une taxe sur le carburant et (ii) d’un système de tarification fondé sur le rendement (STFR) à l’intention des grands émetteurs industriels. Les provinces ont le droit d’adopter leurs propres systèmes de tarification du carbone qui respectent des points de référence fédéraux désignés, mais ceux qui ne le font pas sont assujettis au mécanisme fédéral de tarification (ce qu’on appelle le filet de sécurité fédéral). Ce filet constitue un élément essentiel de la loi, et est la source d’un certain mécontentement de la part des provinces.

La taxe sur le carburant s’applique généralement aux producteurs et aux distributeurs de carburant qui exercent des activités dans les territoires où le filet de sécurité s’applique. Le filet de sécurité sur la taxe sur le carburant est actuellement appliqué en Ontario, au Nouveau-Brunswick, au Manitoba, en Saskatchewan, au Yukon et au Nunavut. Il devrait être applicable en Alberta le 1er janvier 2020.

Le STFR s’applique aux installations (i) qui ont déclaré 50 kilotonnes ou plus d’émissions d’équivalents de dioxyde de carbone pour toute année depuis 2014, (ii) qui mènent une activité assujettie[2] et (iii) qui exercent des activités dans un territoire où le filet de sécurité s’applique. Il s’applique également aux installations qui ont déclaré 10 kilotonnes ou plus d’émissions d’équivalents de dioxyde de carbone pour toute année depuis 2014 et qui ont décidé d’adhérer volontairement au STFR. À l’instar de la taxe sur le carburant, le filet de sécurité sur le STFR est actuellement appliqué en Ontario, au Nouveau-Brunswick, au Manitoba, à l’Île-du-Prince-Édouard, au Yukon, au Nunavut et partiellement en Saskatchewan. Il devrait également être appliqué en Alberta le 1er janvier2020.

Le prix de référence actuel pour la taxe sur le carburant et le STFR est de 20 $ la kilotonne d’émissions d’équivalents de dioxyde de carbone et il augmentera de 10 $ annuellement jusqu’en 2022. Toutefois, la LTPCGES n’est pas conçue pour générer des recettes. Elle exige que toutes les recettes perçues sur la taxe sur le carburant et sur le STFR soient retournées au territoire où elles ont été perçues, par l’entremise du gouvernement du territoire ou d’entités prescrites qui seront définies dans la réglementation. Le gouvernement de l’Ontario a contesté la LTPCGES devant les tribunaux au motif que la partie 1 (la taxe sur le carburant) et la partie 2 (le STFR), que l’Ontario qualifie de « taxe sur le carbone », sont inconstitutionnelles. L’Ontario soutient que le Parlement n’est pas autorisé à réglementer toutes les activités qui produisent des émissions de GES et que le territoire proposé par le Canada en vertu de la LTPCGES « modifierait radicalement l’équilibre constitutionnel entre les pouvoirs fédéraux et provinciaux ». Plus précisément, l’Ontario a adopté la position selon laquelle (i) la taxe sur le carburant et le STFR sont inconstitutionnels, car ils ne peuvent être soutenus par aucune compétence fédérale en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867 et (ii) les frais ne sont pas autorisés sur le plan législatif à titre de taxes et n’ont pas de lien suffisant aux fins de la LTPCGES pour être considérés comme des frais réglementaires valides.

L’opinion majoritaire

Rejetant les argumentaires de l’Ontario, le juge en chef Strathy, s’exprimant au nom de la majorité, a conclu que la LTPCGES était valide sur le plan constitutionnel. La conclusion de la majorité s’appuie sur trois constatations clés.

En premier lieu, la majorité a établi l’objet de la LTPCGES en se concentrant sur son préambule, les engagements internationaux du Canada et ses initiatives nationales. Cela a mené la majorité à rejeter la caractérisation de la législation de l’Ontario, qui parle d’« un mécanisme réglementaire exhaustif de réduction des émissions de GES de toutes les sources au Canada », et la caractérisation de la législation du gouvernement fédéral, qui parle des « effets cumulatifs des émissions de GES ». La majorité a plutôt qualifié l’« essence » de la LTPCGES comme étant l’« établissement de normes nationales minimales pour réduire les émissions de GES ». Dans une opinion concordante, le juge en chef adjoint Hoy a conclu que la caractérisation de la LTPCGES de la majorité était trop générale et que l’« établissement de normes nationales minimales de tarification des émissions de GES pour réduire les émissions de GES » reflétait l’essence de la loi.

En second lieu, influencée en partie par la jurisprudence de la Cour suprême du Canada qui reconnaît que l’environnement « n’est pas une “question” de territoire exclusif, qui relève de l’un ou l’autre des ordres de gouvernement », mais plutôt un « domaine de compétence partagé », la majorité a classé la position de la LTPCGES avec le partage constitutionnel des pouvoirs en vertu de l’intérêt national du pouvoir fondé sur « la paix, l’ordre et le bon gouvernement ».[3] Appliquant les principes énoncés dans l’affaire R c. Crown Zellerbach[4] dans le cadre de son analyse, la majorité a conclu que l’établissement de normes nationales minimales pour réduire les émissions de GES était une question unique, distincte et indivisible. La majorité a affirmé que la caractérisation était étroitement limitée pour gérer le risque d’inaction provinciale concernant un problème qui requiert une action nationale coopérative : « aucune province agissant seule ni aucun groupe de provinces agissant ensemble ne peut établir de normes nationales minimales pour réduire les émissions de GES. Leurs efforts peuvent être minés par l’action ou l’inaction d’autres provinces. Par conséquent, la réduction des émissions des GES ne peut pas être gérée de façon fragmentaire. Elle doit être abordée comme une question unique pour en assurer l’efficacité. C’est exactement ce que fait l’établissement de normes nationales minimales ». En troisième lieu, la majorité a confirmé que les frais imposés par la LTPCGES étaient réglementaires et non des taxes. Ce faisant, la majorité a rejeté l’argumentaire de l’Ontatio selon lequel les frais réglementaires imposés par la LTPCGES étaient inconstitutionnels, car les frais n’ont pas de lien avec l’objet de la LTPCGES. La majorité a déclaré (i) que si les frais réglementaires sont utilisés pour modifier un comportement, il n’est pas obligatoire qu’ils reflètent le coût d’administration du mécanisme ou qu’ils constituent un mécanisme de recouvrement des coûts et (ii) qu’il n’est pas obligatoire que les recettes générées servent aux fins du mécanisme réglementaire. La majorité a ajouté qu’elle trouvait que, même s’il était nécessaire de montrer que les recettes générées servent aux fins de la LTPCGES, « cela a été établi. Les fonds sont retournés aux provinces, aux contribuables et aux institutions pour les récompenser de leur participation à un programme qui profite aux provinces et au pays tout entier. Cela encourage et récompense le changement de comportement et favorise l’innovation et le virage vers des carburants plus propres, qui sont tous des fins indiquées dans le préambule de la » LTPCGES.

L’opinion dissidente

Dans sa seule opinion dissidente, le juge Huscroft a conclu que la caractérisation de la majorité laissait les normes minimales « flottantes » aux fins de classement. Selon lui, cela a rendu la question d’intérêt national identifiée par la majorité trop vague pour limiter de manière appropriée la portée de l’autorité du Parlement dans les sphères de compétence des gouvernements provinciaux. Remettant en question le fondement de la majorité selon lequel une norme nationale est requise pour réglementer les émissions de GES, le juge Huscroft a également fait remarquer que l’inaction d’une seule province témoigne d’une mésentente politique et non d’une incapacité provinciale à gérer le problème des GES.

L’Ontario va de l’avant

Le 4 juillet, soit quelques jours après que la Cour d’appel de l’Ontario ait rendu sa décision, le gouvernement de l’Ontario a publié son règlement (Règl. de l’Ont. 241/19) concernant les normes de rendement en matière d’émissions (NRE) de GES de l’Ontario (le règlement sur les NRE), ainsi que des modifications complémentaires apportées par l’intermédiaire du règlement O. Reg. 242/19 au règlement intitulé « Émissions de gaz à effet de serre : quantification, déclaration et vérification » (Règl. de l’Ont. 390/18 ou le règlement sur la déclaration). L’Ontario a déclaré qu’il a élaboré le règlement sur les NRE « à titre de solution de rechange » au STFR faisant partie de la LTPCGES « qui est maintenant en vigueur en Ontario ».

Le règlement sur les NRE établit les limites des émissions de GES pour les installations assujetties (p. ex. les installations se trouvant dans certains secteurs qui émettent 50 000 tonnes d’équivalents CO2 ou plus par année, avec une disposition d’adhésion volontaire pour les installations qui émettent entre 10 000 et 50 000 tonnes). Si les limites ne sont pas respectées, l’installation assujettie sera tenue d’acquérir des instruments de conformité.

Bien que le nouveau règlement sur les NRE de l’Ontario s’applique aux émissions de GES provenant d’installations assujetties « dès le 1er janvier 2019 », l’obligation de conformité ne s’appliquera que durant l’année où le gouvernement fédéral retirera l’Ontario de la partie 2 de l’annexe 1 de la LTPCGES, le volet STFR du régime fédéral. En outre, d’autres dispositions modifiées du règlement sur la déclaration ne s’appliqueront que si l’Ontario est retiré du STFR.

Par conséquent, pour l’instant, seules les dispositions relatives à l’inscription du règlement sur les NRE s’appliquent. En ce moment, il n’est pas clair si l’adoption du règlement sur les NRE et plus de clarté concernant les plans d’action sur les changements climatiques de l’Ontario encouragent le gouvernement fédéral à retirer l’Ontario du volet STFR de la LTPCGES. Pour l’instant, le STFR fédéral demeure en place en Ontario. Si l’Ontario est retiré du STFR, le ministère de l’Environnement, de la Protection de la nature et des Parcs « prévoit que d’autres modifications seront apportées » au règlement sur les NRE et au règlement sur la déclaration pour « gérer la transition » du régime fédéral et élargir la portée du programme pour inclure d’autres secteurs.  

Conclusion

La décision de la Cour d’appel de l’Ontario fournit une évaluation perspicace de la validité constitutionnelle du régime fédéral de tarification du carbone. Le raisonnement de la Cour d’appel de l’Ontario différait légèrement de celui de son homologue de la Saskatchewan, même si les principales constatations et les principaux résultats étaient les mêmes. Pour le moment, les entreprises canadiennes doivent être prêtes à se conformer à la LTPCGES et elles doivent bien comprendre les faits qui surviennent dans les provinces où s’applique le filet de sécurité, telles que l’Ontario, la Saskatchewan et l’Alberta. Osler suivra de près l’évolution jurisprudentielle, législative et politique de la situation au cours des mois à venir afin d’aider les clients à bien comprendre le régime fédéral et les régimes provinciaux. 

 


[1] Pour une analyse de l’avis consultatif sur la LTPCGES rendu par la Cour d’appel de la Saskatchewan le 3 mai 2019, consultez ce Bulletin d’actualités Osler.

[2] Les activités assujetties comprennent la production de pétrole et de gaz, le traitement de minéraux, les produits chimiques, les produits pharmaceutiques, les tubes de fer, d’acier et de métal, l’extraction et le traitement de minerais, les engrais azotés, la transformation alimentaire, les pâtes et papiers, l’automobile et la production d’électricité.

[3] La majorité a noté que les GES « se mélangent dans l’atmosphère pour devenir persistants et indivisibles dans leur contribution au changement climatique d’origine anthropique. Ils ne se soucient pas des frontières provinciales ou nationales. Émis n’importe où, ils provoquent le changement climatique partout et des effets potentiellement catastrophiques sur l’environnement naturel et toutes les formes de vie. Ils représentent exactement le type de polluant qui, selon les prévisions, relèverait de l’intérêt national en vertu du pouvoir fondé sur la paix, l’ordre et le bon gouvernement ».

[4] [1988] 1 RCS 401.