Auteurs(trice)
Associé, Fiscalité, Toronto
Sociétaire, Fiscalité, Toronto
Conseiller, Fiscalité, Toronto
Le 18 décembre 2023, l’OCDE a rendu publique la troisième série d’instructions administratives sur le Pilier Deux [PDF] (ci-après, la troisième série d’instructions administratives), qui avait été approuvée par le Cadre inclusif OCDE/G20 sur le BEPS (le Cadre inclusif) le 15 décembre 2023.
Le Pilier Deux fait partie de l’initiative reposant sur deux piliers de l’OCDE et comporte l’instauration d’un impôt minimum mondial de 15 % sur les revenus faiblement imposés des grands groupes d’entreprises multinationales (EMN). L’OCDE a rendu public le modèle de Règles globales anti-érosion de la base d’imposition (GloBE) le 20 décembre 2021 de même que le commentaire sur les règles GloBE et des exemples le 14 mars 2022. Depuis, l’OCDE a publié d’autres documents sur le Pilier Deux, soit deux séries d’instructions administratives qui ont été rendues publiques le 2 février 2023 et le 17 juillet 2023, respectivement.
Sans égard aux instructions administratives publiées à ce jour, de nombreuses incertitudes et ambiguïtés subsistent en ce qui concerne l’interprétation et l’application du modèle de règles GloBE. Malheureusement, l’OCDE ne semble pas en mesure de résoudre promptement ces problèmes d’interprétation. Les régimes fiscaux nationaux de la plupart des pays emploient des milliers de personnes pour auditer et appliquer les lois fiscales conformément au droit interne. Le Pilier Deux présente toutefois une faille fondamentale en ce sens que les règles sont destinées à être administrées uniformément à l’échelle mondiale alors que l’infrastructure nécessaire pour que cela soit faisable n’a pas été mise en place. Chaque pays est tenu de transmettre ses questions d’interprétation à l’OCDE, qui doit ensuite tenter de parvenir à un consensus quant à la manière d’y répondre entre les plus de 140 pays membres du Cadre inclusif. Il serait tout simplement impossible que le système fonctionne rapidement même si l’OCDE disposait d’un effectif comparable à ceux des services de fiscalité nationaux des pays participants.
Le Canada et de nombreux autres pays membres du Cadre inclusif se sont engagés à adopter un impôt minimum mondial dans le cadre du Pilier Deux. Le 4 août 2023, le ministère des Finances a déposé l’avant-projet de Loi de l’impôt minimum mondial (Canada) (LIMM), qui propose, dans un premier temps, la mise en œuvre de deux mesures en matière d’impôt minimum mondial au Canada – à savoir la règle d’inclusion du revenu et un impôt complémentaire minimum prélevé localement. La LIMM s’appliquerait aux exercices des groupes d’EMN admissibles commençant à partir du 31 décembre 2023. Le ministère des Finances a reçu de nombreux documents au sujet de la LIMM, notamment un mémoire présenté par Osler. Le gouvernement canadien devrait publier des révisions de l’avant-projet de LIMM au cours du premier semestre de 2024. La LIMM ne devrait pas être promulguée au Canada avant un certain temps en 2024, mais l’avant-projet de loi prévoit que la Loi s’applique rétroactivement aux années d’imposition ayant commencé à partir du 31 décembre 2023.
La troisième série d’instructions administratives traite des ajustements relatifs au prix d’acquisition, du régime de protection transitoire à l’égard de la déclaration pays par pays (DPP), du seuil de chiffre d’affaires consolidé, de l’asymétrie des exercices, de la répartition des impôts résultant de l’application d’un régime fiscal mixte relatif aux sociétés étrangères contrôlées (SEC), des dates limites de déclaration transitoires pour les EMN ayant des exercices courts et des révisions des règles relatives aux régimes de protection assortis de calculs simplifiés pour les entités non matérielles. De plus, cet ensemble présente des exemples pour illustrer la manière dont les instructions s’appliquent.
La teneur de la troisième série d’instructions administratives sera intégrée dans le commentaire révisé sur les règles GloBE, dont la publication est actuellement prévue pour 2024.
L’OCDE a également publié une brève déclaration le 18 décembre 2023 [PDF] au sujet du Pilier Un, faisant notamment état de son intention de parachever la Convention multilatérale (CML) au plus tard le 31 mars 2024 pour que la cérémonie de signature de la CML puisse avoir lieu d’ici à la fin de juin 2024. Bien que l’OCDE continue d’établir des plans en prévision des cérémonies de signature du Pilier Un, d’importantes incertitudes subsistent quant à savoir si le Pilier Un parviendra un jour à la ligne d’arrivée. Par conséquent, le Canada va de l’avant avec son projet d’imposition d’une taxe sur les services numériques afin de pallier l’éventuel échec des efforts déployés pour conclure un accord mondial adéquat dans le cadre du Pilier Un.
Pilier Deux : troisième série d’instructions administratives
Ajustements relatifs au prix d’acquisition
La troisième série d’instructions administratives précise que les entités constitutives peuvent utiliser des comptes financiers reflétant l’effet des ajustements relatifs au prix d’acquisition dans le calcul des résultats avant impôts aux fins des régimes de protection transitoires à l’égard de la DPP si les deux exigences suivantes sont remplies :
- Le groupe d’EMN ne produit pas de déclaration pays par pays pour un exercice dont le début est postérieur au 31 décembre 2022, fondée sur les documents de l’entité constitutive ou des états financiers distincts, sans les ajustements relatifs au prix d’acquisition. (Cette exigence ne s’applique pas aux entités constitutives qui sont tenues par la loi ou un règlement de réviser les documents ou les états financiers distincts et de rendre compte dans ces documents des ajustements relatifs au prix d’acquisition.)
- Un ajustement pour perte de valeur est rajouté en vue de l’application du critère de bénéfices courants et, sous réserve de certaines règles précises, du critère de taux effectif d’imposition (TEI) simplifié, dans la mesure où cela réduit le revenu et concerne des opérations conclues après le 30 novembre 2021.
Les changements pertinents dans la mise en œuvre de cette approche devraient être apportés aux règles relatives au régime de protection transitoire applicable à la DPP, énoncées dans un document intitulé Safe Harbours and Penalty Relief (en anglais seulement), qui a été rendu public par l’OCDE en décembre 2022 (le document SH 2022). Ce dernier document sera tôt ou tard intégré dans le commentaire révisé relatif aux règles GloBE.
Régime de protection transitoire à l’égard de la déclaration pays par pays
Le régime de protection transitoire à l’égard de la déclaration pays par pays permet aux groupes d’EMN admissibles d’appliquer les critères de régime de protection assorti de calculs simplifiés, en fonction des renseignements contenus dans les DPP admissibles et les états financiers admissibles, tel qu’il est expliqué dans le document SH 2022.
La troisième série d’instructions administratives précise la structure et le fonctionnement des règles relatives au régime de protection transitoire applicable à la DPP en ce qui concerne les coentreprises, l’utilisation d’états financiers admissibles, les calculs du TEI simplifié, l’application du critère de bénéfices courants et le traitement des dispositions hybrides d’arbitrage.
Plus précisément, cette série prévoit, aux fins du régime de protection transitoire applicable à la DPP, l’existence de territoires de compétence distincts visés par ce critère et que ces derniers comprendront exclusivement des entités constitutives du groupe d’EMN, des coentreprises et des groupes de coentreprises même si ces entités constitutives, ces coentreprises et ces groupes de coentreprises sont domiciliés sur le même territoire.
Si un groupe d’EMN admissible n’est pas tenu de préparer ni de produire une DPP, il peut quand même être admissible au régime de protection transitoire à l’égard de la DPP s’il remplit l’alinéa 2.2.1.3a) de la déclaration de renseignements GloBE (en anglais seulement) en utilisant les renseignements tirés des états financiers admissibles comme s’il était tenu de préparer et de produire une DPP.
Dans le cas où un groupe d’EMN calcule le montant minoré du revenu de substance aux fins du régime de protection transitoire à l’égard de la DPP, il doit utiliser les taux prescrits dans le modèle de règles GloBE, y compris les taux transitoires majorés.
Des instructions complémentaires visent à empêcher le recours au régime de protection transitoire à l’égard de la DPP dans les cas où il serait par ailleurs offert en raison d’un ou de plusieurs dispositifs hybrides d’arbitrage (p. ex., des dispositifs de déduction/non-inclusion, des dispositifs de double comptabilisation des pertes ou des dispositifs de double constatation des impôts).
Seuil de chiffre d’affaires consolidé
Pour déterminer si le seuil de chiffre d’affaires consolidé de 750 millions d’euros est atteint par un groupe d’EMN, il est possible de déduire du chiffre d’affaires les rabais, les retours et les remises dans la mesure où la déduction de ces éléments est conforme à la norme comptable pertinente et est effectuée avant déduction du coût des marchandises vendues et des autres charges d’exploitation.
La troisième série d’instructions administratives précise que le chiffre d’affaires comprend les gains, réalisés ou non, au titre d’investissements qui sont inscrits dans l’état des résultats des états financiers consolidés, de même que le revenu ou les gains déclarés séparément en tant qu’éléments extraordinaires ou non récurrents. Si un groupe d’EMN indique séparément le montant brut de ses gains et de ses pertes au titre d’investissements plutôt que de déclarer le montant net, les pertes brutes ne peuvent être déduites du chiffre d’affaires du groupe qu’à concurrence du montant des gains bruts tirés d’investissements qui sont comptabilisés dans le chiffre d’affaires du groupe.
Asymétrie des exercices
En général, la période comptable utilisée par l’entité mère ultime (EMU) pour préparer les états financiers consolidés est l’exercice aux fins des règles GloBE. Si des entités constitutives utilisent des périodes comptables différentes de celle de l’EMU, les résultats financiers non ajustés ou ajustés pour l’exercice de l’entité constitutive qui sont comptabilisés dans les états financiers consolidés du groupe, le cas échéant, devraient être utilisés aux fins des calculs GloBE.
Dans les cas où les comptes financiers portent sur une année comptable différente de l’exercice de l’EMU, mais ne sont pas intégrés dans les états financiers consolidés en raison de l’importance de l’entité ou de considérations relatives à une coentreprise, les calculs GloBE relatifs à l’entité constitutive, à la coentreprise ou au groupe de coentreprises pertinent, le cas échéant, devraient porter sur la période comptable prenant fin au cours de l’exercice de l’EMU.
Enfin, si l’exercice et l’année d’imposition d’une entité constitutive prennent fin à des dates différentes, il conviendra d’établir les impôts couverts rajustés en se reportant à la méthodologie utilisée dans les états financiers consolidés (ou dans d’autres états financiers applicables).
Répartition des impôts résultant de l’application d’un régime fiscal mixte relatif aux SEC
La première série d’instructions administratives a présenté une méthodologie simplifiée pour répartir les revenus mondiaux provenant d’actifs incorporels faiblement imposés (GILTI) aux États-Unis et les impôts d’une nature semblable au titre des régimes fiscaux mixtes relatifs aux SEC entre les entités constitutives domiciliées dans des territoires où les impôts sont peu onéreux et le TEI territorial selon les règles GloBE est inférieur à 15 %. La méthodologie simplifiée consiste à déterminer un critère de répartition spécial au titre des régimes fiscaux mixtes pour les SEC et s’applique aux exercices clos au plus tard le 30 juin 2027.
La troisième série d’instructions administratives fournit d’autres précisions :
- Le TEI territorial selon les règles GloBE qu’il convient d’utiliser pour calculer le critère de répartition des impôts résultant de l’application d’un régime fiscal mixte pour les SEC lorsque plusieurs TEI territoriaux selon les règles GloBE sont comptabilisés pour un même territoire
- La comptabilisation du TEI territorial selon les règles GloBE aux fins de détermination du critère de répartition des impôts résultant de l’application d’un régime fiscal mixte pour les SEC d’une entité domiciliée dans un territoire pour lequel le groupe d’EMN n’est pas, par ailleurs, tenu de calculer un TEI du fait, par exemple, de l’application d’un régime de protection ou de l’exclusion de minimis
- Le calcul du TEI territorial selon les règles GloBE aux fins de détermination du critère de répartition des impôts résultant de l’application d’un régime fiscal mixte pour les SEC d’entités non visées par les règles GloBE, dans des situations où plusieurs TEI sont calculés pour les entités pertinentes domiciliées dans ce territoire
Dates limites de déclaration transitoires pour les EMN ayant des années de déclaration courtes
Les groupes d’EMN qui se trouvent à avoir des années de déclaration courtes prenant fin avant le 31 mars 2025 ne seront pas tenus de produire leurs documents de renseignements GloBE ni leurs avis avant le 30 juin 2026. Dans les faits, cela signifie que les années de déclaration de courte durée sont traitées de la même manière que les années de déclaration standards prenant fin le 31 décembre 2024 et admissibles au délai limite de déclaration transitoire de 18 mois pour le premier exercice au cours duquel un groupe d’EMN relève du champ d’application des règles GloBE en 2024.
Régime de protection assorti de calculs simplifiés pour les entités non matérielles
Le document SH 2022 présentait, entre autres, les règles applicables aux régimes de protection assortis de calculs simplifiés pour les entités constitutives non matérielles (ECNM) et les calculs simplifiés connexes du revenu, du chiffre d’affaires et des impôts fondés sur la DPP. Les ECNM désignent les entités, y compris les établissements stables, dont les comptes ne sont pas consolidés dans les états financiers consolidés de l’EMU en raison de leur taille ou de leur importance, mais qui constituent néanmoins des entités constitutives selon les règles GloBE. Un établissement stable constitue une ECNM si son entité principale est une ECNM.
La troisième série d’instructions administratives révise les règles relatives aux régimes de protection assortis de calculs simplifiés pour les ECNM afin que ces règles puissent être intégrées de manière cohérente dans le Commentaire révisé GloBE. Ces instructions précisent que le régime de protection assorti de calculs simplifiés pour les ECNM est assujetti à un choix annuel qui est effectué par chaque ECNM plutôt que pour le territoire de compétence, et elles présentent un exemple illustrant le fonctionnement des règles régissant le régime de protection assorti de calculs simplifiés pour les ECNM.
Pilier Un : Déclaration de l’OCDE relative à son échéancier
Le 18 décembre 2023, l’OCDE a publié une brève déclaration dans laquelle elle a réitéré l’engagement des membres du Cadre inclusif à parvenir à une solution consensuelle pour le Pilier Un et à parachever la Convention multilatérale (CML) au plus tard le 31 mars 2024 afin que la cérémonie de signature de la CML puisse avoir lieu au plus tard à la fin de juin 2024.
Cette déclaration de l’OCDE implique principalement deux choses. En premier lieu, elle reconnaît que la CML ne sera pas parachevée ni signée d’ici à la fin de l’année 2023, période ciblée dans son annonce de juillet 2023. Deuxièmement, cela démontre que l’OCDE n’est pas encore prête à reconnaître la forte probabilité que le Pilier Un ne soit jamais parachevé. Plus précisément, de par sa structure, le Pilier Un ne peut entrer en vigueur sans avoir été adopté par les États-Unis – et il demeure fort improbable que les États-Unis intègrent le Pilier Un dans les lois américaines à brève échéance, voire que ce pays les intègre un jour.
Le Canada a déjà rejeté le moratoire de juillet 2023 concernant la TSN et a récemment rendu publique une version révisée de la Loi sur la taxe sur les services numériques (LTSN) dans un projet de loi d’exécution au Parlement. Le projet de LTSN délègue au gouverneur en conseil le droit d’établir la date d’entrée en vigueur de la LTSN, à la condition que cette date ne soit pas antérieure au 1er janvier 2024. La possibilité que le gouvernement canadien retarde la date d’entrée en vigueur de la LTSN demeure et, vu la forte opposition des États-Unis à l’imposition d’une TSN, ce retard est de l’ordre du possible.
Lectures complémentaires
Pour obtenir de plus amples renseignements sur l’approche reposant sur deux piliers de l’OCDE et l’engagement du Canada à l’égard des piliers, veuillez consulter les bulletins d’Osler traitant des sujets suivants :
- 14 octobre 2020 (rapports directeurs sur la réforme fiscale internationale – Piliers Un et Deux)
- 14 décembre 2020 (mémoire présenté par Osler sur les rapports directeurs de l’OCDE relatifs aux Piliers Un et Deux)
- 12 octobre 2021 (déclaration sur la solution reposant sur deux piliers)
- 21 décembre 2021 (avant-projet de loi concernant la TSN)
- 23 décembre 2021 (modèle de règles GloBE)
- 22 décembre 2022 (régimes de protection temporaires et permanents, allègement temporaire des sanctions, deux documents de consultation sur la déclaration de renseignements GloBE et certitude fiscale pour les règles GloBE)
- 7 février 2023 (instructions administratives)
- 28 mars 2023 (Info budget 2023 – Mise à jour sur le Pilier 1 et Pilier 2)
- 14 juillet 2023 (règle d’assujettissement à l’impôt et position du Canada à l’égard de la prorogation du moratoire sur la TSN)
- 10 août 2023 (projet de Loi de l’impôt minimum mondial [Canada] et révision des mesures législatives en matière de TSN)
- 2 octobre 2023 (document présenté par Osler relativement à la Loi de l’impôt minimum mondial [Canada])
- 21 novembre 2023 (mise à jour concernant le projet du Canada d’instaurer une taxe sur les services numériques dans l’Énoncé économique de l’automne de 2023)
- 4 décembre 2023 (projet de loi C-59 comportant une version révisée de la LTSN et des règlements connexes)