Auteurs(trice)
Associé, Fiscalité, Toronto
Sociétaire, Fiscalité, Toronto
Associé, Fiscalité, Toronto
La Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices aussi appelée « Instrument multilatéral » ou « IM » est entrée en vigueur le 1er décembre 2019 au Canada. Par conséquent, l’IM s’est appliqué aux conventions fiscales que le Canada a signées avec bon nombre de pays concernant les retenues à la source, le 1er janvier 2020, et concernant les autres impôts (notamment l’impôt sur les gains en capital), aux années d’imposition ouvertes à compter du 1er juin 2020 (c’est-à-dire à compter de l’année d’imposition commençant le 1er janvier 2021 pour les contribuables dont l’année d’imposition correspond à l’année civile). L’IM pourrait entrer en vigueur à une date ultérieure pour les conventions fiscales que le Canada a conclues avec des pays qui n’ont pas encore accompli leurs procédures internes.
La modification la plus importante à apporter aux conventions fiscales après la mise en œuvre de l’IM était l’ajout d’une règle anti-évitement générale appelée la règle du critère des objets principaux ou règle du COP dans les Conventions fiscales couvertes du Canada (qui comprennent 84 des 93 conventions fiscales du Canada, comme indiqué ici). Selon la règle du COP, un avantage au titre d’une convention pourrait ne pas être accordé s’il est raisonnable de conclure que l’un des principaux objectifs d’un montage ou d’une opération est d’obtenir cet avantage fiscal, à moins qu’il soit établi que l’octroi de cet avantage serait conforme à l’objet et au but des dispositions pertinentes de cette convention. Le libellé général de la règle du COP, conjugué aux conseils parcimonieux en matière d’interprétation prodigués à ce jour, ne font que créer une grande incertitude quant à savoir si les avantages découlant des conventions continueront ou non de s’appliquer dans diverses situations. En outre, l’ARC a indiqué, lors de la conférence de la Fondation canadienne de fiscalité (FCF) de 2019, qu’elle peut envisager d’appliquer la règle du COP et la disposition générale anti-évitement (DGAE) nationale du Canada comme positions de rechange concernant les avis de cotisation, ce qui pourrait accroître considérablement et inutilement l’incertitude et les frais de litige.
L’ARC fournit une liste de questions pertinentes pour l’application de la règle du COP
Lors de la conférence de la FCF de 2020, l’ARC a déclaré qu’on ne lui avait pas encore demandé de fournir des décisions anticipées en matière d’impôt sur le revenu sur l’application de la règle du COP, et que l’ARC n’a pas encore vérifié les années d’imposition dans lesquelles les modifications aux conventions fiscales introduites par l’IM sont en vigueur.
L’ARC a reconnu que l’incertitude entourant l’application potentielle de la règle du COP est préoccupante. L’ARC a déclaré qu’en déterminant si un montage ou une opération a, comme l’un de ses principaux objectifs, l’obtention d’un avantage au titre d’une convention, l’ARC chercherait à poser un certain nombre de questions, notamment :
- Quels sont les résultats directs et indirects du montage?
- Quelles sont les conditions du montage et permettent-elles d’atteindre ses résultats?
- Quelles mesures ont été prises pour appliquer le montage?
- Que révèlent les circonstances entourant le montage, la manière dont il a été mis en œuvre, ainsi que ses conditions, sur le montage et ses résultats escomptés?
- Les objectifs non fiscaux du montage pourraient-ils être atteints d’une autre manière? Si oui, le montage est-il plus complexe, plus coûteux (sans tenir compte de l’avantage fiscal) ou contient-il plus d’étapes que nécessaire pour atteindre les objectifs non fiscaux?
- Le montage comporte-t-il l’utilisation d’entités hybrides, de conventions de souscription de titres accréditifs ou d’opérations réciproques?
- Le montage comprend-il un changement de résidence ou une convention fiscale applicable?
- Quels sont les objectifs des avantages non fiscaux pour fonder chacune des entités ou prendre les mesures pertinentes dans chaque juridiction concernée?
- L’existence d’une entité ou d’une mesure dans le montage s’explique-t-elle uniquement si son objectif principal consiste à obtenir l’avantage pertinent?
- En l’absence d’avantage fiscal, y a-t-il des avantages financiers quantifiables découlant du montage?
- Y a-t-il une différence entre le contenu de l’objectif du montage et sa forme juridique?
- Le montage modifie-t-il la nature des paiements?
- Le montage permet-il d’éviter une règle sur l’impôt particulière? Par exemple, permet-il d’éviter l’établissement stable ou un critère qui, autrement, limiterait l’accès à un avantage?
La liste de questions de l’ARC donne une indication du type de faits que l’ARC prendrait en considération pour utiliser la règle du COP, mais ne donne aucune certitude quant à la manière dont l’ARC évaluerait ces facteurs dans l’application de la règle du COP. L’ARC a reconnu que l’application de la règle du COP dépend fortement des faits, et qu’il n’est pas clair si l’ARC accorde la même importance à ces questions ou si elle considère que certaines questions sont plus importantes que d’autres. Certaines des questions indiquées par l’ARC sont purement mécaniques, p. ex. l’utilisation d’entités hybrides, les conventions de souscription de titres accréditifs, les conventions réciproques, le changement de résidence et de la nature des paiements. Ces faits peuvent être présents dans un grand nombre d’opérations et de structures qui n’ont pas pour objectif principal d’obtenir des avantages au titre d’une convention, et peuvent être mis en œuvre pour diverses raisons commerciales, réglementaires ou autres considérations non fiscales. D’autre part, certaines autres questions posées par l’ARC semblent être axées sur la présence de certains objectifs et avantages non fiscaux du montage. Cela suggère qu’il serait utile pour les contribuables de documenter clairement toute autre considération et tout autre avantage de montages transfrontaliers qui donnent lieu à des avantages au titre d’une convention fiscale couverte.
La liste de questions de l’ARC est uniquement axée sur la question factuelle de savoir si l’un des principaux objectifs d’un montage ou d’une opération consiste à obtenir un avantage au titre d’une convention. Toutefois, même si un tel objectif principal existe, la règle du COP ne s’appliquerait pas s’il est établi que l’octroi de l’avantage au titre d’une convention en question est conforme à l’objet et au but des dispositions pertinentes de la convention. L’ARC n’a pas répondu à cette question dans sa liste de questions. Toutefois, l’ARC a indiqué qu’elle se pencherait sur les exemples inclus dans les commentaires du Modèle de Convention fiscale de l’OCDE pour obtenir de l’aide pour interpréter et appliquer la règle du COP. Contrairement aux indications fournies par l’ARC, ces exemples sont précisément fondés sur les différentes composantes de la règle du COP, qui contient un certain nombre de conditions qui, d’un point de vue analytique, devraient être traitées séparément. Une approche plus méthodique de l’interprétation de la règle du COP plus particulièrement (eu égard à son texte, son contexte et son objet) pourrait comporter les étapes suivantes :
- Étape 1 – Cibler l’avantage fiscal particulier autrement offert au titre d’une convention, et le « montage ou l’opération » pertinents qui a vraisemblablement donné lieu à celle-ci.
- Étape 2 – Déterminer si le montage ou l’opération a permis d’obtenir « directement ou indirectement » l’avantage fiscal.
- Étape 3 – Trouver d’autres raisons au montage ou à l’opération qui a permis d’obtenir l’avantage fiscal.
- Étape 4 – Comparer/évaluer les différentes raisons de l’étape 3 à l’obtention de l’avantage fiscal, et déterminer s’il est raisonnable de conclure que l’obtention de l’avantage fiscal était l’un des principaux objectifs du montage ou des opérations. (Si la réponse est négative, alors la règle du COP ne s’applique pas.)
- Étape 5 – Déterminer si l’octroi de l’avantage fiscal dans les circonstances est conforme à l’objet et au but de la convention. (Si la réponse est positive, alors la règle du COP ne s’applique pas.)
Les exemples contenus dans les commentaires de l’OCDE portent sur des étapes précises de l’analyse de la règle du COP, illustrant notamment : la signification des types d’allègements prévus par les conventions qui sont considérés comme un « avantage » à l’étape 1; les circonstances dans lesquelles un montage ou une opération permet d’obtenir « indirectement » un tel avantage à l’étape 3; la portée des termes « montage ou opération » à l’étape 1; et les nuances de la condition « l’un des principaux objectifs » à l’étape 4 lorsque l’on accède à plusieurs conventions ou lorsque l’obtention d’avantages au titre d’une convention coexiste avec un contournement (non lié à une convention) du droit national. En outre, un certain nombre de ces exemples abordent la question de savoir si l’octroi d’un avantage au titre d’une convention dans certains cas est conforme à l’objet et au but des dispositions pertinentes de la convention. Parmi ces exemples, il convient de citer ceux qui accordent l’importance voulue aux facteurs de motivation commerciale, notamment :
RCO, une société résidant dans l’État R, produit des appareils électroniques et est en pleine expansion. Elle envisage maintenant d’installer une usine de fabrication dans un pays en développement afin de profiter de coûts de fabrication moins élevés. Après un examen, des emplacements possibles dans trois pays sont déterminés. Les trois pays offrent des environnements économiques et politiques semblables. Après avoir envisagé le fait que l’État S est le seul de ces pays avec lequel l’État R a conclu une convention fiscale, il a été décidé que l’usine serait installée dans cet État.
En plus de constater que l’obtention d’avantages au titre d’une convention n’est pas l’un des principaux objectifs dans les circonstances susmentionnées (étape 4), l’OCDE conclut (étape 5) que dans tous les cas [traduction] « étant donné que l’un des objectifs généraux des conventions fiscales consiste à encourager les investissements transfrontaliers, l’obtention des avantages au titre de la convention entre l’État R et l’État S pour l’investissement dans l’usine construite dans l’État S est conforme à l’objet et au but des dispositions de cette convention. »
L’OCDE présente un certain nombre d’autres exemples où un avantage au titre d’une convention est pris en compte de façon favorable lors de la conclusion d’un montage ou d’une opération, mais où l’obtention de l’avantage ne constitue pas l’un des principaux objectifs ou, si tel est le cas, l’octroi de l’avantage est effectué pour des raisons précises conformément à l’objet et au but des dispositions de la convention en question. Ces exemples montrent que pour réaliser l’analyse de l’étape 5, il faut prendre en compte les motifs d’efficacité commerciale et opérationnelle d’un montage ou d’une opération et accorder de l’importance à ces motifs dans la poursuite des objectifs en faveur du commerce et des investissements des conventions fiscales.
Il serait utile qu’à l’avenir, en plus de remettre une liste de questions, l’ARC puisse fournir des exemples illustrant la façon d’appliquer différentes conditions de la règle du COP, y compris les exercices de pondération indiqués aux étapes 4 et 5 (en particulier puisqu’il ne sera souvent pas facile de savoir si une attention particulière peut être d’une importance suffisante pour être considérée comme un « objectif principal »).
La règle du COP et la DGAE
L’ARC a fait référence à ses déclarations antérieures lors de la conférence de la FCF de 2019, qui décrivaient un plan visant à mettre en place un comité responsable de prévenir l’utilisation abusive des conventions fiscales (comité) pour fournir des recommandations à l’ARC sur l’administration de la DGAE dans le contexte d’une convention fiscale et [traduction] « de la règle anti-évitement générale introduite par l’IM. » L’ARC a également déclaré que sa liste de questions (décrite ci-dessus) peut être pertinente en ce qui concerne la DGAE pour les années d’imposition actuellement vérifiées. Ces déclarations de l’ARC semblaient reconnaître une forme d’équivalence entre la règle du COP et la DGAE. Cependant, l’ARC n’a pas clairement décrit son opinion sur la manière dont la règle du COP et la DGAE devraient interagir.
L’analyse de la règle du COP est très semblable à l’analyse de la DGAE. Ces deux critères nécessitent :
- de cibler un montage, une opération ou une série d’opérations qui a permis d’obtenir un avantage fiscal;
- d’évaluer l’objectif du montage ou des opérations pertinents (c.-à-d., s’il y a eu une opération d’évitement aux termes de la DGAE, ou si l’un des principaux objectifs de l’opération ou du montage était l’obtention d’un avantage fiscal aux termes de la règle du COP); et
- de déterminer si l’octroi de l’avantage fiscal est conforme à l’objet, à l’esprit et au but de la convention ou de la législation pertinente (c.-à-d. s’il y a eu un abus ou une utilisation abusive aux fins de la DGAE).
Par conséquent, pour les années d’imposition au cours desquelles l’IM est en vigueur, il ne devrait généralement pas être nécessaire que l’ARC établisse une cotisation à l’égard d’un contribuable aux termes de la règle du COP et de la DGAE (lorsque la contestation éventuelle de la DGAE est fondée sur une mauvaise utilisation ou une utilisation abusive d’une disposition d’une convention fiscale couverte). Cependant, si la règle du COP s’appliquait à un montage ou à une opération, aucun avantage ne serait accordé au titre de la convention fiscale pertinente pour que la DGAE s’applique. Si la règle du COP ne s’applique pas, soit parce qu’aucun des principaux objectifs de l’opération n’était d’obtenir l’avantage au titre d’une convention, soit parce que l’octroi de l’avantage fiscal est conforme à l’objet et au but de la disposition pertinente de la convention, alors la DGAE ne devrait pas non plus s’appliquer puisqu’il n’y avait aucune « opération d’évitement » ou de « mauvaise utilisation ou d’abus ». Par conséquent, effectuer une autre évaluation dans le cadre de la DGAE dans ces circonstances sera probablement peu intéressant et ne servirait qu’à accroître l’incertitude et les frais des litiges.
Par conséquent, il serait utile que l’ARC indique que, pour les années d’imposition au cours desquelles l’IM est en vigueur, elle ne cherchera généralement pas à appliquer la règle du COP et la DGAE au même avantage au titre d’une convention, et se concentrera plutôt sur l’examen de l’application de la règle du COP.
Pour en savoir plus sur l’IM, consultez nos bulletins d’actualités d’Osler intitulés « L’instrument multilatéral (IM) entrera en vigueur au Canada le 1er décembre 2019 » et « Nouvelle règle COP dans l’Instrument multilatéral de l’OCDE pour déloger la RGAE canadienne? ».
Pour plus de renseignements sur l’IM, le COP ou sur d’autres questions fiscales, veuillez communiquer avec un membre du groupe de droit fiscal d’Osler.