Grassy Narrows transporte en Ontario la bataille sur les revendications touchant les activités minières et l’obligation de consulter

30 Juil 2024 10 MIN DE LECTURE
Auteurs(trice)
Richard J. King

Associé, Affaires réglementaires, Autochtones et environnement, Toronto

Alan Hutchison

Associé, Droit des sociétés, Vancouver

Étudiant d'été, Toronto

Le 10 juillet 2024, la Grassy Narrows First Nation (la Première Nation de Grassy Narrows ou la PNGN) a déposé un avis de requête (la requête) auprès de la Cour supérieure de justice en vue de contester la constitutionnalité de la Loi sur les mines de l’Ontario.

Dans sa requête, la PNGN allègue que la Loi sur les mines viole les droits issus de traités que lui confère l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et contrevient aux principes énoncés dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA).[1] Son principal argument porte sur l’absence de processus de consultation et d’accommodement des groupes autochtones avant l’inscription des claims et la réalisation de certains travaux d’évaluation en vertu de la Loi sur les mines.

Du point de vue de l’industrie minière, cette requête pourrait s’ajouter à la liste croissante des défis posés au développement de projets miniers, à un moment où le Canada cherche à accroître sa production de minéraux critiques. 

Le contexte

Cette action en justice fait suite à l’arrêt Gitxaala v. British Columbia (Chief Gold Commissioner),[2] dans lequel la Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu que la province de la Colombie-Britannique avait l’obligation de consulter les groupes autochtones lors de l’inscription de claims sur leurs territoires traditionnels. Pour en savoir plus sur l’arrêt Gitxaala, consultez notre bulletin d’actualités paru récemment.

En résumé, la Cour a statué que l’inscription des claims dans le cadre du régime de tenure minière de la Colombie-Britannique avait des effets préjudiciables sur les droits revendiqués par les Premières Nations et sur les territoires revêtant une importance culturelle et spirituelle pour elles.[3] Ces effets comprennent le fait de conférer aux prospecteurs le droit exclusif d’explorer et de perturber les terres, ainsi que le droit d’en extraire des quantités prescrites de minéraux.[4] Par conséquent, l’obligation de consulter est déclenchée chaque fois qu’un claim est inscrit.

Dans sa requête, la PNGN reprend en grande partie le raisonnement adopté par la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Cependant, le cadre de réglementation des activités minières de l’Ontario présente des différences notables qui pourraient conduire à un résultat différent.

En Ontario, la Loi sur les mines régit le jalonnement des claims ainsi que l’exploration et la mise en valeur ultérieures des ressources minérales.[5] En vertu de la Loi sur les mines, les particuliers peuvent inscrire des claims en ligne après avoir suivi une formation en ligne d’une heure et payé une somme modique.[6] Une fois le claim inscrit, le titulaire de permis peut y exécuter des travaux d’évaluation, conformément aux règlements.[7] Il peut s’agir de prélèvements d’échantillons, de forages exploratoires et d’autres travaux d’évaluation qui supposent de pénétrer sur le claim et de l’utiliser aux fins de prospection.[8]

En outre, une fois qu’un claim est inscrit et qu’un niveau prescrit de travail d’évaluation est exécuté et fait l’objet d’un rapport, le titulaire d’un claim a droit à un bail du claim.[9] Par conséquent, le jalonnement et l’inscription des claims constituent une étape importante dans l’aménagement et l’exploitation éventuels d’une mine.  

L’obligation de consultation et d’accommodement de la Couronne, ainsi que la protection des droits prévus à l’article 35, sont intégrées à la Loi sur les mines lorsqu’une personne se livre à des activités d’exploration initiale qui atteignent un certain seuil.[10] Ces activités, qui sont prévues dans les annexes 2 et 3 du Règlement de l’Ontario 308/12 : Plans et permis d’exploration, comprennent, par exemple, les levés géophysiques qui exigent l’emploi d’une génératrice ou le forage mécanisé visant à obtenir des échantillons.[11] Tout promoteur d’activités d’exploration initiale doit exercer les activités prescrites d’une façon « compatible avec la protection des droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones prévue à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ».[12] En outre, l’obligation de consulter les peuples autochtones susceptibles d’être touchés par de telles activités fait partie du processus menant au dépôt du plan d’exploration et à la délivrance des permis.

Selon l’avis de requête, il y a environ 10 000 claims inscrits dans la « Grassy Narrows’ Interim Core Area of Interest for Mining » (la principale zone provisoire d’intérêt pour l’exploitation minière de Grassy Narrows ou la zone).[13] En novembre 2023, la PNGN a défini la zone comme une représentation provisoire de la zone dans laquelle des activités minières pourraient directement avoir des effets préjudiciables sur la Première Nation et ses membres.[14] La requête n’indique pas si des plans ou des permis d’exploration ont été délivrés pour les claims situés dans la zone.

L’avis de requête

Le principal argument formulé dans la requête porte sur l’absence de consultation ou d’accommodement de la PNGN avant l’inscription des claims ou la réalisation de travaux d’évaluation qui n’atteignent pas le seuil établi aux fins du plan ou du permis d’exploration.

La PNGN affirme que l’inscription des claims et les travaux d’évaluation sont susceptibles d’avoir des effets préjudiciables sur ses droits, notamment des effets physiques préjudiciables tels que la perte de minéraux et de droits miniers, l’interférence avec les lignes de piégeage et les terrains de chasse, et la perturbation non négligeable des terres visées par traité.[15] Sur cette base, la PNGN affirme que l’Ontario a l’obligation de consulter, d’accommoder et d’obtenir le consentement, en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et de l’article 32 de la DNUDPA.[16] En particulier, la PNGN souligne l’interférence avec les droits que lui confère le Traité 3 de maintenir des pratiques traditionnelles telles que la chasse, la pêche, le piégeage et la récolte du riz, ainsi qu’avec son droit inhérent à l’autodétermination.[17] La requête cite également l’article 32 de la DNUDPA, qui exige que les États consultent les peuples autochtones et coopèrent avec eux de bonne foi en vue d’obtenir leur consentement, donné librement et en connaissance de cause, avant l’approbation de tout projet ayant des incidences sur leurs terres, territoires et autres ressources.[18]

Étant donné que la Loi sur les mines ne prévoit pas de consultation ou d’accommodement pour les activités d’exploration initiale, à moins qu’un plan ou un permis d’exploration ne soit requis, la PNGN affirme que l’obligation de consulter n’est pas respectée.

À ce titre, la Première Nation demande ce qui suit :

  • des déclarations selon lesquelles des articles de la Loi sur les mines, des règlements d’application de la Loi sur les mines et le système d’inscription des claims sont inconstitutionnels[19]
  • des déclarations selon lesquelles l’Ontario a l’obligation de consulter et d’accommoder la PNNB et d’obtenir son consentement, donné librement et en connaissance de cause, avant de décider d’accorder, de renouveler ou de transférer des claims et d’autoriser la réalisation de travaux d’évaluation[20]
  • des déclarations selon lesquelles les claims existants situés dans la zone, y compris les activités minières en cours, ne sont pas conformes à l’article 35 et à la DNUDPA et doivent être annulés[21]
  • une ordonnance interdisant à l’Ontario d’accorder, de renouveler ou de transférer des claims dans la zone jusqu’à ce qu’elle se soit acquittée de son obligation[22]

Conséquences de la requête de la PNGN

Il n’est pas certain que la requête de la PNGN aboutisse. Bien que la requête reprenne bon nombre des arguments qui ont été retenus dans l’arrêt Gitxaala, la Cour pourrait estimer que le régime de tenure minière actuel de l’Ontario est plus efficace que celui de la Colombie-Britannique pour ce qui est de protéger les droits des Autochtones et de faciliter les consultations en temps opportun.

Contrairement à celui de la Colombie-Britannique, le régime de l’Ontario incorpore expressément la consultation des Autochtones dans les droits et obligations des titulaires de claims en vertu de la Loi sur les mines.[23] Alors que les régimes des deux provinces tiennent compte des droits des Autochtones dans le processus de délivrance des permis d’exploration minière, le régime de l’Ontario va plus loin en soumettant les principaux droits associés aux claims — le droit de réaliser des travaux d’exploration minière — à l’obligation de consulter les Autochtones. On peut soutenir que cela soumet les droits des titulaires des claims de l’Ontario aux obligations constitutionnelles de l’Ontario eu égard aux droits des Autochtones. 

Il convient également de noter que, dans la pratique, à l’étape du jalonnement en ligne, le système d’administration des terrains miniers de l’Ontario indique les zones visées par les revendications des Premières Nations. Cela permet d’établir un lien entre le système de tenure minière et les revendications des Premières Nations et de s’assurer que les promoteurs de projets sont informés de l’existence des Premières Nations susceptibles d’être touchées par leurs travaux avant le début des travaux d’exploration. 

Ces éléments permettent de faire une distinction entre le régime de l’Ontario et celui de la Colombie-Britannique. Toutefois, si la PNGN obtient gain de cause, la décision pourrait avoir des répercussions considérables sur l’industrie minière en Ontario et partout ailleurs au Canada. S’il arrivait qu’elle soit instruite, la requête de la PNGN mettra à l’épreuve la constitutionnalité de l’un des régimes de tenure minière les plus importants au Canada, à un moment où le pays cherche à accroître sa production de minéraux critiques. Elle pourrait également engendrer de l’incertitude dans d’autres territoires au Canada. 

Déjà, plusieurs projets d’extraction de minéraux critiques à un stade avancé dans le nord-ouest de l’Ontario sont touchés par les revendications des Premières Nations. L’introduction de cette action en justice crée de l’incertitude pour le développement de ces projets, car les promoteurs et les autorités de réglementation pourraient décider d’attendre avant d’approuver des projets qui pourraient aller à l’encontre d’une décision de justice imposant des exigences plus rigoureuses en matière de consultation. Cela pourrait également avoir un effet défavorable sur la capacité des promoteurs de projets à obtenir du financement. Cette incertitude va à l’encontre de l’objectif déclaré du gouvernement de l’Ontario d’accélérer le processus de délivrance de permis à l’égard de ces projets miniers. La perspective d’une décision de justice qui exigerait la transformation du régime de tenure minière de l’Ontario n’est pas compatible avec un processus d’approbation rapide. 


[1] Grassy Narrows First Nation v. His Majesty the King in Right of Ontario (10 juillet 2024), Toronto CV-24-00723693-0000 (CSJ) (la requête de la PNGN).

[2] Gitxaala v. British Columbia (Chief Gold Commissioner), 2023 BCSC 1680 (l’arrêt Gitxaala).

[3] Arrêt Gitxaala, par. 14.

[4] Arrêt Gitxaala, par. 396.

[5] Loi sur les mines, L.R.O. 1990, chap. M.14 (la Loi sur les mines).

[6] Loi sur les mines, par. 19(1), par. 38(2); Claims, Règl. de l’Ont. 66/18, art. 2.

[7] Loi sur les mines, par. 50(1).

[8] Loi sur les mines, art. 65, art. 66; Travaux d’évaluation, Règl. de l’Ont. 65/18, par. 2(1).  

[9] Loi sur les mines, art. 81.

[10] Loi sur les mines, art. 78.2, art. 78.3.

[11] Plans et permis d’exploration, Règl. de l’Ont. 308/12, annexe 2 et annexe 3.

[12] Plans et permis d’exploration, Règl. de l’Ont. 308/12, s. 2.

[13] Requête de la PNGN, alinéa 2(v).

[14] Requête de la PNGN, alinéa 2(q).

[15] Requête de la PNGN, ss-alinéa A(kk)(i).

[16] Requête de la PNGN, alinéa A(y), alinéa A(ee).

[17] Requête de la PNGN, alinéa 2(e) – alinéa 2(g).

[18] Requête de la PNGN, alinéa 2(ee).

[19] Requête de la PNGN, alinéa 1(a), alinéa. 1(d). Dispositions législatives visées par la requête : Loi sur les mines, art. 27, art. 28, art. 38, art. 38.3, par. 50(2), par. 52(1), par. 65(1), art. 66; Claims, Règl. de l’Ont. 66/18; Travaux d’évaluation, Règl. de l’Ont. 65/18. 

[20] Requête de la PNGN, alinéa 1(b), alinéa 1(f).

[21] Requête de la PNGN, alinéa 1(e), alinéa 1(h).

[22] Requête de la PNGN, alinéa 1(g).

[23]  Voir la Loi sur les mines, art. 78.2 et art. 78.3.