Estimer les coûts de démarrage d’une franchise : une responsabilité partagée

15 Mai 2017 6 MIN DE LECTURE

Les franchisés éventuels ont tout intérêt à connaître l’étendue de l’investissement nécessaire au démarrage d’une franchise. À qui donc incombe la responsabilité de cette estimation? Un jugement récent de la Cour supérieure du Québec confirme que cette responsabilité incombe à la fois au franchiseur et au franchisé. Dans 9266-0257 Québec inc. c. Wrapcity Gourmet Restaurants inc., 2017 QCCS 746, la Cour réitère, d’une part, l’obligation du franchiseur de renseigner le franchisé éventuel, et d’autre part, l’obligation du franchisé de se renseigner quant au coût de démarrage d’une franchise.

Les faits

Wrapcity Gourmet Restaurants inc. est le franchiseur du concept de restauration Wrapcity (le Franchiseur). Le franchisé, 9266-0257 Québec inc. est une société formée par M. Paul Brisebois et ses deux enfants dans le but d’exploiter une franchise Wrapcity (collectivement, le Franchisé).

En 2012, on propose au Franchisé d’acquérir une franchise Wrapcity dans un local bien situé. Un autre restaurant y était exploité jusqu’à tout récemment. Des discussions ont lieu entre les parties à propos notamment du coût de démarrage de la franchise. Aussi, on remet au Franchisé un dépliant publicitaire contenant des renseignements à ce sujet. Un contrat de franchise est finalement signé.

En 2013, le Franchisé cesse ses opérations par manque de ressources financières. Il poursuit le Franchiseur et ses actionnaires, puis le tiers ayant permis la rencontre des parties. Le Franchisé prétend qu’on lui a faussement représenté qu’il n’en coûterait pas plus de 100 000 $ pour acquérir et commencer l’exploitation de la franchise. Or, il lui en a coûté en tout 273 000 $. Le Franchisé plaide que ces fausses représentations ont vicié son consentement. Il réclame la nullité du contrat de franchise et des dommages-intérêts, incluant le remboursement des investissements effectués pour le démarrage de la franchise.

Les motifs et conclusions

La Cour analyse la situation sous le régime de l’erreur simple de l’article 1400 du Code civil du Québec et celui de l’erreur provoquée par le dol de l’article 1401.

Quant à l’erreur simple, deux questions se posent. D’abord, le Franchisé a-t-il commis une erreur susceptible de vicier son consentement? Ensuite, cette erreur commise par le Franchisé est-elle inexcusable?

La Cour rejette l’argument des défendeurs voulant que le dépliant publicitaire remis au Franchisé fasse échec au recours de ce dernier. Il est vrai que le dépliant mentionne un investissement estimé de 240 000 $ seulement pour les améliorations locatives et les équipements, ce qui dépasse les 194 000 $ investis par le Franchisé pour ces deux éléments. Toutefois, le dépliant n’est pertinent que pour la construction d’un nouveau restaurant, alors qu’ici, il s’agissait d’adapter les installations existantes d’un ancien restaurant. Par ailleurs, la preuve montre que les discussions entre les parties faisaient allusion à un investissement entre 65 000 $ et 150 000 $ pour le démarrage de la franchise, ce qui est bien en deçà de ce que le Franchisé a finalement déboursé. Cette erreur ayant déterminé le consentement du Franchisé, il s’agit d’une erreur simple.

Pour vicier le consentement, cette erreur ne doit pas être inexcusable. À cet égard, la Cour tient compte de l’obligation de bonne foi des deux parties, c’est-à-dire, de l’obligation de renseignement qui incombe au Franchiseur et l’obligation du Franchisé de se renseigner adéquatement. Elle conclut qu’il n’y a pas ici d’erreur inexcusable. En effet, la Cour reconnaît d’emblée que le comportement du Franchisé se situe « à la limite de l’acceptable ». Avant de signer le contrat, le Franchisé pose peu de questions, ne demande pas à voir les chiffres du Franchiseur, n’exige pas de liste d’équipements ni de liste des améliorations locatives, puis ne demande pas de plans et de spécifications pour la construction de la franchise. Toutefois, cette négligence du Franchisé ne s’élève pas au rang d’erreur inexcusable. En outre, la Cour retient que plusieurs de ces informations n’étaient pas disponibles. Ainsi, le Franchisé n’aurait pu de toute façon, les obtenir.

Quant à l’erreur provoquée par le dol, la Cour conclut à l’absence de fausses représentations. Face à des versions contradictoires, la Cour est incapable de conclure que le Franchiseur a représenté ou garanti qu’il n’en coûterait pas plus que 100 000 $. Par ailleurs, l’amateurisme de l’estimation faite par le Franchiseur ne transforme pas celle-ci en fausse représentation. Le Franchiseur ne savait pas, au moment de signer le contrat de franchise, que le Franchisé serait incapable de limiter ses investissements à ceux que celui-ci prévoyait. Un Franchiseur compétent aurait peut-être pu le prévoir, mais cette question ne répond pas à celle de savoir s’il y a eu dol de la part du Franchiseur. En d’autres termes, le Franchiseur a peut-être été négligent eu égard à son obligation de renseigner le Franchisé, mais cela ne suffit pas à faire la preuve d’un dol.

Par ailleurs, la Cour retient que le Franchisé a lui-même été négligent. Il s’ensuit que la source de l’erreur est la négligence des deux parties et pas seulement celle du Franchiseur : les deux parties ont omis de pousser plus loin leur analyse des coûts liés au démarrage de la franchise. Dans ces circonstances, il n’y a pas d’erreur provoquée par le dol.

Étant donné sa conclusion quant à la présence d’une erreur simple, la Cour déclare nul le contrat de franchise. Afin de remettre les parties en état, elle ordonne au Franchiseur de rembourser la moitié des frais de franchise. En effet, la Cour est d’avis que le remboursement intégral des frais enrichirait injustement le Franchisé, le Franchiseur ayant rempli plusieurs de ses obligations (e.g. assistance au démarrage de la franchise, formation, manuels relatifs à l’exploitation de la franchise). En l’absence de dol, le Franchisé ne peut toutefois obtenir les dommages-intérêts réclamés.

Commentaire

Cette affaire confirme l’importance de ne pas seulement tenir compte de l’obligation de renseignements du franchiseur, tant dans l’analyse de l’erreur inexcusable que dans celle de l’erreur provoquée par le dol. La mesure dans laquelle le franchisé s’acquitte de son obligation de se renseigner adéquatement est elle aussi pertinente pour ces deux analyses.

Cela étant dit, il serait imprudent pour un franchiseur de ne compter que sur l’obligation du franchisé. Le franchiseur doit toujours agir de bonne foi et raisonnablement en fournissant au franchisé les renseignements pertinents dont il dispose au sujet de la franchise projetée, et ce, afin d’éviter une condamnation en dommages-intérêts pour fausses représentations, puis diminuer les risques d’un recours en nullité du contrat de franchise.