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Sociétaire, Droit des sociétés, Toronto
En 2021, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont apporté des clarifications très attendues sur le contexte réglementaire touchant les entreprises de cryptoactifs qui offrent des services aux Canadiens ou qui sont cotées sur les marchés boursiers canadiens. Les ACVM ont introduit plusieurs évolutions importantes en matière de réglementation et d’application de la loi qui ont modifié de manière significative l’environnement juridique dans lequel ces entreprises exercent leurs activités au Canada.
Un changement clé concerne l’adoption d’un régime d’inscription clair pour les plateformes de négociation de cryptoactifs (PNC) qui offrent des services de garde aux clients canadiens, régime au titre duquel six de ces PNC, cinq courtiers d’exercice restreint et un membre de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) se sont désormais inscrits. Des directives réglementaires ont été fournies en ce qui a trait aux pratiques de publicité et de commercialisation des PNC qui offrent des services de garde et qui sont inscrites en vertu des lois sur les valeurs mobilières. De plus, des directives réglementaires ont été publiées concernant la divulgation publique pour les émetteurs assujettis dont une partie importante des activités porte sur les cryptoactifs.
En 2021, nous avons également été témoins des mesures d’application vigoureuses de la part de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (la « CVMO ») contre plusieurs PNC étrangères non inscrites. En parallèle, des fonds négociés en bourse (« FNB ») adossés aux cryptomonnaies bitcoin et ether, les premiers fonds de ce genre à l’échelle mondiale, ont été lancés à la Bourse de Toronto (« TSX »). Des exigences actualisées en matière de lutte contre le blanchiment d’argent ont été imposées aux entreprises de cryptoactifs. Enfin, le cadre proposé pour la surveillance des paiements de détail a été présenté et il pourrait s’appliquer aux services de paiement par cryptomonnaie.
Régime d’inscription des PNC en vertu de la législation sur les valeurs mobilières
Les cryptoactifs présentent de nouveaux défis pour les organismes de réglementation des marchés des capitaux, car ils sont structurés de manière à offrir l’utilité des produits de base, mais posent, pour la protection des investisseurs, de nombreux risques qui sont traditionnellement associés aux valeurs mobilières. Par conséquent, il est souvent difficile de déterminer dans quelle mesure les organismes de réglementation des valeurs mobilières ont compétence pour réglementer les cryptoactifs. Le personnel des ACVM a tenté de résoudre ce problème en exerçant sa compétence sur les PNC offrant des services de garde, même si les cryptoactifs négociés sur la plateforme peuvent être des produits de base et non des valeurs mobilières, en se fondant sur le fait que la relation entre une PNC et son client est elle-même une valeur mobilière ou un produit dérivé appelé « contrat sur cryptoactifs ».
Le 29 mars 2021, les ACVM et l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) ont publié l’avis 21-329 du personnel Indications à l’intention des plateformes de négociation de cryptoactifs : Conformité aux obligations réglementaires (avis 21-329 du personnel). L’avis 21-329 du personnel précise que l’inscription à titre de courtier en vertu des lois sur les valeurs mobilières est requise pour les PNC qui facilitent la négociation : i) des cryptoactifs qui sont des titres (jetons de titre), et ii) des contrats sur cryptoactifs que les ACVM considèrent comme des titres ou des produits dérivés lorsque la PNC conserve la garde des clés privées des cryptoactifs pour le compte de ses clients, par opposition à la livraison immédiate des cryptoactifs à une adresse de chaîne de blocs spécifiée par le client.
Pour plus d’information au sujet de l’Avis 21-329 du personnel, consultez notre bulletin d’actualités Osler (en anglais seulement).
En date du 1er décembre 2021, cinq PNC canadiennes se sont inscrites à titre de courtiers d’exercice restreint en vertu des lois sur les valeurs mobilières. Il s’agit de Wealthsimple Crypto, Coinberry, Netcoins, CoinSmart et Bitbuy. Osler agit à titre de conseiller juridique de Wealthsimple et CoinSmart. L’inscription à titre de courtier d’exercice restreint est disponible à titre provisoire pour les PNC qui n’offrent pas à leurs clients la possibilité d’effectuer des opérations sur marge ou à effet de levier.
Les conditions imposées aux PNC de courtiers d’exercice restreint indiquent comment les ACVM abordent les principaux problèmes de protection des investisseurs associés aux cryptoactifs :
- Garde : Au moins 80 % des cryptoactifs des clients doivent être stockés hors ligne auprès d’un « dépositaire qualifié », comme Gemini Trust Company, LLC ou Bitgo Trust Company.
- Assurance : La PNC doit souscrire une police d’assurance d’obligations d’une institution financière qui satisfait aux exigences réglementaires applicables aux courtiers en valeurs mobilières. Les PNC doivent prendre des dispositions pour obtenir des garanties de tiers ou une autoassurance contre les pertes associées à des « portefeuilles chauds » qui sont généralement exclues de ces polices d’assurance.
- Connaissance du produit : Les PNC doivent faire preuve de diligence pour s’assurer qu’aucun cryptoactif offert sur leur plateforme n’est une valeur mobilière ou un dérivé en obtenant, si nécessaire, un avis juridique pour faire cette détermination.
- Divulgation des risques : Les clients doivent recevoir i) une déclaration des risques contenant de l’information générale sur les risques associés à la négociation de cryptoactifs ; et ii) une déclaration sur les cryptoactifs contenant une description clairement formulée des cryptoactifs, de la vérification diligente exercée par la PNC à l’égard des cryptoactifs, des risques propres aux cryptoactifs et d’autres questions précises.
- Modèle de pertinence des comptes et limites de pertes recommandées : Les PNC qui ont reçu une dispense de l’exigence d’évaluation de la convenance doivent recueillir des renseignements relatifs à la connaissance de leurs clients et déterminer la pertinence des comptes. Elles doivent également recommander une limite de perte pour le compte en fonction de la tolérance au risque du client.
- Cryptoactifs désignés et limites d’achat : Dans les territoires sous la compétence des ACVM autres que l’Alberta, la Colombie-Britannique, le Manitoba et le Québec, les organismes de réglementation des valeurs mobilières ont défini les cryptomonnaies Bitcoin (BTC), Ether (ETH), Bitcoin Cash et Litecoin comme des « cryptoactifs désignés » qui peuvent être offerts de manière illimitée par les PNC inscrites aux clients du marché de détail. Tous les autres cryptoactifs sont assujettis à une limite d’achat annuelle de 30 000 $ sur les PNC qui ont adopté un modèle de pertinence des comptes.
- Transition de deux ans vers l’OCRCVM : Les courtiers d’exercice restreint qui offrent une PNC devraient faire l’objet d’une transition et passer à une inscription à titre de courtiers en valeurs mobilières et devenir membres de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) dans les deux ans suivant leur inscription.
Bitbuy a également obtenu une dispense de l’obligation d’être reconnue comme un marché réglementé en vertu des lois sur les valeurs mobilières. Par conséquent, Bitbuy est autorisée à offrir une fonctionnalité de jumelage automatisé des ordres sur sa PNC, ainsi qu’un accès API pour les participants au marché avertis.
En plus des cinq PNC de courtiers d’exercice restreint, Fidelity Clearing Canada est le premier courtier en valeurs mobilières et membre de l’OCRCVM à obtenir l’autorisation d’offrir des services d’exécution d’opérations sur cryptoactifs et de garde de titres à des clients institutionnels, y compris d’autres membres de l’OCRCVM. Cette approbation indique que l’OCRCVM est prêt à réglementer les courtiers en cryptoactifs et qu’il est permis à un membre de l’OCRCVM d’exploiter à la fois une entreprise traditionnelle de valeurs mobilières et une entreprise de négociation de cryptoactifs. Pour plus d’information au sujet de l’approbation réglementaire de Fidelity, cliquez ici.
Normes de publicité et de marketing visant les PNC
Le 23 septembre 2021, le personnel des ACVM et de l’OCRCVM a publié l’avis 21-330 du personnel Indications à l’intention des plateformes de négociation de cryptoactifs : Obligations relatives à la publicité, à la commercialisation et à l’utilisation des médias sociaux (avis 21-330 du personnel).
L’avis 21-330 du personnel rappelle aux PNC qui se sont inscrites ou ont demandé leur inscription à titre de courtiers en valeurs mobilières qu’il leur est interdit de faire de la publicité trompeuse ou mensongère et de faire des déclarations non fondées. Elles sont également tenues de surveiller et de conserver des traces de l’utilisation des médias sociaux par le personnel. Ces contrôles internes doivent s’étendre aux administrateurs, actionnaires, dirigeants, employés et autres tiers agissant au nom de la PNC.
Vous trouverez de plus amples renseignements sur l’avis 21-330 du personnel dans le billet de blogue sur la gestion des risques et la réponse aux crises (en anglais seulement).
Directives concernant l’information exigée des émetteurs assujettis du secteur des cryptoactifs
Le 11 mars 2021, le personnel des ACVM a publié l’avis 51-363 du personnel Observations concernant l’information exigée des émetteurs assujettis du secteur des cryptoactifs (avis 51-363 du personnel). Un émetteur assujetti du secteur des cryptoactifs est un émetteur assujetti dont une partie importante des activités porte sur le minage, la détention ou la négociation de ces actifs.
L’avis 51-363 du personnel, au moment de sa publication, indiquait qu’il y avait 49 émetteurs assujettis du secteur des cryptoactifs inscrits à la cote d’une bourse canadienne. Ces bourses sont censées fournir des informations adéquates concernant la garde, les facteurs de risque et l’audit.
Pour plus d’information au sujet de l’avis 51-363 du personnel, cliquez ici.
La CVMO prend des mesures énergiques à l’égard des PNC étrangères qui offrent des services aux Ontariens
À la suite de la publication de l’avis 21-329 du personnel en mars 2021, le personnel de la CVMO a averti les PNC offrant des services en Ontario qu’elles devaient communiquer avec le personnel de la CVMO d’ici le 19 avril 2021 pour discuter de la façon de rendre leurs activités conformes. Dans le cas contraire, elles s’exposeraient à des mesures réglementaires.
À partir de mai 2021, la CVMO a entamé des procédures d’application de la loi à l’encontre de quatre grandes plateformes étrangères qui ne se sont pas manifestées auprès de la CVMO dans les délais prescrits. Certaines grandes PNC étrangères, comme Binance, établie à Hong Kong, et Bitmex, établie aux Seychelles, ont annoncé qu’elles n’acceptaient pas de nouveaux clients ontariens ou qu’elles fermaient les comptes de leurs clients ontariens existants, dans les délais prescrits.
Pour obtenir plus de détails sur les mesures d’application de la loi sur les cryptomonnaies prises par la CVMO en 2021, consulter l’article intitulé Une année décisive en matière d’application de la loi sur les marchés financiers.
FNB adossés à des cryptoactifs
En 2021, nous avons assisté à l’arrivée de nouveaux produits d’investissement réglementés pour les investisseurs de détail canadiens qui cherchent à investir dans le bitcoin et l’ether.
En février 2021, avec l’approbation de la CVMO, Purpose Investments a lancé le Purpose Bitcoin ETF à la Bourse de Toronto (TSX), le premier FNB en bitcoin au monde. Ce lancement a été rapidement suivi par le lancement de Purpose Ether ETF en avril 2021. Il y a maintenant 27 FNB et fonds à capital fixe adossés au bitcoin et à l’ether cotés à la Bourse de Toronto.
Mise à jour sur la lutte contre le blanchiment d’argent
Le 1er juin 2021, des modifications importantes des règlements émis en vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (LRPCFAT) sont entrées en vigueur, en parallèle à des directives mises à jour et émises par le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE). Ces deux initiatives réglementaires ont imposé de nouvelles exigences en matière de lutte contre le blanchiment d’argent concernant les monnaies virtuelles, notamment :
- une « règle d’acheminement », qui exige des entreprises de services monétaires (les « ESM ») et d’autres entités déclarantes qu’elles incluent des renseignements identificateurs sur la personne qui demande le transfert et le bénéficiaire lorsqu’elles effectuent un transfert de monnaie virtuelle, et qu’elles prennent des mesures raisonnables pour s’assurer que ces renseignements sont inclus à la réception d’un transfert de monnaie virtuelle ;
- des obligations de déclaration des opérations suspectes en monnaie virtuelle au CANAFE ;
- des obligations de déclaration des opérations importantes en monnaie virtuelle qui obligent toutes les entités déclarantes à déclarer, dans les 24 heures, la réception d’un montant en monnaie virtuelle équivalent à 10 000 $ ou plus dans le cadre d’une opération unique ou d’une série d’opérations.
Pour plus d’informations sur les modifications, consultez notre article Réglementation des services financiers en 2021 : reprise des activités et notre guide La lutte contre le blanchiment d’argent au Canada sur le site osler.com.
Le Canada surveille également les nouvelles directives du Groupe d’action financière (GAFI) publiées le 28 octobre 2021 et qui mettent à jour les Lignes directrices de l’approche fondée sur les risques appliquée aux actifs virtuels (AV) et aux prestataires de services liés aux actifs virtuels (PSAV). Le GAFI indique des circonstances dans lesquelles les exigences en matière de lutte contre le blanchiment d’argent peuvent s’appliquer aux jetons non fongibles, aux PNC, aux cryptomonnaies stables et aux opérations de pair-à-pair. Le ministère des Finances du Canada devra examiner dans quelle mesure les lois canadiennes sur la lutte contre le blanchiment d’argent doivent être mises à jour pour refléter les nouvelles directives du GAFI.
Cadre pour la surveillance des paiements de détail
Le 30 avril 2021, le gouvernement fédéral a présenté la Loi sur les activités associées aux paiements de détail (la « LAPD ») qui établit un cadre pour les fournisseurs de services de paiement (les « FSP ») qui seront supervisés par la Banque du Canada.
Ces FSP comprennent diverses entités qui remplissent des fonctions de paiement électronique, comme les systèmes de paiement, les portefeuilles numériques, les services de transfert de monnaies et d’autres types de sociétés de technologie de paiement. Bien que cela ne soit pas certain à l’heure actuelle, on s’attend à ce que les services de paiement par cryptomonnaie fournis par des FSP réglementés soient régis par la LAPD.
Pour plus de renseignements sur la LAPD, veuillez consulter l’article intitulé Réglementation des services financiers en 2021 : reprise des activités.
Vision pour 2022
2021 a été une année de nombreuses premières pour les entreprises de cryptoactifs. Nous pensons que 2022 sera une autre année de croissance significative et de maturation de l’industrie.
Un certain nombre de questions relatives à la réglementation doivent encore être clarifiées, notamment :
- le traitement des cryptomonnaies stables adossées à la monnaie fiduciaire, y compris leur réglementation potentielle à titre de dépôts prudentiels, de fonds du marché monétaire ou quelque chose de nouveau, comme l’explique l’analyse que l’on trouve ici (en anglais seulement) ;
- la mesure dans laquelle les lois sur les valeurs mobilières peuvent s’appliquer aux réseaux de chaînes de blocs à preuve de participation ou aux arrangements de « staking as a service » ;
- les jetons non fongibles (NFT), y compris le fractionnement et les marchés réglementés pour la négociation des NFT ;
- les protocoles financiers décentralisés (également connus sous le nom de DeFi) qui facilitent les opérations en cryptoactifs sur des chaînes de blocs comme Ethereum et qui peuvent fonctionner de manière autonome et en dehors de la propriété ou du contrôle de toute partie, potentiellement en dehors du champ d’application des lois sur les valeurs mobilières et des lois sur le blanchiment d’argent ;
- les produits d’investissement de détail au-delà du BTC et de l’ETH.
Nous poursuivons notre surveillance pour voir quelles sont, parmi ces questions, celles qui retiendront l’attention des organismes de réglementation en 2022. Nous prévoyons que 2022 sera une autre année de transformation pour le secteur des cryptoactifs au Canada et avons hâte de collaborer avec nos clients à l’égard des nouveaux modèles d’affaires et des défis dans ce domaine.