Auteurs(trice)
Associé, Propriété Intellectuelle, Toronto
Il existe une nouveauté sur le marché de la viande végétale, mais vous ne la trouverez pas sur les étagères de votre épicerie locale. Alors que le marché des substituts améliorés à base de végétaux et autres substituts de viande arrive à maturité, grâce à une technologie perfectionnée et à une plus grande popularité auprès des consommateurs, les entreprises en place se sont tournées vers la propriété intellectuelle pour protéger leur part de marché et surmonter les menaces concurrentielles.
Contestation d’un brevet sur les hémoprotéines : Impossible Foods c. Motif FoodWorks
Impossible Foods, un producteur de viande d’origine végétale dont les produits sont vendus dans les épiceries et les chaînes de restauration rapide, a récemment engagé une action en contrefaçon de brevet aux États-Unis contre Motif Foods Works Inc, une entreprise de technologie alimentaire qui a commencé par produire des ingrédients d’origine végétale et qui s’est récemment lancée sur le marché de la viande d’origine végétale. Dans le cadre de cette action, Impossible Foods affirme que l’ingrédient Hemami proposé par Motif enfreint son brevet portant sur une « réplique de viande à base d’hème ».[1] Motif a ensuite déposé une requête auprès du Contentieux en matière de brevets et commission d’appel des États-Unis (PTAB) pour invalider le brevet, en alléguant que les ingrédients revendiqués sont déjà vendus dans des produits alimentaires depuis des décennies et ne sont pas l’invention d’Impossible.
Au centre du différend se trouve l’hème, une molécule capable de fixer le fer que l’on trouve couramment dans les protéines animales et végétales, et qui est un ingrédient essentiel de certains produits de Motif et d’Impossible. Selon le concept, les protéines à base d’hème donnent à la viande le goût de la viande et imitent la couleur rose rougeâtre caractéristique des steaks hachés traditionnels.[2] Selon Impossible, les deux entreprises utilisent des sources d’hémoprotéines distinctes. Motif utilise une protéine de myoglobine produite naturellement chez les vaches. Dans la viande, la myoglobine est l’une des principales sources d’hème, présente le plus souvent dans les tissus musculaires. Impossible utilise une protéine de type léghémoglobine provenant des racines de certaines plantes comme le soja, mais fonctionnellement identique à la myoglobine. Aucune espèce animale ne produit de léghémoglobine dans son corps.[3] Selon des sources publiques, il semble que les deux entreprises fabriquent les protéines dans des levures génétiquement modifiées en utilisant un processus de fermentation courant dans la fabrication de la bière.[4] Impossible prétend que l’utilisation de cette protéine dans les steaks hachés par Motif constitue une violation du brevet d’Impossible.
La seule revendication indépendante du brevet en question porte sur un produit d’une « réplique de bœuf » composé d’une « réplique de muscle » comprenant 0,1 % à 5 % d’une protéine contenant de l’hème, et d’une « réplique de tissu adipeux comprenant au moins une huile végétale et une protéine végétale dénaturée, le tout assemblé de manière à se rapprocher de la composition physique de la viande. »[5] Motif prétend que cette revendication et les 16 autres ont été anticipées ou sont apparues comme une évidence à la suite d’une demande de brevet de 2006, qui divulgue des méthodes de fabrication de protéines à base de soja pouvant être incorporées dans un produit 100 % sans viande ou jusqu’à 50 % de viande, ainsi que d’autres techniques antérieures.[6] Motif prétend qu’une personne de compétence ordinaire dans le domaine saurait déjà qu’un produit alternatif à la viande nécessiterait la gamme de protéines hématiques revendiquée de 0,1 % à 5 %,[7] et qu’une personne compétente serait motivée à utiliser des protéines contenant de l’hème afin de fournir une couleur et une composition nutritionnelle plus proches de celles de la viande.[8]
L’hème n’est pas le seul ingrédient que les entreprises utilisent pour convaincre les consommateurs du caractère « viandeux » de leurs produits. D’autres produits utilisent des ingrédients d’origine naturelle comme le jus de betterave, la poudre de fruit de grenade, l’huile de noix de coco et d’autres ingrédients permettant de produire un effet de grésillement et de « saignement » à la découpe.[9] Néanmoins, le marché de la viande d’origine végétale est très concurrentiel, et l’hème semble être un avantage qui mérite d’être défendu.
L’affaire des secrets commerciaux du mycélium : The Better Meat Co c. Meati
Bien que les brevets soient un moyen courant de protéger les innovations en matière de substituts de viande, un différend impliquant d’autres droits est survenu récemment entre Meati et The Better Meat Co, deux entreprises de substituts de viande à base de champignons. Meati accuse Better d’avoir volé son secret commercial concernant l’utilisation d’un champignon filiforme (mycélium) pour imiter la viande. Le mycélium, également connu sous le nom de « racine de champignon », est constitué de filaments de champignons ramifiés qui se trouvent à la base des champignons.[10] Bien que la racine de champignon soit déjà utilisée dans le régime alimentaire de l’être humain – dans le tempeh, par exemple[11] – de nombreuses espèces et souches existent, de sorte que les deux entreprises ont conservé leur souche comme des renseignements exclusifs. Ce secret aurait été partagé par un ancien sociétaire de Meati qui a ensuite travaillé chez Better. Par la suite, Better a obtenu un brevet américain portant sur les méthodes de fermentation pour la production de viandes à base de mycélium.[12]
En réponse à une plainte déposée en décembre 2021 par Better contre Meati pour atteinte délictuelle, Meati a allégué un détournement de secret commercial et une concurrence déloyale contre Better.[13] Le litige est en cours.[14]
Le contexte des brevets au Canada
Bien qu’il reste à savoir si Impossible conservera son exclusivité dans le domaine des hémoprotéines, on compte au moins 27 entreprises qui détiennent plus de 58 brevets en instance et délivrés pour des substituts de viande et des protéines de remplacement de la viande au Canada, et il est certain que d’autres demandes seront déposées, car les exigences des consommateurs encouragent les innovations dans ce domaine.
Tableau 1 : brevets canadiens relatifs aux substituts de viande, par société[15]
Société |
Brevets actifs |
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Délivrés |
En attente |
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Aleph Farms |
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Avant Meats |
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Beyond Meat |
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Bunge Loders Croklaan B.V. |
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Clara Foods Co. |
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Corbion Biotech, Inc. |
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Ecovative Design |
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Emergy Inc (Meati) |
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Fermentationexperts A/S |
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Glanbia Nutritionals |
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Impossible Foods |
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JUST, INC (EAT JUST) |
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Kalamazoo Holdings |
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Luya Foods |
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Marlow Foods |
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Memphis Meats (Upside Foods) |
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Mycotechnology |
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Novameat Tech |
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Ocean Spray Cranberries |
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Redefine Meat |
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Roquette Frères |
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Société des Produits Nestlé S.A. |
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Solae, LLC |
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Terramino |
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The Fynder Group |
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Unilever Ip Holdings B.V. |
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Valio Oy |
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Coup d’œil sur l’avenir
En raison de l’intérêt croissant du public pour les choix alimentaires économiques et respectueux du climat, ainsi que de la concurrence croissante, l’industrie de la viande d’origine végétale continuera d’évoluer et de croître. À l’échelle mondiale, le marché des substituts de viande devrait passer de 5,37 milliards de dollars en 2021 à 10,8 milliards de dollars en 2028.[16] Selon le Conseil national de recherches Canada, le marché des protéines alternatives devrait connaître une croissance annuelle de 14 % d’ici 2024, et représenter jusqu’à un tiers du marché des protéines.[17] Un des principaux marchés pour les clients est celui des omnivores ou « flexitariens » (semi-végétariens), qui devrait atteindre 10 millions de Canadiens au cours des cinq prochaines années.[18] Ce marché en pleine expansion est un marché lucratif où les consommateurs façonnent désormais leur opinion sur les produits à leur disposition. Comme en témoigne l’expérience américaine, les litiges relatifs à la propriété intellectuelle surviennent précisément dans ces circonstances.
Les affaires d’Impossible et de Meati soulignent l’importance pour les entreprises d’avoir une stratégie de protection solide et de reconsidérer leur approche de la protection de la propriété intellectuelle et du contrôle préalable, en particulier dans un marché en pleine croissance. Des avocats-conseils expérimentés en matière de propriété intellectuelle peuvent apporter leur aide dans ce secteur complexe, notamment en donnant des conseils sur les risques associés aux droits de brevet légitimes des autres sociétés, en poursuivant une stratégie efficace et rentable d’acquisition et d’application de brevets, et en élaborant des stratégies pour préserver la confidentialité des pratiques de commerce sensibles.
Pour obtenir de plus amples renseignements sur les possibilités permettant de protéger vos produits et méthodes sur le marché des substituts de viande et à base de plantes, n’hésitez pas à communiquer avec un membre de notre groupe de propriété intellectuelle.
[1] Brown, P., et al, « Methods and Compositions for Consumables », (15 décembre 2020), brevet n° US 10, 863, 761.
[2] Pat Brown « Heme, Health and the Plant-Based Diet », (2 mars 2018), en ligne : Impossible Foods <impossiblefoods.com/ca/blog/heme-health-the-essentials>; « Unlocking Flavor In Meat Alternatives : The Science Behind HEMAMI », (8 décembre 2021) en ligne : made with Motif <madewithmotif.com/2021/12/08/unlocking-taste-and-flavor-hemami-2>; Voir également Motif FoodWorks Inc c. Impossible Foods Inc, (PTAB 20 avril 2022), Inter Partes Review (IPR) 2022-00887 aux pages 4 et 5.
[3] Michael Eison, « How GMOs Can Save Civilization (and probably already have) », (16 mars 2018), en ligne : Impossible Foods <impossiblefoods.com/ca/blog/how-gmos-can-save-civilization-and-probably-already-have>.
[4] « Unlocking Flavor In Meat Alternatives: The Science Behind HEMAMI », (8 décembre 2021), en ligne : made with Motif <madewithmotif.com/2021/12/08/unlocking-taste-and-flavor-hemami-2/>; Michael Eison, « How GMOs Can Save Civilization (and probably already have) » (16 mars 2018), en ligne : Impossible Foods <impossiblefoods.com/ca/blog/how-gmos-can-save-civilization-and-probably-already-have>.
[5] Brown, P., et al, « Methods and Compositions for Consumables », (15 décembre 2020), brevet n° US 10, 863, 761 à la page 48, réclamation 1.
[6] Voir également Motif Foodworks Inc. c. Impossible Foods Inc. (PTAB, 20 avril 2022), IPR 2022-00887, pages 22-70.
[7] Requête, Motif FoodWorks Inc. c. Impossible Foods Inc.(PTAB, 20 avril 2022), IPR 2022-00887, page 25.
[8] Requête, Motif FoodWorks Inc. c. Impossible Foods Inc.(PTAB, 20 avril 2022), IPR 2022-00887, pages 58-60.
[9] Voir, par exemple, Beyond Meat, « Yes, It’s Meat made from Plants », en ligne : Beyond Meat <www.beyondmeat.com/en-CA/about/our-ingredients/>.
[10] Morgan Agho, « What is Meati’s star ingredient, mushroom root? », en ligne : Eat Meati < https://meati.com/blog/what-is-meatis-star-ingredient-mushroom-root>.
[11] Morgan Agho, « What is Meati’s star ingredient, mushroom root? », en ligne : Eat Meati < https://meati.com/blog/what-is-meatis-star-ingredient-mushroom-root>; Elaine Watson, « Alt meat legal dispute heats up as fungi-fueled start-ups Meati Foods and The Better Meat Co square up over IP », (4 mars 2022) en ligne : Food Navigator USA </www.foodnavigator-usa.com/Article/2022/03/04/Alt-meat-legal-dispute-heats-up-as-fungi-fueled-startups-Meati-Foods-and-The-Better-Meat-Co-square-up-over-IP>.
[12] Pattillo, « Enhanced aerobic fermentation methods for producing edible fungal mycelium blended meats and meat analogue compositions », (13 juillet 2021), brevet n° US 11,058,137.
[13] Elaine Watson, « Alt meat legal dispute heats up as fungi-fueled start-ups Meati Foods and The Better Meat Co square up over IP », (4 mars 2022), en ligne : Food Navigator USA </www.foodnavigator-usa.com/Article/2022/03/04/Alt-meat-legal-dispute-heats-up-as-fungi-fueled-startups-Meati-Foods-and-The-Better-Meat-Co-square-up-over-IP>; Les litiges sont les suivants : The Better Meat Co c. Emergy Inc (d.b.a. Meati Foods), Paul Vronsky, et Bond Capital Management LP. Affaire no 2:21-cv-02338 déposée le 12 décembre 2021 et Emergy Inc (d.b.a. Meati Foods) c. The Better Meat Co et Augustus Pattillo. Affaire no 2:21-cv-02417 déposée le 27 décembre 2021.
[14] Elaine Watson, « Alt meat legal dispute heats up as fungi-fueled start-ups Meati Foods and The Better Meat Co square up over IP », (4 mars 2022), en ligne : Food Navigator USA </www.foodnavigator-usa.com/Article/2022/03/04/Alt-meat-legal-dispute-heats-up-as-fungi-fueled-startups-Meati-Foods-and-The-Better-Meat-Co-square-up-over-IP>.
[15] La liste des sociétés éventuellement concernées a été obtenue auprès de Leonard R. Svensson, « Substitute/Cultivated Meat Technology: A Deep- Dive Patent Landscape Analysis » (26 mai 2021), en ligne : IPWatchdog <www.ipwatchdog.com/2021/05/26/substitute-cultivated-meat-technology-a-deep-dive-patent-landscape-analysis/id=133894/>; les recherches supplémentaires effectuées ont porté sur les brevets actifs comportant les termes suivants dans les réclamations ou la description : « viande d’origine végétale », « réplique de viande », « alternative à la viande », « substitut de viande » et « semblable à la viande ». Le tableau est représentatif et les brevets énumérés contiennent des références à des produits ou à des méthodes concernant des produits de substitution à la viande. Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive de tous les résultats de recherche.
[16] Fortune Business Insights, « Meat Substitutes Market Size, Share & Covid 19 Impact Analysis, By Source, Distribution Channel and Regional Forecasts, 2021- 2029 » in Market Research Report (août 2021), en ligne : Fortune Business Insights <www.fortunebusinessinsights.com/industry-reports/meat-substitutes-market-100239>.
[17] Conseil national de recherches Canada, « Marché des protéines d’origine végétale : analyse du marché canadien et du marché mondial », (28 octobre 2019), en ligne : Gouvernement du Canada <nrc.canada.ca/fr/recherche-developpement/recherche-collaboration/programmes/marche-proteines-dorigine-vegetale-analyse-marche-canadien-marche-mondial>.
[18] Jason McBride, « What the skyrocketing popularity of Beyond Meat means for our planet » (12 juillet 2019), en ligne Maclean’s <www.macleans.ca/news/canada/what-the-skyrocketing-popularity-of-beyond-meat-means-for-our-planet/>.