Avant de faire le saut : incidence des derniers développements en matière de droit autochtone

13 Déc 2021 10 MIN DE LECTURE

Le droit autochtone au Canada a beaucoup évolué au cours de la dernière décennie, et 2021 n’a pas fait exception. Bien que l’année écoulée ait été assombrie par la découverte tragique de lieux de sépulture anonymes sur les sites d’anciens pensionnats et par les pressions qui en ont découlé pour faire avancer la réconciliation avec les peuples autochtones, 2021 a également été marquée par des changements importants en matière de droit autochtone touchant le développement des infrastructures et des ressources, notamment : 1) le projet de loi fédéral sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) qui a reçu la sanction royale; 2) la décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique selon laquelle les effets cumulatifs du développement industriel portaient atteinte aux droits issus de traités d’une Première Nation de la Colombie-Britannique; 3) la reconnaissance par la Cour fédérale de l’obligation de la Couronne de tenir une consultation sur les avantages économiques liés aux droits des Autochtones. Ces changements sont susceptibles d’avoir des répercussions importantes sur le développement des infrastructures et des ressources, sur les droits ancestraux et les droits issus de traités, ainsi que sur les partenariats avec les groupes autochtones dans les années à venir.

Le projet de loi fédéral sur la DNUDPA devient une loi

Le 21 juin 2021, le projet de loi C-15 du gouvernement du Canada, la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (la Loi) a reçu la sanction royale. La Loi est la première mesure importante prise par le Canada pour faire en sorte que les lois fédérales reflètent les normes énoncées dans la DNUDPA, un instrument international non contraignant qui établit « les normes minimales nécessaires à la survie, à la dignité et au bien-être des peuples autochtones du monde. »

La Loi présente deux objectifs clés :

  1. Affirmer la DNUDPA comme un instrument universel et international en matière de droits de la personne qui s’applique en droit canadien.
  2. Fournir un cadre pour la mise en œuvre de la DNUDPA par le gouvernement du Canada.

La Loi exige que le Canada, en consultation avec les peuples autochtones, prenne toutes les mesures nécessaires pour s’assurer que les lois fédérales du Canada sont conformes à la DNUDPA. À cette fin, la Loi exige que le ministre désigné élabore et mette en œuvre, dans un délai de deux ans, un plan d’action qui permettra d’atteindre les objectifs de la DNUDPA. La Loi exige également que les législateurs fédéraux, lorsqu’ils adoptent de nouvelles lois et des modifications, examinent si celles-ci sont compatibles avec la DNUDPA.

Notamment, la DNUDPA requiert des États que ceux-ci obtiennent un « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause » (CPLCC) lors de leurs consultations avec les peuples autochtones. Bien que l’intention déclarée ne soit pas que le CPLCC soit considéré comme un droit de « veto », le concept de CPLCC va probablement changer les approches de consultation actuelles et les attentes pratiques des parties qui prennent part à de telles consultations. De plus, la mise en œuvre de la Loi renforcera probablement les incitations pour les promoteurs à s’associer avec des groupes autochtones dans le développement de projets, ce qui leur permettrait ainsi de s’acquitter de leurs obligations en matière de CPLCC.

Effets cumulatifs du développement industriel et droits issus de traités

Dans l’affaire Yahey v. British Columbia, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a statué que les effets cumulatifs de décennies de développement industriel sur le territoire traditionnel des Premières Nations de la rivière Blueberry dans le nord-est de la Colombie-Britannique avaient porté atteinte aux droits de ces Premières Nations aux termes du traité no 8. Avec cette décision qui crée un précédent, c’est la première fois qu’un tribunal canadien conclut à une transgression des droits autochtones issus de traités en se fondant sur les effets cumulatifs de politiques et de développements autorisés pendant des décennies, plutôt que sur une action ou un régime réglementaire en particulier.

À la suite d’un procès, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu que le gouvernement de la Colombie-Britannique avait pris possession de terres sur le territoire traditionnel des Premières Nations de la rivière Blueberry à un point tel qu’il n’y avait plus de terres suffisantes et adéquates pour permettre aux membres des Premières Nations de la rivière Blueberry d’exercer de façon significative leurs droits issus de traités. La Cour a également statué que le gouvernement de la Colombie-Britannique, ayant été informé des préoccupations des Premières Nations de la rivière Blueberry, mais ayant permis à l’impact cumulatif du développement industriel d’éroder les droits des Premières Nations de la rivière Blueberry issus de traités, avait manqué à son devoir fiducial et à ses obligations envers les Premières Nations de la rivière Blueberry aux termes du traité no 8. Le gouvernement de la Colombie-Britannique a ainsi manqué à son obligation de préserver l’honneur de la Couronne. En raison de ces manquements, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a déclaré que : 1) le gouvernement de la Colombie-Britannique ne peut pas continuer à autoriser, sur le territoire traditionnel des Premières Nations de la rivière Blueberry, des activités qui portent atteinte à l’exercice des droits des Premières Nations de la rivière Blueberry issus de traités; 2) le gouvernement de la Colombie-Britannique et les Premières Nations de la rivière Blueberry doivent négocier des mécanismes d’application opportuns pour évaluer et gérer les effets cumulatifs du développement industriel. La Cour suprême de la Colombie-Britannique a suspendu sa première déclaration pour six mois afin de donner au gouvernement de la Colombie-Britannique et aux Premières Nations de la rivière Blueberry le temps de négocier un nouveau cadre réglementaire.

Le gouvernement de la Colombie-Britannique a décidé de ne pas faire appel de la décision.

L’arrêt Yahey a des répercussions directes et importantes sur le développement futur du territoire traditionnel des Premières Nations de la rivière Blueberry qui couvre la majeure partie du nord-est de la Colombie-Britannique (y compris le barrage hydroélectrique du site C, la majeure partie de la production de gaz naturel en Colombie-Britannique et plusieurs autres développements de ressources, dont des mines, des projets éoliens et des opérations forestières). Bien que le gouvernement de la Colombie-Britannique et les Premières Nations de la rivière Blueberry négocient activement des changements à apporter au processus réglementaire pour se conformer à l’arrêt Yahey, on ne sait pas quels changements seront finalement acceptés, quand cet accord sera conclu et comment les autres Premières Nations signataires du traité no 8 dans le nord-est de la Colombie-Britannique (dont plusieurs territoires chevauchent ceux des Premières Nations de la rivière Blueberry) participeront au processus. Entre-temps, le gouvernement de la Colombie-Britannique a suspendu l’examen de toutes les nouvelles demandes de permis sur le territoire des Premières Nations de la rivière Blueberry et a également suspendu indéfiniment plusieurs permis existants dans des zones d’intérêt particulier pour les Premières Nations de la rivière Blueberry. En fait, l’arrêt Yahey a donné aux Premières Nations de la rivière Blueberry un contrôle substantiel (à défaut d’un droit de veto) sur l’avenir du développement des ressources dans le nord-est de la Colombie-Britannique.

Les effets de l’arrêt Yahey ne se limiteront probablement pas au nord-est de la Colombie-Britannique. L’arrêt Yahey trace une voie viable pour établir l’existence d’une transgression de droits issus de traités sur la base des effets cumulatifs. De nombreuses régions du Canada ont connu une croissance importante, tant sur le plan démographique qu’en ce qui a trait au développement des infrastructures ou des ressources, depuis l’époque des traités historiques avec les groupes autochtones. Nous nous attendons à ce que l’arrêt Yahey donne lieu à des recours semblables sur les effets cumulatifs partout au Canada, en particulier dans les Prairies et le nord de l’Ontario, aux termes des traités historiques numérotés similaires au traité no 8. De tels recours pourraient provoquer une plus grande incertitude à l’égard des processus d’approbation réglementaire du Canada et, en cas de succès, ils pourraient modifier de manière importante l’avenir du développement des ressources et des infrastructures au Canada.

Obligation de consulter et droits économiques

Dans l’affaire Ermineskin Cree Nation v. Canada (Environment and Climate Change), la Cour fédérale du Canada a expressément reconnu que la Couronne doit consulter les groupes autochtones qui ont négocié des ententes sur les avantages économiques avec les exploitants de ressources avant que la Couronne ne prenne des mesures pour retarder ou refuser de telles activités d’exploitation.

Dans l’affaire Ermineskin, la Nation crie d’Ermineskin (Ermineskin) avait conclu des ententes sur les avantages avec Coalspur Mines (Operations) Ltd. (Coalspur) concernant les répercussions potentielles de ses deux projets de charbon thermique en Alberta. Bien que les projets de Coalspur n’aient pas déclenché l’application de la Loi sur l’évaluation d’impact (LEI) fédérale, le ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique (le ministre) a décidé d’assujettir les projets de Coalspur à la LEI sans en aviser la Nation crie d’Ermineskin (la décision). La décision a créé la possibilité de retards importants dans les projets de Coalspur qui pourraient éliminer les intérêts économiques de la Nation crie d’Ermineskin qui lui sont conférés aux termes des ententes sur les avantages. La Nation crie d’Ermineskin a contesté la décision au motif que le ministre avait contrevenu à l’obligation de consulter de la Couronne.

La Cour fédérale a jugé que la Couronne avait l’obligation de consulter la Nation crie d’Ermineskin à l’égard de la décision, car celle-ci pourrait avoir une incidence défavorable sur les droits économiques d’Ermineskin. La Couronne a l’obligation de consulter la Nation crie d’Ermineskin, car les droits économiques de cette dernière découlent de ses droits ancestraux et issus de traités et y sont étroitement associés. Puisqu’il n’y a eu « aucune consultation » dans ce cas, la Couronne a manqué à son obligation de consulter et, par conséquent, la Cour fédérale a annulé la décision.

La décision dans l’affaire Ermineskin établit que les groupes autochtones ont le droit d’être consultés chaque fois que la conduite de la Couronne peut affecter leurs intérêts économiques dans l’exploitation des ressources. De nombreux groupes autochtones ont des intérêts économiques importants dans l’exploitation des ressources, et cette décision souligne la valeur des partenariats avec les peuples autochtones, tant pour les promoteurs que pour ces groupes autochtones.

Perspectives

Nous encourageons les promoteurs de projets de développement des ressources et des infrastructures à travers le Canada à se tenir au courant des modifications dans le droit autochtone et à prendre en considérations les aspects autochtones dès le début du développement du projet. Bien que le droit dans ce domaine continue d’évoluer et présente souvent des défis et des risques pour les nouveaux projets, il crée également des possibilités pour les promoteurs qui reconnaissent et gèrent ces enjeux de manière proactive. En particulier, lorsqu’il s’agit des projets qui auront une incidence sur des groupes autochtones précis, des partenariats ou d’autres formes d’ententes sur les avantages avec ces groupes autochtones peuvent permettre au promoteur de gérer avec succès le risque réglementaire associé au projet, tout en offrant des avantages significatifs aux communautés autochtones locales.