Maintenant que vous avez présenté votre rapport en vertu de la Loi sur l’esclavage moderne du Canada, qu’est-ce qui s’ensuit? Pratiques exemplaires assurant la conformité des chaînes d’approvisionnement

13 Juin 2024 8 MIN DE LECTURE
Auteurs(trice)
Malcolm Aboud

Avocat-conseil, Litige, Toronto

Chelsea Rubin

Sociétaire, Droit de la concurrence et investissement étranger, Toronto

Emilie Dillon

Sociétaire, Litige, Toronto

La première date limite de présentation des rapports en vertu de la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement (Canada)(la Loi sur l’esclavage moderne ou la Loi) est passée. Les entités et les institutions fédérales soumises à l’obligation de faire rapport prévue par la Loi devaient présenter, au plus tard le 31 mai 2024, leurs premiers rapports annuels sur les mesures qu’elles ont prises au cours de l’exercice précédent pour prévenir ou réduire le risque relatif au recours au travail forcé ou au travail des enfants dans leurs chaînes d’approvisionnement. Maintenant qu’elles ont présenté leurs rapports, les entreprises doivent maintenant se pencher sur les mesures qu’elles peuvent prendre pour atténuer les risques d’actes illicites susceptibles de se présenter dans leurs chaînes d’approvisionnement.

Exigences concernant les rapports

Comme nous l’avons déjà écrit [en anglais seulement], la Loi sur l’esclavage moderne exige que certaines entités du secteur privé qui se livrent (ou qui contrôlent une entité qui se livre) à la vente, à la production ou à la distribution de marchandises au Canada ou ailleurs – ou à l’importation de marchandises au Canada – fassent rapport au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile sur les mesures qu’elles ont prises pour prévenir le recours au travail forcé et au travail des enfants dans le cadre de leurs activités et de leurs chaînes d’approvisionnement. Les rapports doivent inclure les renseignements suivants au sujet de l’entité : sa structure, ses activités et ses chaînes d’approvisionnement; ses politiques et ses processus de diligence raisonnable relatifs au travail forcé et au travail des enfants; la formation donnée aux employés sur le travail forcé et le travail des enfants; les mesures qu’elle a prises pour remédier à tout recours au travail forcé ou au travail des enfants; les parties de ses activités et de ses chaînes d’approvisionnement qui comportent un risque de recours au travail forcé ou au travail des enfants et les mesures qu’elle a prises pour évaluer ce risque et le gérer. Les rapports sont mis à la disposition du public sur le site Web de Sécurité publique Canada et doivent être affichés à un endroit bien visible sur le site Web de chaque entité déclarante.

Aux fins de la présentation de leurs premiers rapports exigés par la Loi, de nombreuses entreprises ont dû procéder à un examen critique de leurs chaînes d’approvisionnement et de leurs mécanismes de conformité internes. Maintenant qu’elles ont présenté leurs rapports, les entreprises devraient se pencher sur les mesures qu’elles peuvent prendre pour remédier à la situation et améliorer les processus de conformité afin de garantir le respect des différents cadres juridiques tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement. La lutte contre le risque relatif au recours au travail forcé ou au travail des enfants peut être une priorité, mais les mesures de conformité devraient également porter sur d’autres formes de criminalité économique, telles que la corruption, le blanchiment d’argent, les violations des sanctions et la fraude.

Stratégies d’atténuation des risques

Bien que les mesures de conformité qu’elles mettent en œuvre doivent être adaptées aux risques qu’elles courent et aux ressources dont elles disposent, pour garantir au mieux la conformité tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement, les entreprises devraient envisager d’adopter les mesures suivantes, en tout ou en partie, selon la stratégie qu’elles privilégient en matière de conformité.

  • Politiques et procédures internes : Lesentreprises devraient mettre en place des politiques et des procédures définissant clairement ce qui est attendu de tous les représentants – y compris les employés, les administrateurs, les dirigeants et les représentants de tiers – afin qu’ils agissent de manière éthique à tout moment. Il peut s’agir d’un code de conduite et d’éthique commerciale, d’une politique de dénonciation, d’une politique sur la lutte contre la corruption et d’une politique sur la lutte contre le blanchiment d’argent et les sanctions.
  • Mesures relatives à la connaissance des parties contractantes : Lesentreprises doivent, en toute circonstance, bien connaître les parties avec lesquelles elles font affaire. À cette fin, elles peuvent adopter des mesures de contrôle leur permettant de vérifier l’identité de toutes les parties avec qui elles prévoient de faire affaire, de comprendre la provenance des fonds ou des produits, et de garantir le respect de toutes les sanctions applicables. Les renseignements et les registres doivent être exacts et tenus à jour.
  • Procédures officielles de passation de marchés : Lesentreprises doivent envisager de mettre en œuvre des procédures officielles de passation de marchés définissant le mode de sélection des fournisseurs, les circonstances nécessitant des appels d’offres en bonne et due forme, les mécanismes d’approbation, les exigences en matière de confidentialité et de concurrence et les processus de diligence raisonnable et d’évaluation des risques. Les entreprises peuvent également envisager d’exiger des fournisseurs, avant d’être engagés, qu’ils remplissent un questionnaire exposant leurs mécanismes de conformité.
  • Codes de conduite des fournisseurs : Selon la nature de leurs activités et leur profil de risque, les entreprises peuvent envisager de mettre officiellement en œuvre un code de conduite à l’intention des fournisseurs ou d’étendre officiellement aux fournisseurs et aux sous-traitants les obligations découlant de leurs politiques internes.
  • Déclarations et garanties contractuelles : Les entreprises doivent inclure dans les conventions qu’elles concluent avec leurs fournisseurs desdéclarations et des garanties de conformité appropriées exigeant, par exemple, le respect de toutes les lois applicables (y compris les lois sur la lutte contre la corruption, les sanctions, la lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, et les droits de la personne); l’adhésion au code de conduite des fournisseurs et/ou à d’autres politiques; la prise de mesures raisonnables garantissant le respect de ces lois par leurs propres fournisseurs, entrepreneurs et représentants; et la garantie que leurs propres chaînes d’approvisionnement n’ont pas recours au travail forcé ou au travail des enfants.
  • Droits d’audit : Dans la mesure du possible, les entreprises devraient inclure dans les conventions qu’elles concluent avec leurs fournisseurs un droit d’audit sur la conformité du fournisseur ou de l’entrepreneur, leur permettant de mettre en œuvre, selon les facteurs de risque en jeu et les questions commerciales à considérer, que ce soit de façon ponctuelle ou périodique, des mesures élémentaires (telles que la vérification des antécédents) ou des mesures poussées (telles que l’inspection des installations) en cas de risque élevé.
  • Formation : Les entreprises devraient donner une formation à leurs employés et à leurs représentants pour s’assurer que ceux-ci sont conscients des obligations de conformité qui leur incombent en vertu des politiques applicables. Selon le cas, elles pourraient également envisager de donner une telle formation à leurs fournisseurs et à leurs sous-traitants.
  • Mesures disciplinaires : Les entreprises devraient inclure dans les conventions qu’elles concluent les mesures disciplinaires qu’elles imposeront auxreprésentants et aux fournisseurs qui ne respectent pas leurs politiques ou les lois applicables, mesures pouvant aller jusqu’à la cessation d’emploi ou à la rupture de la relation commerciale.

Il n’existe pas de stratégie de conformité qui convienne à toutes les organisations, et chacune d’entre elles doit adapter les mesures de conformité qu’elle prendra aux risques qu’elle court et aux ressources dont elle dispose — y compris sa taille, son secteur d’activité, ses emplacements géographiques et les parties avec lesquelles elle fait affaire. Bien qu’elles n’aient pas à prendre — ou ne puissent pas prendre — toutes les mesures susmentionnées, les entreprises doivent réfléchir attentivement à leur profil de risque et aux mesures qu’elles peuvent prendre pour prévenir les actes illicites dans leurs chaînes d’approvisionnement.

Prochaines étapes

Dans le budget de 2024, le gouvernement fédéral a exprimé son intention de présenter un projet de loi en 2024 « visant à éliminer le travail forcé des chaînes d’approvisionnement canadiennes » et à renforcer l’interdiction d’importation de biens issus du travail forcé modifiée par la Loi. Bien que le gouvernement fédéral n’ait communiqué jusqu’à maintenant aucun détail concernant l’échéancier ou la portée de ce projet de loi, l’Union européenne, l’Allemagne et la France, entre autres juridictions, ont mis en œuvre certaines mesures, telles que des obligations de diligence raisonnable en matière de droits de la personne, suivant lesquelles les entreprises sont tenues d’évaluer, d’atténuer et de prévenir de manière proactive le risque relatif au recours au travail forcé ou au travail des enfants dans leurs chaînes d’approvisionnement.

Peu importe que de telles mesures deviennent officiellement obligatoires au Canada, les entreprises doivent s’efforcer de maintenir des mesures efficaces pour garantir le respect de toutes les lois pertinentes tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement, mesures qui doivent être proportionnelles aux risques et aux activités de chacune. Le non-respect de ces mesures pourrait avoir de graves conséquences pour les entreprises, comme se faire imposer des amendes salées, être tenu criminellement responsables, se faire saisir des marchandises à la frontière, être exclues de marchés et voir leur réputation entachée. En mettant en œuvre de mesures de conformité efficaces, les entreprises pourront non seulement paraître au mieux dans leurs rapports futurs, mais aussi se prémunir contre de telles conséquences.